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13H47 - lundi 24 novembre 2014

Dominique Attias : « Un code de l’enfance permettrait d’ouvrir le débat sur ce que notre société veut offrir à sa jeunesse »

 

 

Nous avons célébré la semaine dernière les 25 ans de la Convention internationale relative aux droits des enfants. Si des progrès ont été notés, la communauté internationale s’accorde à dire que les efforts doivent encore être redoublés afin d’assurer une meilleure réalisation des droits des enfants.

En France, Me Dominique Attias, avocate spécialiste du droit des mineurs, milite aux côtés de groupements d’avocats d’enfants pour la mise en place d’un code de l’enfance, qui contribuerait à garantir les droits des enfants.

 

Me Attias_photoConsidérez-vous que les droits des enfants ne sont pas respectés aujourd’hui en France ?

Dans les textes et notamment dans la Convention internationale relative aux droits des enfants (aux articles 37 et 40), il est bien indiqué que l’enfermement doit être l’ultime solution. Or jusqu’à présent – en tout cas de 2002 à 2012 et encore un peu à l’heure actuelle – il n’y avait plus d’alternative. Comme il n’y avait plus de foyers ni d’établissements de placement éducatif qui tenaient la route, les magistrats n’avaient pas d’autre solution que de mettre un enfant soit en Centre Educatif Fermé, soit en centre de jeunes détenus ou en établissement pénitentiaire pour mineurs. C’est pour cela que les droits des enfants étaient bafoués. Il va y avoir une réécriture des textes concernant la justice pénale des mineurs en 2015, et l’un des principaux sujets sera de savoir ce que notre société veut pour ses jeunes. Est-ce qu’elle veut les réinsérer – et de quelle manière – ou est-ce qu’elle veut les enfermer, avec toutes les dérives que cela peut avoir ?

 

Partagez-vous le point de vue du contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, sur les Centres Educatifs Fermés (CEF) ?

Absolument. Il a relevé que certains des CEF n’ont pas de personnel formé ni de projet éducatif. A partir du moment où l’on parle d’un centre éducatif, encore faut-il qu’il y ait un véritable projet éducatif, ce qui inclut également un travail avec le milieu ouvert – c’est-à-dire des éducateurs à l’extérieur – pour que le jeune, en sortant, ait un vrai projet de formation. C’est l’une des problématiques majeures des CEF.

La nécessité est aussi de travailler avec les parents, les faire adhérer à un projet, car en sortant le jeune va souvent retourner dans le milieu familial. Nous, avocats, à partir du moment où nous assistons le jeune, devrions avoir accès à ces CEF. Nous devrions pouvoir aller sur place, discuter avec le jeune, comprendre le projet que les éducateurs ont monté avec lui, etc. Il ne faut pas que nous soyons tenus à l’extérieur, or à l’heure actuelle c’est encore le cas.

En outre, si nous n’allons pas vers les jeunes, si nous ne comprenons pas le fonctionnement de l’établissement dans lequel ils sont placés, si nous n’avons pas accès aux éducateurs, ce ne sont pas les jeunes qui nous alertent. Les jeunes ont tellement l’habitude d’avoir leurs droits bafoués qu’ils se contentent de subir. C’est donc à nous d’aller au devant d’eux, pour permettre à ces jeunes de voir que leurs droits sont effectifs et qu’ils sont exercés – que ce n’est pas le fait du prince et le diktat.

Ceci dit, certains CEF sont bien et utiles.

 

Vous militez pour qu’un code de l’enfance soit rédigé en France. Pourquoi pensez-vous que la France a besoin d’un tel instrument législatif ?

A l’heure actuelle, les droits des enfants se trouvent dans une dizaine de codes : code du travail, code de l’action sociale et des familles, code civil, code pénal, code de la santé, code de l’éducation, etc. Or certains de ces droits sont antinomiques ; par exemple, dans le domaine de la santé, les enfants ont des droits très importants mais n’en ont pas en ce qui concerne leurs placements.

Des pays émergents – Brésil, Tunisie, Congo, Bénin – ont des codes de l’enfance ; peut-être que les droits des enfants n’y sont pas effectifs, mais tous ces pays ont réfléchi à créer un code de l’enfance qui regroupe les droits au civil et au pénal.

Cette proposition émane de toutes les fédérations de protection de l’enfance et des magistrats de la jeunesse, et ce depuis au moins cinq ou six ans.

 

En quoi un tel code aiderait-il votre travail ?

En premier lieu cela apporterait une cohérence aux textes. Lorsque nous défendons ou lorsque nous nous occupons d’enfants, nous sommes obligés d’aller chercher dans de nombreux codes. Un éducateur, un avocat, un magistrat, peut être confronté à des milliers de problématiques qui concernent le même jeune, et il est obligé de chercher dans de nombreux codes différents. Tandis que là, au moins, cela donne une cohérence et cela permet aux professionnels de s’y retrouver.

Pour les enfants également, cela leur donnerait une vision cohérente de leurs droits et de leurs obligations ; et ce serait facilement consultable pour eux. Il existe déjà le code junior, fait à l’attention des enfants et qui leur explique leurs droits, mais il ne regroupe pas l’intégralité des droits – seulement leurs droits fondamentaux.

 

Qu’est-ce qu’un tel code signifierait pour notre société ?

Ces dernières années l’on reconnait d’un côté l’enfant en danger, de l’autre le mineur délinquant – comme si ce n’était pas souvent le même. Du coup un code de l’enfance permettrait d’avoir, dans la réflexion sur la jeunesse, une unicité ; le même enfant peut se retrouver confronté, tout au long de sa vie, à des quantités de situations différentes et pourtant c’est le même enfant. Donc cela permet à la société de remettre à plat la question de savoir ce qu’on veut pour la jeunesse. Toute la société civile, tous les professionnels – que ce soit l’éducation nationale, la santé, les magistrats, les éducateurs, les maires, les politiques, etc. – pourraient ainsi avoir une réflexion sur l’enfant, qui serait une réflexion qui prend en compte la complexité et non pas une série de postures.

Propos recueillis par Cléo Fatoorehchi

 

Journaliste à Opinion Internationale et coordinatrice de la rubrique La Citoyenne.

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