L'Amérique peut abolir
09H55 - lundi 5 novembre 2012

Peine de mort aux Etats-Unis : Obama – Romney, même combat ?

 

Grande absente de la campagne présidentielle, la peine de mort ne différencie pas les deux candidats, Obama et Romney, qui y sont tous deux favorables.

A quelques semaines de l’élection présidentielle américaine, la question de la peine de mort demeure absente des débats, même si, pendant que les candidats s’invectivent, les exécutions continuent, la dernière en date ayant eu lieu le 25 septembre au Texas.

Ce silence des deux campagnes des candidats républicain et démocrate n’est ni nouveau ni surprenant. Après tout, Obama, prix Nobel de la paix, n’a jamais été très disert sur le sujet : par exemple, il ne s’est jamais exprimé sur la controverse liée à Troy Davis, exécuté le 21 septembre 2011, et pour lequel la communauté internationale s’est fortement mobilisée.

Force est de constater que la question abolitionniste est confrontée à une rude concurrence d’autres thèmes de campagne en direction des Américains. La plupart des esprits sont occupés par le problème de l’emploi. De plus, la crise économique n’ayant pas enrayé la baisse de la criminalité que le pays enregistre depuis maintenant 20 ans (les Etats-Unis sont passés de 5,9 à 3,4 crimes pour 100.000 habitants de 1980 à 2009), le destin des habitants des couloirs de la mort n’engendre plus les mêmes passions qu’avant. Et si l’on peut se réjouir de la diminution du nombre des exécutions depuis quelques années (27 exécutions au 26 août pour l’année 2012), ainsi que du nombre de condamnation à mort, désormais au plus bas depuis 1976, cette baisse explique également pourquoi les candidats sont rarement interpellés sur les questions de justice et de criminalité.

Mais ce silence s’explique surtout par le fait que les deux principaux candidats partagent les mêmes opinions. Lorsqu’il était gouverneur de l’Etat du Massachussetts, Mitt Romney avait présenté un projet de loi visant à la fois à renforcer les mécanismes de protection de l’accusé et à garantir une application plus consistante de la peine pour les actes de terrorisme et un nombre restreint d’autres crimes dont le meurtre, dans le but d’obstruer une procédure judiciaire d’un juge, d’un policier ou d’un avocat.

Quant à Obama, lors de sa première campagne présidentielle en 2008, il avait rappelé son rôle dans la mise en place du moratoire dans l’Illinois, tout en soulignant son soutien pour la peine de mort pour les crimes les plus « extraordinairement viles », dont le terrorisme et le meurtre d’enfants. Rappelons qu’Obama faisait partie, en 1996, du camp abolitionniste mais que cette position n’a depuis malheureusement pas résisté aux compromis électoraux et à ses ambitions politiques. On peur regretter son manque de courage puisque l’Illinois a finalement abouti au vote de l’abolition par le Congrès de cet Etat.

Sur ce sujet au moins, les changements d’opinion et les incohérences morales que constitue en espèce la préconisation d’une application ciblée de l’injection létale, ne leur sont reprochés ni par les évangélistes ni par les medias. Aucun de deux candidats ne voit donc un intérêt à s’aventurer sur ce terrain.

L’audace du leadership, dont ils se revendiquent, s’arrête aux portes du pénitencier.

Pour la cause abolitionniste, cela pourrait sembler décourageant. Mais cela est il si important ? Après tout, le silence au niveau national masque de nombreux succès au niveau local. Plusieurs Etats, dont le Nouveau Mexique et l’Illinois (on l’a dit), ont depuis quelques années aboli la peine de mort, de jure ou de facto, à la suite de campagnes de longue haleine, menées à la base, au niveau « grass roots » comme savent le faire les Américains, et loin des projecteurs nationaux. Ces victoires, loin de dépendre d’une autorité intellectuelle reconnue ou de reposer sur des questions de la moralité de la peine, se sont construites sur des arguments pratiques de coût et de défaillances judiciaires.

Pour certains, trop de visibilité nationale pourrait nuire à ces efforts. Mais le sort de milliers de condamnées n’oblige-t-il pas les opposants à la peine capitale à explorer des stratégies d’envergure nationale qui accélèreraient une abolition complète ? A ce titre, la remise en question actuelle du pouvoir de l’Etat et du sens de la Constitution a une implication directe sur l’argumentation abolitionniste. Si l’élection révèle, à ce sujet, l’absence d’audace morale des dirigeants, elle peut au moins offrir de nouvelles pistes de réflexion pour redonner à la peine de mort une place centrale dans le débat national.

Marc Jacquand

Marc Jacquand est consultant et professeur d’affaires internationales aux Etats-Unis.