Imagine France
16H04 - lundi 27 mars 2017

La pédophilie : un mal qu’aucun Dieu ne saurait bénir

 

La pédophilie est une maladie qui détruit non « seulement » les enfants qui en sont victimes, mais les adultes qu’ils deviendront et qui ne seront jamais ceux qu’ils auraient été sans cette abjection. Force est de reconnaître que la prise de conscience de la gravité, voire de la réalité de ce fléau est assez récente. Dans les années 1970, celles de toutes les libérations, la célèbre pédo-psychanalyste Françoise Dolto avait été accusée de défendre la pédophilie, pour avoir signé un manifeste tendant à préconiser l’initiation sexuelle des adolescents et enfants par un adulte.

Pour excessives et sans doute infondées qu’aient été ces accusations, il n’en demeure pas moins vrai que de tels propos ne pourraient pas être tenus aujourd’hui sous peine de vindicte généralisée, voire de poursuites judiciaires. Par ailleurs, la pédophilie, tout comme l’inceste, étaient – et sont encore – largement étouffés par la loi de l’omerta. Elle est aussi une manifestation perverse de la maltraitance infantile et se conjugue souvent avec les violences faites aux femmes, comme l’explique fort justement Hélène Pichon dans son livre « L’Eternel au féminin », ouvrage dans lequel elle dénonce également l’hyper misogynie des cultes monothéistes, du moins de leurs clergés respectifs.

L’église catholique se distingue sur le terrain de la pédophilie, les affaires sordides défrayant la chronique les unes après les autres aux quatre coins de globe, au point de révéler un phénomène qu’on ne saurait circonscrire à la défaillance individuelle, à la maladie psychiatrique d’un prêtre ou d’un curé. Il s’agit en réalité d’une véritable pathologie collective affectant de nombreux représentants d’un dogme qui refuse à l’homme le droit d’être homme en lui imposant la chasteté et le célibat. Ce n’est pas le catholicisme originel qui est en cause : Jésus n’a jamais été chaste, et les évangiles n’ont jamais imposé aux serviteurs du culte cette absurde abstinence, qui loin de rapprocher le prêtre de son seigneur, ne cesse d’alimenter la tentation permissive dont nos enfants sont les premières victimes. La première réforme juridique qui s’impose se rapporte au droit canon, sur lequel l’électeur national n’a aucune emprise. Les Catholiques ont-ils seulement une influence sur la Curie romaine, sur le Pape ?

Sur le plan du droit français, il est possible et sans doute souhaitable de préciser les limites du secret professionnel auquel celui de la confession est assimilé, ainsi que les obligations de signalement en matière de protection de l’enfance, où les hypothèses laissant aux professionnels astreints au secret le choix de révéler ou de se taire sont parfois mal interprétées. Heureusement, les juges sont de moins en moins enclins à accepter que des ecclésiastiques puissent s’abriter derrière un quelconque secret pour ne pas dénoncer la pédophilie de leurs collègues, fussent-ils leurs supérieurs. Un mouvement analogue de la jurisprudence a été constaté en matière de secret médical : longtemps, les médecins se muraient dans le secret et refusaient de dénoncer la maltraitance, notamment institutionnelle. Les juges faisaient montre d’une considérable mansuétude à leur égard, avant que ne s’opère une inflexion jurisprudentielle qui s’est accentuée au cours des dernières années.

Les différences d’interprétation entre le secret du médecin et celui des prêtes illustrent la nécessité de redéfinir ces notions, du moins de les clarifier dans la loi. Les deux secrets sont éthiques et déontologiques. L’Ordre des médecins et l’Eglise peuvent sanctionner leurs ouailles selon leurs propres critères. Mais le juge est lié par la loi. Celle-ci est assez claire pour les médecins, la définition du secret au Code de la santé publique étant d’ailleurs en phase avec celle issue de règles déontologiques vieilles de vingt-trois siècles : tout ce que le médecin découvre ou entend à l’occasion de son art relève du secret, sans qu’il y ait nécessité d’une confession de la part du patient. Mais cela ne l’autorise pas à se taire en cas de péril ou dans certaines hypothèses de danger, sans doute trop restrictives, affectant un mineur ou une personne vulnérable.

