Tunisie
06H16 - lundi 18 février 2013

Stupeur et tremblement dans le paysage politique tunisien : retour sur une semaine politique tunisienne

 

 

Première Séance de l'Assemblée Constituante Tunisienne le 22 Novembre 2011

Première Séance de l'Assemblée Constituante Tunisienne le 22 Novembre 2011

« L’étape actuelle nécessite un gouvernement de coalition nationale ouvert aux partis et aux indépendants, et qui s’appuie sur une large base parlementaire, politique et populaire. » ce sont les mots du communiqué commun des partis Ennahdha, du Congrès Pour la République (CPR), du Mouvement Wafa et du groupe parlementaire « Liberté et dignité » qui annonçait jeudi dernier, la formation d’une nouvelle coalition au pouvoir. « Ce gouvernement doit œuvrer pour la réalisation des objectifs de la révolution, et en premier lieu la reddition des comptes, la lutte contre la corruption, la lutte contre la vie chère ainsi que le rétablissement de la sécurité ».  Ces mêmes parties ont appelé à l’union nationale nationale, réaffirmant que « le parti Ettakatol constitue un  partenaire fondamental dans ce consensus. » Ils ont par ailleurs souligné leur attachement à l’unité nationale, à la légitimité de l’ANC et à la concrétisation des objectifs de la révolution.

 

L’ultimatum du CPR

Dans cette recomposition du paysage politique, la position du CPR est ambivalente. Les tensions sont encore vives entre Ennahdha et le CPR, qui a  menacé  à maintes reprises de quitter le gouvernement. Rappelons que ce parti laïc de centre-gauche, ainsi que le parti Ettakattol, autre formation laïque de centre-gauche, formaient avec le parti islamique Ennahdha un gouvernement de coalition depuis les élections d’octobre 2011.

Ces menaces font suite au congrès national extraordinaire, tenu le 2 févier 2013, en présence de Rached Ghannouchi, Hammadi Jebali, Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol) et Mohamed Abbou (secrétaire général du CPR) et qui n’a pas abouti à un consensus sur un remaniement ministériel. Le Congrès pour la République, avait publié un communiqué en précisant les conditions d’un ultimatum posé à son allié au pouvoir, Ennahdha. Il prévoyait en cas de non-acceptation de l’accord, de quitter le gouvernement dans un délai d’une semaine et de rejoindre les rangs de l’opposition.

Dans ce contexte le CPR avait menacé, dans un communiqué rendu public, de retirer l’ensemble de ses ministres du gouvernement si le remaniement ministériel, annoncé depuis des mois, n’aboutissait pas. Le CPR réclamait des ministères régaliens, actuellement aux mains du parti islamiste : les  ministères de la Justice et des affaires étrangères. Au cœur de la discorde sur le ministère  des Affaires étrangères, son ministre Rafik Ben Abdessalem Bouchlaka, le gendre du président d’Ennahdha Rached Ghannouchi vivement critiqué, par ses propres diplomates, pour n’avoir pas su conduire les affaires extérieures de la Tunisie durant cette étape sensible. Le président de la République Moncef Marzouki avait alors annoncé, dans une lettre adressée au Conseil National du CPR, qu’il démissionnerait de son poste si les partis de la Troïka n’arrivaient pas à trouver un accord sur le remaniement ministériel.

 

Entre-temps, les événements s’accélèrent : l’assassinat de Chokri Belaid et l’annonce du Premier Minisitre Hamadi Jebali de former un nouveau gouvernement composé de technocrates, entrainant une aggravation des tensions au sein du parti Ennahda et un repositionnement des forces sur l’échiquier politique. Pris de vitesse par la proposition de M. Jebali, le CPR est revenu sur son ultimatum en annonçant lors d’une conférence de presse tenue par Mohamed Abbou, Secrétaire général du parti, que le parti avait décidé de « geler » son retrait du gouvernement dans une ultime réconciliation avec Ennahdha au sein d’une nouvelle coalition annoncée le 13 février. M. Abbou avait expliqué lors de cette conférence que les trois ministres du CPR resteraient une semaine supplémentaire au gouvernement, rappelant en outre que les ministres CPR concernés ont bien rédigé leur démission mais que le CPR tenait à patienter dans l’intérêt du pays.

 

Hamadi Jebali cherche un soutien national et international

A la recherche d’un appui national, le chef du gouvernement provisoire, Hamadi Jebali, a formé sous sa présidence, un Conseil de sages rassemblant seize personnalités du monde politique tunisien, d’experts en droit constitutionnel et de quelques membres du gouvernement. Ces personnalités, parmi lesquelles le professeur Kaïs Saïed, constitutionnaliste chevronné, le général et le Chef d’état-major des armées Rachid Ammar, le juriste Yadh Ben Achour, spécialiste de droit public et des théories politiques islamiques et ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, le cheikh Abdel Fateh Mourou, vice-président du mouvement Ennahda et membre du conseil de la Choura, l’écrivain et politologue Slaheddine Jourchi, l’ancien syndicaliste Mustapha Filali, l’ex-ministre des Finance sous H Bourguiba Mansour Moalla, Abou Yaareb Marzouki  docteur en philosophie, Ahmed Mestiri, AbdeljelilTemimi et Fethi Touzri.

« Ce Conseil a été créé afin d’évaluer la situation actuelle dans le pays et de présenter des solutions permettant une sortie de crise », a expliqué le ministre de la Culture Mehdi Mabrouk à l’agence de presse officielle TAP. Lors de sa première réunion, le Conseil des sages avait critiqué l’Assemblée nationale constituante (ANC) pour sa lenteur et insisté sur la nécessité de fixer la date de fin de l’élaboration de la nouvelle constitution et d’organisation des élections.

 

En revanche, la création de ce Conseil des sages a suscité quelques critiques notamment à propos de la présence en son sein du général Rachid Ammar, Chef d’état-major de l’Armée.  Sur ce point, Abou Yaâreb Marzouki, conseiller auprès du chef du gouvernement et membre aussi membre du Conseil des sages, a expliqué que la présence du Général n’était en aucun cas un signe de son approbation de l’initiative de Hamadi Jebali. Le porte-parole officiel de la Présidence de la République, a également critiqué la présence de Rachid Ammar dans ce Conseil, ajoutant que le Chef du Gouvernement aurait dû  consulter le Président de la République Moncef Marzouki et l’ANC avant de créer ce conseil.

Pour rassurer ses interlocuteurs étrangers et s’assurer d’un certain soutien des chancelleries, M. Hammadi Jebali, a effectué une série d’entretiens successifs avec des ambassadeurs à Carthage. M. Jebali a ainsi reçu William Taylor, chargé de la transition démocratique dans les pays du printemps arabe au sein du Département d’Etat américain, en présence de l’ambassadeur américain en Tunisie Jacob Walles. M. Jebali s’est  aussi entretenu avec une dizaines d’ambassadeurs de l’Union Européenne, de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Libye ainsi que de l’Egypte, du Maroc et de l’Algérie, en présence du ministre des affaires étrangères Rafik Ben Abdessalam.

 

Dans ce contexte de grave confusion, le Premier Ministre Hamadi Jebali  devait annoncer la nouvelle composition du gouvernement le vendredi 15 février 2013, mettant en jeu sa démission si son gouvernement n’était pas validé. Après un énième report et de nouvelles consultations avec les partis politiques, le Premier Ministre Hamadai Jebali a repoussé, une nouvelle fois, son annonce au lundi 18 février 2013.

 

Sabra Mansar