Edito
13H14 - mercredi 6 mai 2020

Non, Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, cher Chems-Eddine Hafiz, le calendrier du déconfinement ne peut être dicté par celui des cultes ! L’édito de Michel Taube

 

Monsieur le Recteur, cher ami Chems-Eddine Hafiz,

Permettez-moi tout d’abord d’adresser à travers vous mes meilleurs vœux de santé, de fraternité, mais aussi de de partage, de compassion, de charité et d’humilité à ceux de nos concitoyens musulmans croyants pour qui ces valeurs président au mois de ramadan.

Le moins que l’on puisse dire est que votre communiqué de presse du 5 mai a manqué de compassion et d’humilité.

La Grande Mosquée de Paris aime cultiver, du moins à l’égard des médias et des pouvoirs publics, l’image d’un islam républicain et modéré. Confrontée au réel, cette vénérable institution n’a pas toujours fait montre d’une élégance parfaite à l’égard de la République et de ses valeurs, allégeance qui est pourtant la condition et la limite de la libre expression religieuse en France. Les tensions internes à votre honorable institution, entre modérés laïcs et radicaux, transpirent de plus en plus.

On se souviendra notamment que, à une autre époque que vous avez bien connue Monsieur le Recteur, la Grande Mosquée de Paris se constitua partie civile contre Charlie Hebdo, pour avoir publié des caricatures du prophète de l’islam (et du seul islam), caricatures pourtant préalablement publiées dans des pays musulmans sans qu’elle y fît la moindre vague, épousant comme les intégristes la thèse du blasphème et de l’insulte à l’islam auxquels se seraient abandonnés les horribles mécréants de Charlie. On sait le prix qu’ils en ont payé.

En menaçant le gouvernement d’actions en justice s’il ne devait calquer le calendrier du déconfinement sur celui de l’islam et du 24 mai, jour de l’Aïd, point d’orgue du Ramadan, vous avez eu cette phrase dans votre communiqué : « La fête de l’Aïd qui clôture le mois sacré du Ramadan est aussi importante que la pentecôte juive ou chrétienne. »

Cette phrase est terrible d’orgueil et vraiment dangereuse : elle compare les cultes les uns aux autres et sous-tend une hiérarchisation entre eux.

Or personne, pas plus le président de la République, le Premier ministre et nul autre n’a prétendu que les Pentecôtes valent plus que le Ramadan.

 

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Votre communiqué est une sommation aux allures d’ultimatum religieux contre l’ordre public, neutre et laïc.

Pourquoi donc voir de la discrimination anti musulmane dans l’annonce d’Édouard Philippe d’envisager d’autoriser la reprise des cultes pour le grand week-end de la Pentecôte, donc le 29 mai ? La raison est simple, et vous la connaissez : le gouvernement s’est donné trois semaines pour valider la première phase de déconfinement et ouvrir ensuite, peut-être, plus largement les événements collectifs. Trois semaines après le 11 mai, sortons les calculettes arrondies, cela nous conduit à fin mai – début juin. Déroger au calendrier pour un événement situé à un tiers de l’échéance fixée aurait été une entorse trop grande au calendrier fixé par les pouvoirs publics.

Demandez aux fleuristes qui se sont vus refuser l’ouverture le 1er mai pour le muguet, ou aux associations d’anciens combattants qui ne pourront rendre hommage à nos héros de guerre lors des cérémonies du 8 mai ce qu’ils pensent de cette rigueur gouvernementale ? La règle est la même pour tous.

En Allemagne, la pression des instances musulmanes a porté ses fruits. L’Allemagne, en espèce la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, en application des droits accordés aux religions par la Constitution, a cédé. Mais notre voisin est nettement moins affecté que la France par le Covid-19 et a débuté avant nous son déconfinement. L’Allemagne n’est pas, de surcroît, un pays à proprement laïc.

En Italie, les évêques s’opposent également au calendrier de déconfinement du gouvernement mais d’une part, même le pape les a désapprouvés en leur demandant de respecter les décisions des pouvoirs publics, et d’autre part la hiérarchie ecclésiastique italienne n’a pas dit que « la Pentecôte est aussi importante que telle autre fête de telle autre religion ».

 

Un enjeu sanitaire avant tout

Dans toutes les contrées très impactées par le Covid-19, les offices religieux ont contribué à sa propagation, du fait de la promiscuité qu’elle génère. Giuseppe Conte, président du Conseil italien, a eu raison de souligner : « Il y a une certaine rigidité de la part du comité technoscientifique sur la base de la littérature scientifique qui indique que la pratique religieuse est l’une des sources de foyers de contagion. » En Corée du sud en janvier, à Mulhouse en février, ce sont des rassemblements évangéliques qui ont déclenché les clusters de personnes contaminées et qui ont ensuite envahi nos pays.

En France, la fréquentation des mosquées est bien plus soutenue que celle des églises, qui attirent plus de touristes (sauf en ce moment) que de fidèles. L’observation de la distanciation sociale relève de l’impossible, car les offices religieux ne peuvent être allongés ou leurs horaires aménagés pour éviter la concentration de fidèles. Si les autorités sanitaires estiment que le virus continuera à circuler à la fin de mois de mai, interdire la célébration collective de l’Aïd est une mesure de salubrité publique, plus qu’interdire celle de Pâques, non pas parce qu’il s’agit de punir les musulmans, mais parce que la situation sanitaire l’exige.

Les instructions – scandaleuses – données à la police de ne pas faire appliquer strictement les règles du confinement durant la période du ramadan dans les quartiers à forte population musulmane ont déjà constitué une reculade fautive en termes de santé publique et de principe républicain laïc.

 

La Grande Mosquée de Paris doit respecter la neutralité de notre République laïque

Enfin, pour la grande majorité des chrétiens et des juifs de France, et des Français en général, Pentecôte rime avec jour férié et non prière. Pâques a davantage de portée pour eux, du fait de sa dimension culturelle et traditionnelle, qui comme Noël, dépasse largement le cadre théologique (les œufs de Pâques sont délicieux pour tout le monde). Juifs et chrétiens ont été privés de la célébration du culte religieux de Pâques, sans broncher, sans menacer, comme vous le faites aujourd’hui.

Monsieur le Recteur, votre communiqué comminatoire constitue une faute : votre ton menaçant nourrit la posture victimaire des uns et l’islamophobie des autres. Vous ne vous seriez jamais permis pareille sortie en Algérie, en Arabie saoudite ou en Iran.

D’ailleurs, l’Union des Mosquées de France, dirigée par Mohammed Moussaoui, président du CFCM, si elle comprend elle aussi que l’anticipation au 29 mai de la date du 2 juin pour l’ouverture des cérémonies religieuses collectives peut choquer certains musulmans, cette organisation ne profère aucune menace et appelle au respect de la décision des pouvoirs publics et les musulmans à « ne pas perdre de vue l’essentiel et à rester fermes dans leurs principes ».

Les fêtes de quelque religion que ce soit n’ont pas à influencer le calendrier de l’action publique. Nous sommes en France, République laïque. Merci d’y concourir !

Michel Taube

 

 

 

 

 

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Directeur de la publication