Tunisie
07H22 - samedi 13 avril 2013

Facebook pour défendre la condition des femmes arabes

 

Internet et les réseaux sociaux ont joué un rôle indéniable dans les soulèvements populaires dans le monde arabe. Leur rôle durant ces évènements a été analysé par les médias et étudié par des chercheurs dans le monde entier. Mais qu’en est-il de leur rôle aujourd’hui ? Certaines personnes pensent que ces outils sont devenus des armes à double tranchant.

En Tunisie, et suite au départ de Ben Ali, le nombre des utilisateurs de Facebook a explosé. Les pages Facebook des partis politiques, des associations, ainsi que des médias poussent comme des champignons. Depuis les élections du 23 octobre 2011, on peut trouver des pages Facebook officielles de la Présidence de la République, des différents ministères ou encore des centaines de pages du Parti politique majoritaire au pouvoir Ennahdha . On parle même du recrutement de jeunes dont le seul travail serait celui de gérer des  pages Facebook de tel ou tel parti politique ou groupe religieux. Dernièrement, le Ministre de l’Intérieur a  même choisi de s’exprimer via une vidéo Facebook pour s’adresser aux milliers des policiers  qui se sont rassemblés à la Place du gouvernement le Jeudi 31 janvier 2013 pour protester et pour crier haut et fort  des revendications sociales et pour demander l’intégration d’un article qui garantit leur neutralité et délimite leurs prérogatives dans la  nouvelle constitution de la Tunisie.

La société civile aussi utilise Facebook pour médiatiser ses évènements dont des rassemblements, des manifestations, des actions humanitaires sociales ou culturelles.

Tout a commencé avec un discours du président tunisien Marzouki. La majorité des Tunisiens se rappellent du tôlé d’indignations qui a suivi l’un  de ses premiers discours comme président de la république  et dans lequel il a dit : « Nous protégerons les femmes qui portent le niqab, celles qui portent le hijab et les safirat ». En effet, venant d’un défenseur des droits l’homme comme il a été avant de devenir Président de la République, cette distinction n’a pas été acceptée. Le Président Moncef Marzouki aurait pu utiliser le mot « femmes » tout simplement. De plus, le mot « Safirat » est devenu dans la pratique synonyme de femmes impudiques donc un terme péjoratif qui a indirectement stigmatisé les femmes non-voilées.

OI-Opinion Internationale a pu interroger deux membres de la page « Safirat » sur Facebook ayant pris une envergure internationale : Nissaf Selimi, tunisienne âgée de 26 ans et originaire de Sidi Bouzid et Mahmoud Raafet âgé de 30 ans, appartenant à la classe moyenne égyptienne. Il est administrateur de la page «  Safirat Egyptiennes ».

O.I : Comment avez-vous eu l’idée de lancer la page « Safirat » et quelle est sa vocation ?

Nissaf Selimi (N.S) : Quand la révolution tunisienne a commencé et malgré toutes ses pertes humaines dont mon frère le martyr Nizar Selimi, j’avais l’espoir de voir les choses s’améliorer  et cela comme tous les Tunisiens. Malheureusement et suite à l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahdha, la situation s’est dégradée et nous avons vécu de nombreuses violations des droits de l’Homme et  des atteintes aux droits des femmes en particulier. C’est là que j’ai décidé de créer la page  « Safirat Tunisiennes » pour essayer de préserver nos droits en régression. J’ai choisi ce nom parce que la majorité des femmes en Tunisie ne sont pas voilées.

Un des objectifs principaux de cette page est  de promouvoir le développement de la conscience politique, sociale, culturelle et religieuse de la femme arabe. Il fallait travailler sur la sensibilisation des femmes concernant leur égalité avec les hommes dans les droits et les devoirs. Les femmes doivent comprendre qu’elles ne sont ni inférieures ni complémentaires à l’homme puisqu’elles sont une partie très active et autonome de la société civile.

Mahmoud Raafet (M.R) : La révolution Egyptienne représente l’événement le plus important dans ma vie. Comme des millions d’Egyptiens je n’ai connu que Moubarak comme président. Les Egyptiens ont beaucoup souffert sous son régime. Ils étaient marginalisés et oubliés de tous. La corruption et l’ignorance régnaient dans tout le pays. Les dissidents étaient oppressés. Je peux dire fièrement que j’ai participé à la révolution Egyptienne dès le premier jour de son déclenchement. J’ai été en quelque sorte influencé par le courage de ma fiancée tunisienne Asma que j’ai rencontré avant la révolution et qui a participé aux manifestations populaires en Tunisie malgré la répression policière.

J’étais intéressé par les activités de la société civile avant même la révolution en Egypte. Je voulais participer à l’éradication de certaines mauvaises traditions. Je peux évoquer par exemple ma participation dans des campagnes de sensibilisation telle que : «  Non au harcèlement sexuel ».

