République centrafricaine
10H19 - vendredi 14 février 2014

« Soyons unis pour la reconstruction de notre pays ! »

 

Ousman Badamassy, un chef d’entreprise centrafricain, de confession musulmane a tout perdu le mois dernier, et a dû fuir son pays après une attaque des anti-balaka. Il ne veut pour autant pas perdre espoir, il livre un témoignage poignant à Opinion Internationale.

 

    Ousman Badamassy, un chef d'entreprise centrafricain

Ousman Badamassy, un chef d’entreprise centrafricain

 

Vous êtes musulman mais vous avez aussi origines chrétiennes par certains membres de votre famille. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis un opérateur économique centrafricain et suis né à Bangui en 1956. Mon grand-père de l’ethnie youruba du Nigeria a été emmené par les colons à Bangui. Mon père est quant à lui né à Bangui vers 1935 et ma mère est une gbaka bodoro, ethnie de la République centrafricaine. Toute ma famille est en RCA, mes cousins sont tous chrétiens, de la famille Lenghat, Salebo, Perriere, Mokanamadé, Ndémbo etc… Ils sont tous chrétiens et ils sont ma famille.

Avez-vous été victime et comment percevez-vous cette violence qui prévaut en RCA ?

Le jour de mon retour de France, le 22 janvier dernier, j’ai été attaqué par une quarantaine de milices anti-balaka armés d’AK47 et de lance-roquettes. Parmi les assaillants figuraient trois éléments de la FACA (Force Armée Centrafricaine) en tenue. Ils ont emporté tous mes effets, mes médicaments, ma voiture, une somme importante d’argent. En un mot ils ont vidé mon domicile devant mes enfants et ma femme.

Les Sangaris et la MISCA ont été appelé sur le numéro d’urgence et là personne ne nous a secourus.

Comme si cela ne suffisait pas, le 1er février, les anti-balaka sont venus piller et incendier le domicile familial, mes magasins et mes camions. Neufs maisons et des biens sont partis en fumée dans le quartier de Miskine et là encore j’ai perdu des biens, immeubles et camions pour un montant très important.

Face à cette situation, je remets tout entre les mains de Dieu. J’ai pu évacuer à l’aide d’une ONG extérieure vingt-cinq personnes de ma famille dans un camp de réfugiés à Ndjaména, au Tchad et une autre partie à Douala au Cameroun. Je suis arrivé au point où je ne crois plus en la RCA. Mais je n’ai pas d’autre pays. C’est mon pays. Je dois y croire. La haine contre les musulmans est trop forte et pourtant je ne suis pas un Seleka. Je suis un Chef d’entreprise centrafricain.

 

Il existe un amalgame à considérer tout musulman comme membre de la Séléka

Je ressens un sentiment de désolation face à la dérive de mes compatriotes. Des violences indescriptibles, une haine incompréhensible, les chefs anti-balaka qui s’expriment dans les médias sans être inquiétés et qui réclament même une reconnaissance pour la libération du peuple centrafricain. Il existe un amalgame consistant à faire de tous les musulmans un membre Seleka. Je suis fatigué de cette tuerie sauvage sans précédent contre les musulmans centrafricains, tchadiens, nigériens, sénégalais etc… Tout cela est sauvagement programmé par les partisans de Bozizé (NDLR : l’ex-président de la Centrafrique, renversé par les rebelles en mars 2013). Bizarrement, personne ne le dénonce, ni les politiques, ni les ONG de défense des droits de l’homme, encore moins les autorités actuelles. Quant aux Sangaris, c’est encore pire : Ils n’ont rien fait. Une certitude, mon pays la RCA véhicule et offre une image de honte aux médias internationaux.

 

En tant que chef d’entreprise, comment trouvez-vous situation socio-économique du pays ?

La situation économique est pire et catastrophique. Elle était déjà mal au point depuis une dizaine d’années. Les mois à venir seront très difficiles pour mes compatriotes car la famine va sévir. Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) ne va pas éternellement les nourrir à partir du moment où les anti-balaka ont fait fuir tous les commerçants musulmans. Ce matin j’ai appris qu’ils ont découpé un commerçant nigérian biafrais. Quel investisseur ira dans un tel pays investir son argent et se faire découper ? Qui profitera de l’aide fournie par la communauté internationale ? Certainement les libanais qui ont le courage de rester mais à quel prix et jusqu’à quand? Les oignons, arachides etc… viennent du Tchad, les allumettes du Cameroun. Imaginez un peu si ces pays décidaient de rompre leurs relations avec la RCA !

 

Selon-vous quelle est la solution pour que la RCA puisse connaître à nouveau la paix ?

Pour retrouver la paix, il faut une fermeté de la part des autorités actuelles. D’abord appliquer à la lettre les résolutions des Nations Unies qui semblent être bien malmenées par la MISCA et les Sangaris. Pendant ce temps, les blessures causées par toutes ces atrocités au milieu des deux communautés se gangrènent. Il faut une solution radicale. Ensuite il faudra inviter les parties à s’assoir et à discuter. Chacun doit comprendre que chaque citoyen a des droits et des devoirs envers son pays. Exclure les musulmans centrafricains accentuerait ce conflit, ce n’est pas la solution. Traiter les musulmans d’étrangers n’est pas juste. Qui avait pactisé avec la Seleka en 2003 ? Qui a donné naissance les anti-balaka en 2013 ? Ces questions tournent autour d’un homme, François Bozizé, qui s’est révélé être incapable de diriger ce pays dix ans durant. Mais une certitude, pardonnons-nous et cessons d’attiser la haine. L’avenir est plus important que le passé.

 

Que souhaitez-vous lancer comme message aux lecteurs d’Opinion Internationale ?

Un message de paix, car sans elle, rien ne peut se faire, de justice, car sans elle, il n’y aura pas de pardon. Que mes frères chrétiens enlèvent de leurs têtes que Seleka est égal à musulman. Que les musulmans ne traitent pas les anti-balaka de milice chrétienne. Acceptons-nous car il existe un grand nombre de métissage, de brassages au milieu du peuple centrafricain. Soyons unis et un pour la reconstruction de notre pays.

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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