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09H29 - lundi 17 novembre 2014

Entre pauvreté, cartels et prostitution : les enfants perdus de la nation mexicaine

 

 

Le Mexique, avec ses 120 millions d’habitants, est l’Etat hispanophone le plus peuplé. Dans un pays où 46% de la population a moins de 24 ans, l’investissement dans les droits fondamentaux de l’enfant n’est pas à la hauteur de la réalité démographique. En résultent de nombreuses violations de ces droits que l’actualité semble confirmer, à l’heure où 43 étudiants normaliens sont toujours portés disparus. Une affaire qui émeut aussi bien à l’intérieur qu’en dehors des frontières mexicaines, tandis que la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) s’alarme de la hausse du nombre d’enfants disparus dans le pays.

 

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Nous sommes le 26 septembre 2014, et une affaire pour le moins sanglante dirige les yeux du monde sur le Mexique… du moins le temps d’un flash info. Dans l’état de Guerrero, quarante-trois étudiants Normaliens d’Ayotzinapa sont portés disparus après que des policiers liés au crime organisé eurent attaqué une centaine d’élèves-enseignants, laissant derrière eux six morts et une vingtaine de blessés. Ironie de l’histoire : les victimes s’apprêtaient à rendre hommage aux étudiants massacrés par l’armée en 1968, Plaza de Tlatelolco, dans la ville de Mexico. Vu de l’extérieur, on pourrait croire à un drame isolé. Que nenni.

Quelques semaines plus tard, alors que Rosa Maria Ortiz, rapporteur de la CIDH sur les Droits des enfants et adolescents, vient pour rencontrer les parents des victimes d’Ayotzinapa, elle reçoit « des informations indiquant qu’il y aurait une hausse alarmante du nombre d’enfants non localisés ». L’Etat, mis en cause par les proches des disparus, refuse toutefois de fournir des chiffres.

Une « augmentation des niveaux de violence » sur les enfants

C’est ce que la commission indique avoir également constaté, en se fondant sur les informations de plusieurs organisations civiles qui affirment que deux mille enfants ont été tués ou mutilés, parfois « avec une violence extrême » depuis 2006. La CIDH s’est également inquiétée du « grand nombre » d’enfants qui pourraient avoir été recrutés par le crime organisé dans les zones les plus pauvres du pays, comme les Etats de Chiapas, Oaxaca ou encore Guerrero, où les 43 étudiants enlevés sont aujourd’hui soupçonnés d’avoir été brûlés vifs.

Sans surprise, le très facile recrutement d’enfants comme simples « indics », passeurs, gangsters, ou véritables tueurs à gages, est lié à l’extrême pauvreté dans laquelle vivent de nombreux Mexicains. Car si le pays représente la deuxième puissance économique d’Amérique latine après le Brésil, il est aussi « le seul [pays] de la région où le salaire minimum est inférieur au seuil de pauvreté, » indique la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal), un organisme qui dépend de l’ONU. En août dernier, Alicia Barcena, secrétaire exécutive de la Cepal, expliquait que « ceux qui cumulent deux salaires minimum ont une rémunération qui n’est que légèrement supérieure au seuil de pauvreté. » Une situation encore plus alarmante parmi les populations indigènes (voir encadré). Dans un tel contexte économique et social, comment s’étonner de voir pulluler les enfants perdus des cartels. L’argent « facile », souvent. La violence qui en résulte, toujours.
 

Des gangs, des gamins. Et un Etat complice ?

Il y a deux ans, un rapport de l’UNICEF indiquait qu’entre 2007 et 2012, les autorités mexicaines avaient perdu la trace de plus de 75 000 mineurs, dont 20 000 environ ont été victimes des narcotrafiquants. Chaque jour, ce serait en moyenne 41 enfants impliqués dans des bandes criminelles ou destinés à être exploités, qui disparaitraient. On se souvient notamment d’Edgar Jimenez qui, à 14 ans, avait choqué les internautes en apparaissant sur plusieurs vidéos, décrivant son job de tueur à gages. Sur l’une d’entre elles, cagoulé, il égorgeait un homme face caméra. Avant qu’il ne soit arrêté par l’armée mexicaine, son ‘travail’ lui rapportait jusqu’à 3 000 dollars par tête, soit plus de 2 300 euros.