Pour le prêtre, l’analyse est plus délicate. Dans une affaire où l’évêque de Bayeux était poursuivi pour non-dénonciation d’actes de pédophilie commis par un prêtre de son diocèse, le Tribunal de grande instance de Caen a jugé le 4 septembre 2001 que le droit d’option offert par l’article 434-3 du Code pénal ne s’appliquait pas, faute de secret professionnel. Cet article autorise les professionnels tenus au secret de ne pas révéler la maltraitance, même de nature sexuelle, infligée à des mineurs. Pourquoi : si, par exemple, un jeune adulte se confie à un médecin ou une assistante sociale, et lui révèle des faits subits durant son enfance, il peut considérer que le temps a fait son œuvre et préférer ne pas affronter la tempête que provoqueraient une révélation et un procès. Le législateur a décidé de respecter ce choix de la victime en laissant au professionnel la liberté de révéler ou de se taire. Cela ne correspond en rien à la situation de l’évêque de Bayeux, mais l’imprécision de la loi peut conduire à ce type d’interprétation fallacieuse. En outre, il ne s’agirait pas, selon les juges, d’un secret « professionnel », qui en l’espèce nécessiterait une révélation, et donc, ne concernerait que la seule confession. Le secret du médecin porterait-il sur tout ce qu’il découvre, entend et apprend, alors que celui du prêtre serait cantonné aux faits révélés ? La réponse est plus nuancée, car les juges ont estimé que le prête n’est dans cette fonction à l’égard du fidèle que lorsqu’il reçoit ses confidences en sa qualité de ministre du culte. Le secteur sanitaire, et parfois social, présentent d’autres spécificités et configurations. D’ailleurs, au sein d’un hôpital, tous les salariés et même les prestataires externes sont astreints au secret. Un cuisinier, un homme de ménage travaillant à l’hôpital peut fort bien y croiser son voisin sur un lit ou un brancard. Il lui serait interdit d’en faire état.

Il est regrettable qu’il faille se livrer à de l’exégèse juridique pour comprendre les contours et les limites du secret professionnel et des obligations de signalement. La clarté de la loi et son intelligibilité sont une condition de son application spontanée. Et pourtant, ce n’est pas dans ce sens que va le législateur. Depuis l’affaire de Bagneux, des obligations nouvelles (information préoccupante et signalement en matière de protection de l’enfance) ont été introduites au Code de l’action sociale et de familles. Mais elles n’auraient eu aucun impact sur cette affaire, ne serait-ce que parce qu’aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect des dispositions du Code de l’action sociale et des familles. Ensuite, les ecclésiastiques ne se sont pas considérés comme apportant leur concours à la protection de l’enfance. Vraiment ? Quand le législateur met en place le Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger (SNATED), ne considère-t-il pas que tout citoyen se doit d’appeler le 119 en cas de danger pesant sur un enfant ? Là encore, le manque de clarté et l’empilement de dispositions réparties dans plusieurs codes ne sont pas de bon aloi.

Plus récemment, d’autres affaires de pédophilie ont éclaboussé l’église, et plus spécialement le diocèse de Lyon, dont l’éminent cardinal Philippe Barbarin n’a échappé à des poursuites pénales que par la seule grâce de la prescription, qui vient d’être réformée (vingt ans au lieu de dix en matière criminelle ; six ans au lieu de trois en matière correctionnelle, à compter du jour où l’infraction a été constatée et non commise, si les faits étaient occultes ou dissimulés. A compter de la date de l’infraction, la prescription est désormais de douze ans pour les délits et trente ans pour les crimes).

Plus généralement, une refonte globale du droit et de la protection de l’enfance serait la bienvenue, car la loi du 5 mars 2007, amendée à plusieurs reprises et notamment en 2016, a engendré un formidable catalogue de mesures qui n’ont en rien réduit la maltraitance. Tout est compliqué, hyper-règlementé, et pourtant interprété de manière très libre et divergente par les acteurs de la protection de l’enfance, au premier chef le Service départemental de protection de l’enfance (ASE) et le parquet. Le mécanisme de « l’information préoccupante » et du signalement doit être revu, le juge aux affaires familiales et le juge de enfants doivent fusionner, un Code de la famille et de l’enfance doit être créé, les parents doivent être formés de manière ludique à exercer l’autorité parentale, ce que les nouvelles technologies permettent à moindre coût. C’est aussi pourquoi Opinion Internationale a inclus la protection de l’enfance à son initiative Imagine 2017, à l’occasion des prochaines élections.

Raymond Taube
Directeur de l’Institut de Droit Pratique

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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