La Citoyenne
15H54 - dimanche 9 juin 2013

En Libye, les femmes font la guerre et perdent leurs droits

 

Bien que la guerre civile en Libye soit terminée depuis octobre 2011, le pays est toujours instable politiquement et régulièrement sujet à des attentats, tel que celui du 13 mai dernier à Benghazi. Les femmes, qui font face à des problèmes particuliers de violences sexuelles en temps de guerre, pâtissent tout autant d’un manque de stabilité et d’une situation peu sûre. Les Libyennes, en l’occurrence, doivent en outre parer les réformes politiques qui leur ôtent leurs droits et libertés.

Pour Opinion Internationale, Patricia Lalonde, directrice de l’ONG Mewa qui aide à la formation des femmes élues en Afghanistan, en Tunisie et en Libye, évoque l’avenir très incertain des droits des femmes libyennes.

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Quelle était la situation des femmes avant le renversement de Mouammar Kadhafi et la guerre civile ?

P.L. : Kadhafi n’avait pas mis la charia dans les textes : il s’inspirait uniquement du Coran, et avait donné aux femmes un certain nombre de droits, en tous cas sur le papier. Les femmes pouvaient travailler, elles allaient à l’université et l’école était obligatoire pour les filles. Kadhafi a essayé de laisser aux femmes le maximum de leurs droits. Il y avait des femmes militaires, quelques femmes ministres, des femmes avocates… Mais ces femmes faisaient parti du cercle kadhafiste.

Sinon, la dictature de Kadhafi était épouvantable. Surtout pour les femmes, qui pouvaient être l’objet des viols de Kadhafi, comme on en a entendu parler. De nombreuses femmes ont témoigné avoir été terrorisées à l’idée que le Guide vienne dans leur village, parce que si jamais le regard du Guide se posait sur une femme et la convoquait, cette dernière était obligée de subir tous ses caprices. Donc d’un côté Kadhafi donnait des droits aux femmes, et de l’autre côté il les maltraitait lui-même. En outre, les femmes ne pouvaient pas s’exprimer sur la scène publique, car les associations n’étaient pas tellement tolérées, il n’y avait pas de liberté d’expression.

 

Quel changement de la situation des femmes a-t-on pu constater depuis le début du conflit il y a deux ans ?

P.L. : Les femmes se sont beaucoup investies dans la révolution, elles se sont énormément battues pour aider à faire avancer la révolution. Elles ont voulu sortir d’une dictature, et elles n’ont pas du tout réfléchi à la possibilité qu’elles mettaient leurs droits en danger. Et pourtant pendant la guerre, un grand nombre a été victime de viols, une violence sexuelle utilisée comme arme de guerre. L’OTAN est intervenu mais cela n’a pas mis fin aux viols, qui sont encore répandus aujourd’hui. Cependant, la chape de plomb de la dictature était plus forte que tout le reste, donc les Libyennes ont beaucoup manifesté pendant la révolution.

Patricia Lalonde

Patricia Lalonde

Mais la suite n’est pas gagnée, et cela risque même d’aller très mal pour les femmes en Libye. Aux élections législatives en juillet 2012, le Conseil national de transition (CNT) avait permis que 600 femmes se présentent, dont 33 ont été élu, ce qui représente 16% seulement. Le grand risque aujourd’hui concerne le report répété de la rédaction de la prochaine constitution. Comme cette constitution va déterminer leurs droits juridiques, cela sera vraiment un tournant pour les femmes.

Politiquement, ceux qui sont en embuscade derrière ces retards sont les Frères musulmans – il s’est passé la même chose en Tunisie et en Egypte. Seulement, en Libye, ces Frères musulmans n’ont pas pu arriver au pouvoir tout de suite : ce sont les libéraux qui ont gagné, qui ont eu la majorité des sièges au Parlement en juillet, tandis que les Frères musulmans étaient minoritaires. Cela allait donc dans le bon sens pour les femmes, mais cela se retourne en ce moment. Actuellement, ils sont en train de faire la chasse aux kadhafistes, ce qui risque de faire démissionner du monde au Parlement – d’ailleurs le président du Parlement Mohammed Al-Megarif lui-même est concerné par cette histoire [et a démissionné le 28 mai]. Par conséquent, cela laissera des places aux Frères musulmans et à leur parti Justice et Construction (PJC). Et si les Frères musulmans ont la majorité au Parlement, on peut être sûr que dans la prochaine constitution, le statut de la femme sera dégradé. En effet, leur but est d’appliquer la charia, et ils le font plus ou moins doucement, plus ou moins masqués, selon les situations et les pays. Cela me fait vraiment peur pour la suite.

Néanmoins, quoique la société civile ne soit pas aussi bien organisée qu’en Tunisie, les femmes libyennes sont très fortes. Beaucoup d’ONG, près de 140, se sont constituées depuis le départ du Guide. Les femmes libyennes se battent quand même. Mais bien sûr, si dans la nouvelle constitution, elles ont moins de droit, alors elles auront perdu, et même tout perdu je pense, car cela m’étonnerait que la liberté d’expression sous le règne des Frères musulmans s’améliore.

 

Propos recueillis par Cléo Fatoorehchi

Journaliste à Opinion Internationale et coordinatrice de la rubrique La Citoyenne.

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