Edito
13H01 - lundi 24 février 2020

Bernie Sanders, le Mélenchon américain ? L’édito de Michel Taube

 

Bernie Sanders a remporté les caucus du Nevada avec une telle avance sur ses concurrents qu’il semble aujourd’hui favori pour devenir le candidat du parti démocrate face à Donald Trump. On en saura plus le 3 mars avec le « Super Tuesday » qui devrait confirmer – ou infirmer la tendance.

Les 78 ans de Sanders n’effrayent nullement ses sympathisants, malgré une crise cardiaque en 2019. Il faut dire que deux des autres principaux candidats à l’investiture démocrate, Joe Biden et Michael Bloomberg sont à peine plus jeunes, et qu’en face, Donald Trump n’est plus un gamin (encore que) depuis longtemps. Bernie Sanders se présente comme « socialiste », ce qui aux États-Unis résonne encore souvent comme communiste ou marxiste, une insulte pour une grande majorité d’Américains. Pourtant, la société américaine est de plus en plus clivée, elle dérive vers les extrêmes de tous bords, de sorte que Bernie Sanders ou Donald Trump pourraient bientôt apparaître comme de grands modérés !

Déjà candidat à l’investiture en 2016, et largement devancé par Hilary Clinton, Bernie Sanders ne provoque plus une réaction d’effroi aussi systématique à l’évocation de sa victoire à la présidentielle, d’autant plus que l’ensemble du parti démocrate n’a cessé de virer à gauche depuis l’avènement de Donald Trump, et qu’en son sein, on trouve désormais bien plus rougeoyant que « Bernie le fou », surnom dont il fut affublé. Elizabeth Warren et surtout Alexandria Ocasio-Cortez, voire Ilhan Omar, première femme voilée membre du Congrès, ont des positions bien plus radicales que Bernie Sanders, tant en politique intérieure qu’internationale. Ce sont elles, les Mélenchon d’outre-Atlantique. Mais leur heure n’est pas encore venue.

Aujourd’hui, l’aile gauche du parti démocrate et de la gauche américaine, c’est Bernie Sanders. Et si son programme semble plus à gauche que celui de tous les démocrates ayant accédé à la Maison blanche, en particulier Barack Obama et Bill Clinton, il n’a pas l’intention d’abattre le capitalisme, de tondre les riches ou de remplacer l’hymne américain par l’Internationale. Sanders veut corriger les excès et les dérives du libre-échange, l’exploitation des masses laborieuses, en particulier des migrants, rendre les universités gratuites, renforcer les droits des LGBT, pourfendre le « racisme institutionnel ». Sa mesure phare est l’instauration d’une assurance santé sur le modèle français, un modèle qui en France est perçu comme de plus en plus abimé à mesure que les assurances privées grignotent notre sacro-sainte Sécurité sociale. En politique extérieur, il veut conditionner l’aide à Israël à un assouplissement de sa politique, n’hésitant pas à dénoncer le racisme gouvernemental, et qualifie les dirigeants de l’Arabie saoudite de « voyous meurtriers ». Voilà qui promet !

Aux États-Unis comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, le marché est le pouvoir suprême, tant qu’il ne s’effondre pas. Ce principe de réalité se rappellera aussi à Bernie Sanders. Quant à la diplomatie et aux relations internationales, elles reposent sur des intérêts et des rapports de force plus que sur des grands discours. Comme tout empire, et face à la montée de la Chine et à l’appétit retrouvé de la Russie, les Etats-Unis auront toujours besoin d’alliés s’ils veulent éviter que leur frontière devienne une ligne de front.

Autre paradoxe américain : Bernie Sanders, qui serait le président le plus âgé de l’histoire des États-Unis, est avant tout le candidat des jeunes, dont il épouse les idéaux humanistes et écologistes. Il incarne le rejet de Trump, parfois de façon trop obsessionnelle aux yeux de certains démocrates. Plus social-démocrate que socialiste, et encore moins marxiste, la politique de Bernie Sanders à la tête de l’administration américaine décevrait sans doute Mélenchon. Mais son élection serait un évènement planétaire majeur, car à la différence d’un État européen, et malgré la force du marché et le pragmatisme des relations internationales, les États-Unis, première puissance mondiale qui espère le rester, peuvent prendre des initiatives dont l’impact peut être considérable. Ils l’ont déjà fait en matière fiscale ou pour rééquilibrer les relations commerciales avec la Chine. Bernie Sanders pourrait prendre des mesures d’équité fiscale sans provoquer une fuite massive des capitaux et des investissements.  Aucun pays européen n’a une telle latitude. Hors de l’Union Européenne, la tentation est plutôt inverse. Ainsi, l’Europe craint que le Royaume Uni se transforme en paradis fiscal pour attirer les capitaux et les entreprises. La petite France ou la petite Allemagne, même si elles se voient grandes, ne font pas le poids lorsqu’il s’agit de corriger significativement les excès du marché, ni parler d’égal à égal avec les mastodontes étatiques voire privés. L’Union européenne le pourrait, mais c’est une autre histoire…

Fiscalité, mais aussi écologie : Bernie Sanders n’est pas un écolo gauchiste, à la sauce rouge-verte française. Il favoriserait le développement d’une économie verte de nature à faire de son pays le moteur de la transition énergétique mondiale. Il s’appuierait sur les entreprises au lieu de les désigner comme ennemis.

Mais que les Français, détracteurs parfois caricaturaux de Donald Trump, ne se réjouissent pas trop vite. L’actuel président peut se targuer d’un bilan plutôt flatteur, en particulier sur le plan économique, et ceux qui prédisaient le pire à l’Amérique et au monde en sont – pour le moment – pour leurs frais. Papy Sanders a peu de chance de déloger papy Trump de la Maison Blanche, quand bien même teinterait-il son discours d’une touche de réalisme et de modération.

Toutes proportions gardées, l’élection de Donald Trump s’inscrivait dans ce vaste mouvement de repli nationaliste qui, en Europe, conduisit au Brexit et à la montée de l’extrême droite. Après le flux, le reflux, certes. Mais il est probable qu’outre-Atlantique, il ne produise plus tard, au cours du second mandat de Trump. Ce ne sera alors plus Bernie Sanders qui tiendra la barre des Démocrates. Un Mélenchon version US, comme Alexandria Ocasio-Cortez, à la Maison blanche ? En janvier 2025 peut-être ?

Michel Taube

Directeur de la publication