Tunisie
08H01 - jeudi 10 janvier 2013

De l’indépendance de la justice en Tunisie : entre l’enclume et le marteau

 

Aujourd’hui jeudi 10 janvier 2013, les juges, les avocats et la société civile s’insurgent devant l’Assemblé Nationale Constituante (ANC) contre le manque d’indépendance de la justice.

Corruption, soumission, assujettissement et asservissement. Voilà à quoi était condamnée la magistrature en Tunisie du temps de l’ancien régime : fief de l’exécutif, la justice tunisienne était pour le gouvernement de Ben Ali, un des piliers de sa dictature.

Avec l’avènement de la Révolution, les juges tunisiens ont entamé une nouvelle ère. Celle de la réclamation de leur émancipation du pouvoir exécutif. Une nouvelle phase, non sans rebondissements et soubresauts. Les manifestations appelant à l’indépendance du pouvoir judiciaire et à l’assainissement de la justice des sbires de Ben Ali se font de plus en plus nombreuses. Et pour cause, plusieurs faits montrent qu’une réelle menace plane sur l’instauration d’une magistrature indépendante et neutre.

 

L’indépendance de la magistrature ferait-elle peur ?


Avocats, magistrats, société civile comme médias dénoncent depuis des mois la prééminence du pouvoir exécutif sur le judiciaire. La Présidente de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT), Maître Kalthoum Kannou a affirmé, sur ce point, dimanche dernier, lors de l’ouverture de l’assemblée générale ordinaire de l’AMT, l’existence d’une «volonté politique visant à atteindre l’indépendance de la justice et imputer la création de l’Instance provisoire de la magistrature.»

Cette «volonté» s’explique en autres par les nominations et les limogeages aléatoires de plus de soixante-quinze juges tunisiens par le ministre de la Justice tunisien Noureddine Bhiri, depuis sa nomination à la tête dudit ministère.

Des actes qui ont été jugés comme «injustes et arbitraires» par l’organisation Human Rights Watch (HRW) dans son rapport du mois d’octobre 2012 rajoutant que «Ces renvois ont établi un précédent inquiétant et accru la subordination de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif.». HRW rappelle aux membres de l’ANC l’urgence de l’adoption d’une loi pour activer la création «d’un corps indépendant qui régisse les sanctions disciplinaires et les révocations des juges de façon impartiale et transparente».

M. Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de HRW a déclaré dans ce sens que : «Les juges ne devraient subir de révocation que pour des fautes professionnelles ou des incompétences graves, et seulement à la suite de procédures justes et impartiales».

Outre ces décisions jugées «arbitraires», la nomination d’un magistrat pour se charger des dossiers de corruption, dont l’épouse Widad Bouchamaoui n’est autre que la présidente de l’organisation patronale l’Union Tunisienne de l’industrie du commerce et de l’artisanat (UTICA), attise les critiques des juges tunisiens. Ces derniers trouvent inconcevable que ce juge soit nommé procureur de la république, représentant le parquet du Tribunal de première instance à Tunis, pour traiter des dossiers de corruption des hommes d’affaires tunisiens.

A ce jour, l’exécutif ne parvient toujours pas à s’abstenir d’ajouter son grain de sel et d’intervenir dans l’exercice du Judiciaire.

 

Un ministre de la Justice qui ne voit pas les choses sous cet angle


Invité à une séance plénière au sein de l’ANC, mardi 8 janvier 2013, le ministre tunisien de la Justice Noureddine Bhiri affirme que : «La justice n’est toujours pas indépendante et son indépendance n’est pas pour demain.». Selon lui, ce qui entrave l’émancipation de la magistrature, ce sont : «les forces du pouvoir et les pressions» qui existent dans le paysage politique tunisien. Ces dernières empêchent, selon M. Bhiri, «les processus de réforme.»

Il a ajouté être persuadé que l’indépendance de la justice est l’une des pierres angulaires de l’instauration de la démocratie mais que cela dépend de la volonté des juges qui doit être accompagnée de l’indépendance du barreau, des greffiers de justice, des huissiers de justice et des experts. Quant à la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature qui tarde à être prononcée, M. Bhiri a affirmé que le mandat dudit conseil n’est pas encore achevé et dans le cas contraire, cette dissolution risque de créer un vide juridique.

Interrogé sur la polémique qu’est devenue le procès du propriétaire de la chaîne télévisée privée Ettounsia, Sami Fehri, le ministre de la Justice tunisien s’est juste contenté de préciser que : «la Cour de Cassation avait rejeté le jugement avec renvoi.»

Il faut  rappeler que le procès du copropriétaire de la société de production «Cactus Prod», incarcéré depuis plus de trois mois, a pris une tournure inquiétante : complot politique ou imbroglio juridique, on ne saurait trop le dire pour l’instant.  Une Cour de cassation qui se rétracte à la dernière minute après avoir décidé la libération de Sami Fehri, cette volte-face a laissé couler beaucoup d’encre quant à la prééminence du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.

Dans ce même contexte, Ahmed Rahmouni, président de l’observatoire national pour l’indépendance de la Justice, s’indigne et déclare que «le ministre de la Justice piétine l’émancipation de la magistrature».

 

Melek OUESLATI