Tunisie
11H54 - mardi 8 janvier 2013

Rencontre avec Zied Ladhari, député du parti Ennahdha (islamiste) au sein de l’Assemblée Nationale Constituante

 

Accusé d’être un parti « népotiste » et « despotique », le parti islamiste majoritaire tunisien Ennahdha se retrouve depuis des mois, bon gré mal gré, dans la ligne de mire de toutes les accusations. OI s’est entretenu avec l’un de ses rares députés francophones à l’Assemblée nationale constituante, Zied Ladhari.

 

Zied Ladhari, Député Ennahda à l’Assemblée Nationale Constituante.

Dans un contexte ébranlé par la violence politique, les critiques ne cessent de pointer du doigt le gouvernement tunisien. Quelle est votre réaction, en tant que membre du parti majoritaire Ennahdha ?

Je ne sais pas si on peut parler de violence politique, aujourd’hui, en Tunisie. Je parlerai plutôt de crise politique. Les évènements qui ont lieu sont tout simplement le résultat d’une classe politique  qui se forme et qui essaye de trouver une issue pour stabiliser le pays et instaurer la démocratie. Les gens ont tendance à oublier que la Révolution n’a que deux ans. En ma qualité de constituant à l‘Assemblée Nationale Constituante (ANC) et membre du parti Ennahdha, je demeure confiant malgré toutes les accusations dont mon parti fait l’objet.

 

Quelle serait votre réponse quant aux accusations de Béji Caïd Sebsi sur l’affaire de Djerba en décembre dernier ? [Lors d’un meeting du parti Nidaa Tounes à Djerba, les locaux ont été envahis par des fauteurs de troubles, les participants ont été agressés ce qui a nécessité l’interruption momentanée du symposium]

Certes, l’attaque qui a eu lieu à Djerba durant le meeting de Nidaa Tounes ne devrait pas passer inaperçue. Une enquête sérieuse doit être ouverte pour faire respecter la loi. Néanmoins, accuser gratuitement d’autres partis ou mouvements d’être derrière cette agression est un vrai tort. Accuser le parti Ennahdha d’être l’auteur de cette attaque peut envenimer la situation politique et alimenter la haine entre les sympathisants des deux partis. Or, la Tunisie a  besoin de stabilité et de consensus entre les grands comme avec les petits décideurs.

 

Quelle votre position, en tant que constituant à l’ANC, concernant la Ligue de la Protection de la Révolution, qu’on qualifie de milice du parti Ennahdha et qui fait beaucoup de bruits ces derniers mois ?

D’abord, je tiens à signaler que la Ligue de la Protection de la Révolution n’a jamais été et ne sera jamais liée au parti Ennahdha. Il s’agit là de rumeurs que certains se plaisent à colporter pour ternir la réputation d’un parti populaire. Nous prônons l’application de la loi et appelons à la paix sociale entre les Tunisiens. Nous luttons contre toute force anarchisante et rétrograde.

 

Aujourd’hui, contrairement à la veille des premières élections tunisiennes libres du 23 octobre 2011, on ne peut plus vraiment parler de fragmentation dans la classe politique. Du côté de l’opposition tunisienne, beaucoup d’alliances se sont faites et forment de vrais blocs. Qu’en est-il pour le parti Ennahdha où l’on parle de dissensions internes ? Courtiserait-il d’autres partis ? Des rumeurs parlent d’alliance avec certains partis à l’instar du bloc de l’Alliance démocratique qui compte tout de même 35 voix à l’ANC.

Effectivement, nos probables alliés pourront être les deux blocs parlementaires Liberté et Dignité dirigé par M. Mohamed Néjib Hosni et Wafa présidé par M. Abderraouf Ayadi. Nous sommes aussi en pourparlers avec l’Alliance démocratique. Un bloc avec lequel nous partageons plusieurs idéaux démocratiques. Nous sommes à la recherche de partis qui partagent avec nous notre vision d’un avenir meilleur pour la Tunisie où  justice sociale, réforme administrative, démocratie, lutte contre la corruption et la répression sont les mots d’ordre.

 

Le bras de fer entre l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et le gouvernement semble être entré en phase d’apaisement. Après un tiraillement qui aurait pu amener la Tunisie vers un précipice dont l’issue semblait calamiteuse pour les Tunisiens. Comment ces deux forces sont-elles arrivées à trouver un compromis ?

Le dialogue. L’UGTT et le Gouvernement ont compris que seul le dialogue sauvera la mise. Ils se sont mis à la table des négociations et ont longuement discuté. Fort heureusement que l’intérêt de la patrie l’a emporté sur les désaccords politiques et idéologiques. Les deux parties savaient pertinemment que cette discorde aurait pu mener le pays au désastre et que seul le peuple aurait payé les pots cassés. Or, aucune d’elles ne le souhaitaient. Il fallait remettre au placard les obstinations des uns et des autres et réfléchir à un consensus qui apaise la situation et réfute les dissidences.

 

Que pensez-vous de la crise actuelle par laquelle passe la magistrature tunisienne et qui semble toujours victime de la prééminence de l’exécutif ? Une situation qui met sérieusement en péril l’indépendance de la justice. Il suffit de citer le procès de Sami Fehri.

Ce que j’en pense ? On ne peut pas citer l’exemple du procès de Sami Fehri parce que, dans cette affaire, le ministre de la Justice devait intervenir pour veiller à l’application de la loi. Donc, on ne peut pas parler de prééminence de l’exécutif sur le judiciaire dans cette affaire. Sincèrement, je pense qu’il y a eu beaucoup de bruit autour du procès de Sami Fehri. Mobiliser la société civile et faire tout ce bruit pour mettre de la pression sur la décision du tribunal, c’est là le vrai danger pour l’indépendance de la justice ! Comment un juge pourra-t-il appliquer la loi et juger justement quand il exerce une quelconque pression ? Même si elle vient de la rue et des médias ?

 

Propos recueillis par Malek Oueslati le 25 décembre 2012 à Tunis