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07H00 - jeudi 29 août 2019

Chronique d’une nouvelle époque par Jean-Philippe de Garate

 

Certains étaient à Biarritz, mais à l’évidence ils ne savaient rien de la mémoire des lieux. Le pays basque produit pourtant bien des ondes mais c’est une des données de notre temps : l’insensibilité, associée à une inculture affichée, conduit à une forme – subtile ou pas – de bêtise. La brutalité ou l’arrogance devient pour certains une marque de fabrique, comme si ceux à qui s’applique cette brutalité ou cette arrogance n’allaient pas réagir, à leur manière. Tôt ou tard. Et sans excès de nuances. Qu’on se le dise… dans les chancelleries : la loi des équilibres existe.

Je reviens de Cabourg, ville sans prétention, dont la plage à la pente excessivement douce, l’eau claire, la lumière laiteuse, les merveilleux coquillages produisent une sensation d’harmonie presque parfaite avec son grand hôtel et les maisons anglo-normandes qui sertissent les places. Les familles déambulent calmement sur les pelouses, profitant de leurs derniers jours de vacances. Pourtant, ce n’est pas le soleil mais un écrivain asthmatique, surchargé de lainages, mort depuis presque cent ans, qui donne à la ville, au bord de mer, cette sensation double d’une certaine intemporalité et paradoxalement, celle du caractère singulier, unique, de la minute qui passe. 

Le temps passe, pas Marcel Proust. La plupart des noms des dirigeants politiques sera oublié, tout le monde le sait, le sent, mais pour autant, nombre de médias sont toujours telles des mouches avec les lampions du moment. L’inconséquence des blablateux n’a d’égale que la vulgarité, pour ne pas dire la nullité, de leur pensée.  Avec pour nous tous le risque qui se profile d’une plongée dans l’horreur. Ce monde mérite mieux, et derrière la stupéfaction – ou mieux dit, la sidération des peuples – demeure une très profonde aspiration à dépasser la réclame des batteurs d’estrade, leur goût de la haine, leur programme de destruction. Oui, ce monde mérite mieux. Et relire Proust n’est jamais une perte de temps. 

Bien sûr, comme d’habitude en Histoire, les Tibère et autres Héliogabale passeront, pas la campagne romaine et les rochers de Capri. La France traverse pour sa part, – qui peut ne pas le voir ? – une période de rejet d’un modèle ayant par trop piétiné une sensibilité qui lui est consubstantielle. Tout grince, tout souffre telle une machine qu’on utilise mal… Mais on l’espère : en fin de course reviendra la quiétude profonde du grand hôtel de Cabourg, la douceur du repos, quand on se love dans un transatlantique sur la plage, quand les gazouillements d’enfants, proches et lointains, rappellent la vitalité inentamée du peuple.

L’argent-roi qui prévaut dans telle cité balnéaire voisine, l’hypertrophie et l’hyperbole, la frénésie et en réalité, la maladie qui en découle, sont déjà résumés par des règles physiques bien connues. Et pourtant, nos importants, décidément ringards, n’en démordent pas et tiennent pour modèle irréfutable ce qui s’avère un simple moment de l’Histoire. Un petit monde qui oublie les Françoise et Jupien, le monde de l’ouvrage et sa lente maturation. A dématérialiser la chose, on ne voit plus les mains qui la façonnent. Proust le cite sans qu’on y trouve à redire : l’ancien testament est aussi une mine pour comprendre les tragédies nées, précisément, de l’aveuglement et de l’inconséquence des uns des autres.  

Un mauvais moment à passer pour l’humanité ? Ou la réminiscence d’événements traumatiques favorisée, mise en lumière par la possibilité, puis la probabilité statistique de nouveaux chaos ? On ne le dira et répètera jamais assez : l’ère du multilatéralisme est née de Verdun. Combien de morts faut-il pour le voir ? Le savoir ? La mort n’est pas une idée abstraite mais une donnée frontale. 

Proust quittait Cabourg un matin de brouillard, la brume régnant sur la Manche au point de la recouvrir tout à fait. Il eut alors la prescience de son anéantissement. Et de cette mort clairement perçue, il fit non pas un bijou, mais un écrin pour accueillir l’urgence de la vie, qui comme telle doit se maintenir dure et unique comme le diamant. 

 

Jean-Philippe de Garate

Ancien avocat, ancien magistrat, JPG a défrayé la chronique avec son « Manuel de survie en milieu judiciaire » (éd. Fortuna). « Du côté de chez Céline » a mis en relief sa facette littéraire. A paraître : Le juge des enfants, éd. Portaparole, octobre 2019.

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