République centrafricaine
16H34 - jeudi 27 février 2014


« Les accords de N’Djaména doivent être appliqués »

 

Le Général centrafricain, Mohamed Moussa Dhaffane, deuxième vice-président de la Séléka lors de la prise du pouvoir par Michel Djotodia et actuel chef de la Séléka en RCA, confie à Opinion Internationale les raisons de son engagement avec cette organisation mais explique aussi son opposition nette à certaines de ses dérives. Il veut garder l’espoir d’une Centrafrique apaisée. Elle passe avant tout, selon lui, par la mise en confiance de la population musulmane, mais aussi par le respect des accords de N’Djaména et par la volonté politique sincère de tous les acteurs d’œuvrer pour la réconciliation.

 

Le Général Mouamed Moussa Dhaffane, N°1 de la Séléka

Le Général Mohamed Moussa Dhaffane, n°1 de la Séléka

 

Pourquoi êtes-vous entré en rébellion contre Bozizé ?

Ma motivation avait comme fondement les politiques d’exclusion, d’isolement, d’indifférence, voire même de bannissement appliquées délibérément par le pouvoir central sur une frange importante de la population centrafricaine considérée comme citoyens de seconde zone en raison de leur culture et/ou de leur religion.

A titre d’exemple, nos compatriotes originaires des régions du nord-est ont été longtemps abandonnés, toujours brimés et rackettés par le pouvoir central et par des bandes armées du Darfour. Pendant la saison des pluies, ils se retrouvent coupés de tout contact avec le reste du pays, cela, dans l’indifférence totale de nos élites politiques et de tous ceux qui ont eu à gouverner notre pays.

Certaines localités de ces régions, dont le nombre d’habitants pourrait être comparable à celui de certaines grandes agglomérations de nos provinces, demeurent administrativement gérées depuis 50 ans comme des villages dans lesquels il n’y aucune infrastructure administrative, ni école ni dispensaire.

Le service d’Etat civil y est quasi inexistant. Les exemples des localités de Sikikédé dans la Vakaga ou d’Akoursoubak (plus de 150 ans d’existence) dans le Bamingui Bangoran (au nord) en sont des parfaites illustrations.

Par la suite et à force de subir, les injustices ont progressivement modifié ma perception des enjeux politiques à l’origine de notre sous-développement socio-économique. Dès lors, j’étais convaincu que si notre pays avait été dirigé dans la bonne gouvernance, sans tribalisme, dans un Etat de droit avec une démocratie participative, alors nous entrerions dans une dynamique de développement qui serait intégrale et qui ferait qu’aucune Région ou catégorie de la population ne serait lésée, notre Centrafrique deviendrait rapidement un pays émergent.

Carte de la République Centrafricaine

Pourquoi avez-vous été emprisonné au Tchad ?

J’ai été mis aux arrêts pour ne pas inquiéter le pouvoir de l’ex-président François Bozizé, parce que j’ai été présenté par celui-ci comme un bandit.

Je suis resté en prison au Tchad pendant 3 ans et 4 mois, jour pour jour. Arrêté le 24 août 2009 par la complicité de l’un de nos camarades de lutte, j’ai été libéré le 24 décembre 2012 pour me rendre à Libreville (Gabon) en vue de prendre part au Dialogue inter-centrafricain sous l’égide de la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale). C’est dire que François Bozizé a eu toutes les chances de demeurer au pouvoir mais il n’a pas su saisir cette occasion. 

Qu’avez-vous exactement dit à Bozizé lors de la réunion de Bangui en janvier 2013 ?

J’ai dit à François Bozizé que le véritable mal de notre pays était la pratique de l’exclusion comme mode de gestion du pouvoir de l’Etat. Je lui ai dit de changer et que nous aussi, nous changerions. Je pensais à cet instant que seul un changement de méthode et de mentalités devait sauver notre pays. J’étais sincère.

Que s’est-il passé entre vous et M. Djotodia pour qu’il vous limoge et vous emprisonne ?