J’ai  pu faire la connaissance de Nissaf Selimi et j’ai été impressionné par ses textes. Nissaf avait déjà lancé la page « Safirat Tunisiennes » et je la consultais quotidiennement puis je lui ai proposé de l’aider au développement de la page et c’est ainsi que  la page « Safirat Egyptiennes » a été lancée. Pour moi, l’initiative « Safirat » avait la capacité de transmettre un message  appelant  à la découverte du voile de l’esprit avant d’appeler à découvrir les têtes : Une volonté de débarrasser l’esprit  de l’ignorance et de  la discrimination entre les sexes. J’ai fortement ressenti la nécessité d’une telle initiative pour la société Egyptienne.

La vocation de « Safirat » n’est pas un appel au dévoilement du corps mais c’est plutôt un appel à l’ouverture d’esprit : lever le voile qui couvre l’esprit féminin. Nous ne combattons ni les religions ni les croyances ;  nous n’appelons ni à l’athéisme ni à la christianisation. Nous défendons les libertés individuelles et nous soutenons les tendances modernistes qui respectent la femme et la libèrent. Nous sommes contre la violence peu importe son genre, physique ou verbale, et nous sommes contre le racisme et  les esclavagistes. Nous luttons pour une conscience féministe garantissant la liberté et l’égalité sociale pour la femme dans  les différents secteurs de la société.

O.I: Nous avons constaté un succès fulgurant de cette expérience qui s’est propagée dans plusieurs pays du Monde Arabe. Est ce qu’il y a une relation et une coordination entre les administrateurs des différentes pages « Safirat » ?

N.S: Grâce à la page Facebook « Safirat », j’ai pu faire la connaissance de plusieurs jeunes activistes de l’Egypte, de la Libye, de l’Arabie Saoudite, de la Palestine et de la Syrie. Ces jeunes se sont fortement mobilisés pour les idées et les objectifs  de « Safirat » et ils  ont lancé des pages de la même mouvance dans leurs pays et c’est comme cela que nous avons pu nous rassembler dans un groupe dans lequel nous discutons et nous coordonnons  nos actions.

M.R : Le nom de la page Facebook a certainement attiré et encouragé plusieurs personnes à

initier ce mouvement dans leurs pays. J’ai  rapidement réalisé que nous  réalisions un grand succès en dévoilant les défauts et les tares de toute une société, en découvrant la réalité et en étant honnêtes et audacieux en traitant de sujets liés aux femmes. Peu à peu, les pages se sont multipliées et il fallait coordonner, se soutenir pour former un front puissant afin que « Safirat » puisse prochainement prendre la forme d’une organisation ou d’une campagne féministe commune. Aujourd’hui, nous avons quinze pages sur Facebook : la Tunisie, l’Egypte, la Syrie, la Libye, l’Arabie Saoudite, le Maroc, le Soudan, l’Algérie, l’Iraq, le Liban, la Jordanie, le Kuwait, la Palestine, le Yémen mais aussi le Kurdistan  et nous attendons toujours des initiatives d’autres pays  arabes et non arabes.

O.I: La Femme a eu un rôle crucial et vital dans les soulèvements populaires dans le monde arabe. Comment évaluez-vous sa situation maintenant ? Est ce qu’il y a des dangers qui guettent ou qui menacent ses droits ? Comment les dépasser s’ils existent ?

N.S: La femme arabe a fortement participé aux révolutions arabes parce qu’elle est l’égale de l’homme en droits et en devoirs. Malheureusement après l’accès des mouvances islamistes au pouvoir  la femme doit faire face à des violations  de ses droits. En Tunisie par exemple : une femme a été violée par des policiers. En Syrie on entend beaucoup parler des mariages forcés ou des mariages temporaires. En Egypte, les femmes sont souvent exposées au harcèlement sexuel. Au Yémen, le mariage des mineures sont une pratique courante. C’est pour toutes ces raisons et bien d’autres que nous devons nous unir  pour défendre les droits des femmes et lui garantir une véritable protection.

M.R: La femme a joué et joue encore un rôle très important dans les révolutions arabes actuelles. Je pense que la condition de la femme arabe n’a pas changé après le départ de certains dictateurs. Je vois une régression due à la prévalence de l’ignorance dans nos sociétés et l’importation de cultures qui ne sont pas les nôtres. En effet, dès les années 1930, la femme égyptienne a toujours été pionnière dans différents secteurs mais maintenant les constituants, qui ont écrit notre nouvelle loi fondamentale, ont souhaité instauré une discrimination entre les deux sexes en  rejetant tout article qui condamne la violence contre les femmes et le trafic humain et surtout les femmes mineures.

Nous pourrons dépasser les dangers qui menacent les femmes en favorisant leur autonomie car elles sont le pilier du développement de la société sur le plan social, culturel et politiquement. La condition de la femme est un bon indicateur du développement et de la modernité d’un  Etat.

Propos recueillis par Lina Ben Mhenni