Alors que depuis 2006, le président Felipe Calderón a officialisé la lutte contre les narcotrafiquants, en leur envoyant l’armée, pour le criminologue mexicain Alfredo Ornelas, le recrutement des mineurs par les cartels ne s’est jamais aussi bien porté. « Vue de loin, la lutte contre le narcotrafic peut sembler efficace ; en réalité, c’est de la poudre aux yeux, » explique-t-il. Pour cet homme qui a autrefois dirigé les plus grandes prisons du pays, « il faut d’abord combattre la pauvreté et améliorer l’éducation pour prétendre lutter contre la délinquance. Or le Mexique est un pays largement corrompu, où la criminalité est fomentée par l’Etat lui-même. »

Il affirme qu’un lien direct unit chefs de gang et policiers : « Les agents savent qui contrôle la drogue et la prostitution. Mais ils laissent faire, car ces trafics représentent des sources de revenus pour eux : les bandes paient leur droit à commettre des délits. » Un avis que partage Abel Barrera, directeur du Centre des droits de l’homme de la montagne de Talchinollan dans l’Etat de Guerrero, récemment interviewé sur l’affaire des étudiants disparus : « La complicité entre les autorités locales et la délinquance organisée est loin d’être une exception dans notre pays. »
 

Drogués puis prostitués

Mais les mineurs ne sont pas seulement exploités par les cartels pour vendre de la drogue ou régler des comptes, ils sont également sources de revenus dès lors que leur chair est vendue au plus offrant. Toujours en 2012, l’Unicef a recensé 16 000 mineurs exploités sexuellement au Mexique, « à la fois pays d’origine, de transit et de destination du trafic d’enfants. »

Le quartier de la Merced au centre de la capitale se maintient comme le premier lieu d’Amérique latine pour la prostitution de mineurs ; 80 % sont des jeunes filles, dont 50 % ont moins de dix-huit ans et proviennent d’Amérique centrale. Des enfants drogués quotidiennement jusqu’à ce que leur dépendance soit suffisante pour qu’ils obéissent sans se révolter ou chercher à s’enfuir. Selon la journaliste Lydia Cacho, qui se bat depuis des décennies contre la pédophilie et le trafic de personnes, ce « business » est hautement lucratif puisque « chaque victime coûte au trafiquant une moyenne de 1 200 euros mais lui en rapporte 20 000 par an. »

Pour rappel, selon les Nations unies et le Conseil de l’Europe, la traite des êtres humains serait la troisième forme de trafic la plus répandue dans le monde après le trafic de drogue et le trafic d’armes. Elle ne générerait pas moins de 32 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.

 

 

Pauvreté extrême chez les indigènes : quelle place pour les droits des enfants ?

En 2010, une enquête du gouvernement mexicain (réalisée par le Conseil National d’Evaluation de la Politique de Développement Social) révélait que 75,7 % des indigènes résidant au Mexique se trouvaient dans une situation de pauvreté multidimensionnelle. Un qualificatif signifiant que non seulement les indigènes perçoivent peu de revenus mais qu’ils n’ont pas non plus accès à des « services de base » : entre autres, l’accès à l’eau potable, l’évacuation des eaux sales, l’accès aux soins de santé ou encore à l’éducation. Le taux de mortalité infantile est 60 fois plus élevé chez les populations indigènes que chez les populations non indigènes, révèle Humanium, une ONG internationale engagée dans la lutte contre les violations des droits de l’enfant dans le monde.

 

Ecole ou travail ? Le choix du porte-monnaie

En janvier 2012, l’Organisation internationale du travail (OIT), révélait qu’au Mexique, environ trois millions d’enfants âgés entre cinq et dix-sept ans sont exploités en tant que main-d’œuvre, exerçant une activité dans des conditions extrêmes. Si 72 % des trois millions d’enfants et adolescents qui travaillent ne perçoivent aucune rémunération, près de 40% ne sont pas scolarisés, le gain d’un salaire pour leurs parents étant le plus souvent vital – contrairement à l’éducation qui n’est, pour la famille, synonyme que de dépenses.

 

Journaliste

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