Etant donné le contexte d’insécurité généré, conséquence du renversement de l’ancien Régime, la hantise de ce qui pourrait advenir à la cohésion nationale en cas d’échec de notre part à restaurer l’autorité de l’Etat et la sécurité sur toute l’étendue de notre territoire m’avait poussé à m’opposer ardemment aux dérives, aux exactions de certains de nos éléments, à tel point que j’étais devenu très dérangeant.

Suite aux assassinats du quartier Gobongo à Bangui du 28 juin 2013, j’ai décidé d’enfreindre à mon devoir de réserve en tant que membre du gouvernement. J’ai donné une interview à RFI, au micro de Cyril Bensimon, pour dénoncer ces assassinats. Je ne pouvais plus le supporter, alors j’ai appelé publiquement à un dialogue inter-Séléka, pour arrêter le chaos qui s’installait. Qui pouvait me comprendre ?

J’ai réitéré mon appel à un dialogue inter-Séléka qui devait répertorier les combattants centrafricains des étrangers, déterminer la nature de leur contrat d’engagement dans la lutte et savoir qui les commandait. Ainsi nous pourrions cantonner tous les éléments, Centrafricains à part et étrangers à part, anciens FACA (Forces armées centrafricaines) à part et simples combattants à part et appeler les FACA à une reprise de service. Puis nous aurions demandé à la communauté internationale de nous aider à gérer la complexité du dossier DDR (Désarmement, Démobilisation, Réintégration) et rapatriement. Nous aurions pu éviter tout le désastre que le pays connaît aujourd’hui.

Cette interview diffusée le lendemain, le 29 juin, a mis en difficulté beaucoup de mes camarades, et aussi les partenaires politiques de la Séléka. Michel Djotodia m’appelle donc pour le retrouver au Camp de Roux. C’était vers 17 heures. Quand je suis arrivé, il m’a dit qu’on lui a rapporté que j’avais déclaré sur RFI que rien n’allait entre nous et que la Séléka était divisée. Je lui ai répondu que ce n’était pas vrai, que ce que j’ai dit allait dans le sens de résoudre les problèmes. L’échange a été vif, et j’ai été en colère de m’être retrouvé face à de gens qui ne comprennent rien au sens de la responsabilité et du devoir, et qui n’avaient ni l’attitude ni les capacités nécessaires à prétendre exercer le pouvoir de l’État. Je m’étais emporté, j’ai tapé du poing sur la table pour mettre un terme à notre collaboration, je me suis levé et j’ai claqué la porte pour m’en aller. C’était insupportable. Je ne pouvais plus. J’avais pris la décision de démissionner pour sauver mon honneur et ma bonne réputation. Là j’ai été arrêté chez lui, c’était le samedi 29 juin à 17 heures, loin de mes hommes. J’étais tombé dans un piège.

 

Tout ce que nous demandons, c’est l’application de l’Accord de Ndjamena

 

Comment analysez-vous la situation sécuritaire et politique du pays ?

D’abord, il faut se parler en n’évitant aucun interlocuteur sérieux. Les ex-rebelles Séléka sont cantonnés. Ceux qui se sont retirés dans le centre et le nord-est ne persécutent personne. Il est vrai que certains demandent la partition du pays parce qu’ils se sentent rejetés par une partie de leurs compatriotes qui pratiquent à grande échelle sur toute la moitié ouest du pays une véritable épuration, un nettoyage ethnico-religieux sur la population musulmane. Les objectifs clairement affichés devant l’opinion tant nationale qu’internationale de ces compatriotes faussement appelés milices chrétiennes consistent à vider ces régions de toutes leurs populations musulmanes.

Or, face à ce qui s’apparente à un génocide à la centrafricaine, les autorités de la transition ne s’emploient pas à mettre véritablement les ex-Séléka et la population musulmane en confiance. Ces Autorités ne comptent que sur la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique) et les Sangaris (opération militaire de l’armée française conduite en République centrafricaine depuis le 5 décembre 2013) pour faire tout le boulot, ce qui est une erreur.

