Human Rights
11H48 - mercredi 21 décembre 2011

« La France ignore le droit communautaire » : entretien avec Henri Braun,
avocat défenseur de sans-papiers

 

La détention d’un étranger en situation irrégulière, en attendant son expulsion, va-t-elle disparaître ? Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne est sans ambiguïté : il est interdit de priver de liberté un homme pour cause de séjour irrégulier sur un territoire.
Les tribunaux français, eux, ont rendu ces dernières semaines des décisions contradictoires : certains étrangers en centre de rétention ont été remis en liberté, d’autres ont été maintenus en détention.

 

Henri Braun, avocat à Paris, revient pour Opinion Internationale sur la difficulté de la France à se conformer à cette décision européenne.

 

Le centre de rétention administrative de Perpignan (DR)

Pourquoi les juges français ne parviennent-ils pas à adopter une jurisprudence homogène sur la détention en cas de séjour irrégulier ?

Henri Braun : Plusieurs raisons expliquent ces avis divergents. Tout d’abord le droit communautaire n’est pas toujours clairement intelligible et ses interprétations sont complexes. Les juges ont également tendance à se méfier du droit européen, considéré comme « venu d’ailleurs. » Enfin, il ne faut pas occulter, dans certains cas, les convictions personnelles du magistrat sur cette question. Ceci peut expliquer que les décisions ne soient pas toutes identiques.

Pouvez-vous nous faire un point sur la situation juridique actuelle ? Qu’est-ce qui est légal et ce qui ne l’est pas ?

72 000 gardes à vue pour séjour irrégulier ont été comptabilisées en 2010 (DR)

Henri Braun : Dans le cadre de la Directive retour il est, en principe, illégal de priver quelqu’un de liberté dans le cadre d’une procédure pour séjour irrégulier, sauf si la personne persiste à ne pas vouloir quitter le territoire. Le problème se pose surtout pour la garde à vue. Pour que les forces de l’ordre puissent utiliser cette procédure juridique, la personne doit encourir une peine de prison. Or, si la privation de liberté est interdite, la garde à vue est impossible.

Les personnes en situation irrégulière qui sont convoquées au commissariat sont alors considérées comme étant placées sous statut « d’audition libre » : ils sont interrogés, mais peuvent partir quand ils veulent.

Malheureusement les sans-papiers ne sont pas informés de cette subtilité. Ils se croient placés en garde à vue. J’ai même déjà vu le cas d’un homme qui était menotté au radiateur du commissariat, comme un gardé à vue. On ne l’avait sûrement pas informé qu’il pouvait demander à se faire retirer les menottes et s’en aller quand il le désirait…

La Cour de justice européenne a clairement établi que la détention pour cause de séjour irrégulier est illégale. Pourtant, la France continue de placer en détention les étrangers en situation irrégulière. Pourquoi cet entêtement ?

Henri Braun : La France est un des rares pays dans le monde à pénaliser le séjour irrégulier des étrangers, sans même parler du « délit de solidarité » pour ceux qui aident les sans-papiers. La France n’accepte pas la perte de souveraineté que représente le droit européen qui s’impose, en principe, au droit national. La France est condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne, mais il n’y a pas de réelles sanctions derrière. Il va de soi cependant que la position de la France est difficile à tenir : on ne peut pas vouloir être un des leaders de l’UE et ne pas respecter le droit communautaire.

Mais, ce qui est le plus gênant dans l’histoire, c’est que la France est tellement à la traîne sur la question des droits de l’Homme, qu’on est obligé de se référer au droit européen. C’est terrible. En ce sens, la France n’est plus le pays des droits de l’Homme.

Pouvez-vous nous parler des actions qui vont êtres mises en œuvre pour faire bouger les lignes ?

Henri Braun : La France ignorant le droit communautaire, nous allons passer par d’autres voies légales. En janvier 2012, le Conseil constitutionnel devrait rendre une décision sur la conformité de ces mesures avec la Constitution. La procédure est soutenue par le Comité inter mouvements auprès des évacués (Cimade), le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et SOS Sans-papiers. La démarche s’appuie donc sur la légalité de l’incarcération des sans-papiers avec la seule Constitution française. Mais nous espérons que la question du droit européen pèsera lourd.

 

Propos recueillis par Damien Durand