Sur le plan politique, les combattants de l’ex-Séléka n’ont aucun problème avec l’actuelle Présidente de la transition qui a été régulièrement élue par le CNT (Conseil National de Transition). Tout ce que nous demandons, c’est l’application de l’Accord de Ndjamena qui constitue le fondement de la Transition en cours. Ne pas l’appliquer, c’est scier la branche sur laquelle on est assis. 

L’Accord de Ndjamena stipulait que la Séléka perdrait la présidence de la République au profit d’un(e) autre Centrafricain(e), et elle obtiendrait en contrepartie la primature. Il y a aussi d’autres arrangements politiques susceptibles de favoriser des mesures d’accompagnement pour une transition apaisée 

Comment pouvons-nous aboutir à la paix ? 

Il faut respecter nos engagements même si nous devons perdre quelques privilèges, vider la haine de nos cœurs par un engagement politique sincère en faveur de la paix, de la réconciliation et d’une justice équitable et réparatrice pour rassurer les plus vulnérables et les victimes, prendre le temps qu’il faudra pour organiser des élections crédibles et acceptables par tous.

Quel message adressez-vous à l’opinion publique ?

Je voudrais rassurer vos lecteurs en leur disant qu’il n’y a pas d’amalgame à faire entre musulmans et Séléka, et nous devons ensemble barrer la route à l’intolérance religieuse. Je crois fermement au caractère un et indivisible de notre pays, pourvu que l’on nous aide dans ce sens afin que les partisans de la scission ne nous devancent pas. Je crois que les Sangaris et la MISCA doivent continuer à bénéficier de notre soutien pour nous aider à sauver notre patrie. Je tiens à rassurer mes compatriotes : je reste à Bangui parce que je crois encore à la réconciliation nationale et je pense que les communautés centrafricaines peuvent encore « revivre ensemble ». Beaucoup de bons souvenirs trottent sans cesse dans nos têtes. Pourquoi renier toutes ces belles petites choses qui ont fait notre enfance, notre vie ? Nous avons tellement partagé, échangé et cohabité que, pour moi, imaginer l’avenir sans mes compatriotes est inacceptable. Voilà pourquoi je suis toujours à Bangui, capitale de notre pays plus grand que la France et la Belgique réunies. Je suis là pour rassurer, et pour garder une flamme d’espoir qu’on peut recommencer à être ensemble comme avant, peut-être même mieux qu’avant. Nous avons droit à l’espérance.

 

Qui est le Général Mohamed Moussa Dhafane ?

De nationalité centrafricaine né à Birao dans la Vakaga (proche du Tchad). Il a grandi à Bangassou (proche de la RDC) chez son grand-père appelé affectueusement « Faki Peindèrè » et qui était l’Imam de la mosquée de Bangassou. Il a grandi dans cette ville de son enfance, sur les traces de son père et de ses oncles.

Avant son entrée dans le gouvernement de Transition 1 et 2 comme ministre d’État en charge des Eaux, Forêts, Chasse et Pêche, de l’Environnement et de l’Écologie, il a longtemps travaillé à la Croix Rouge Centrafricaine (CRCA) comme Cadre Volontaire de 1999 à 2008. Il a géré le partenariat entre l’UNHCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés) et la CRCA, ainsi que les sites des Réfugiés soudanais à Mboki (Haut Mbomou, frontalier avec le Soudan), Congolais à Molangué (préfecture de Lobaye au sud de Bangui), et Tchadiens à Boubou (Ouham, nord-ouest). Il est devenu Président National de la CRCA en 2003.  

Toujours pour la CRCA, il a aussi travaillé avec le Fonds mondial de lutte contre le SIDA dont le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) était le bénéficiaire principal.

Par la suite, il a travaillé pour les intérêts Libyens en Centrafrique notamment dans le projet de la construction de l’hôtel Ledger Plazza (un hôtel 5 étoiles à Bangui) jusqu’en 2008, année de son entrée en rébellion contre le régime de François Bozizé (Président de la RCA déchu le 24 Mars 2013 par les rebelles de la Séléka menés par Michel Djotodia).

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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