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15H10 - jeudi 6 juin 2024

Le vote électronique aux élections européennes : sauver cent mille arbres et vingt millions d’électeurs. La Tribune de Gilles Mentré et Bertrand Pancher

 

 

Notre système de vote papier étouffe la démocratie autant que l’environnement

L’Estonie, pays le plus digital d’Europe, a ouvert le 3 juin le vote pour les élections européennes à tous ceux qui veulent voter électroniquement depuis leur téléphone ou leur ordinateur. Pendant ce temps-là, dans notre vieille France, les imprimeurs français achèvent de livrer plus d’un milliard et demi de bulletins de vote pour le scrutin de dimanche.

Imprimer une telle quantité de papier est une aberration écologique – c’est cent mille arbres qui vont disparaître, soit un tiers des arbres parisiens ou et le double des arbres que des villes comme Metz et Niort se sont engagées à planter en une mandature.

Mais c’est également un non-sens politique.
La loi impose en effet que ce soit les listes candidates qui préfinancent ces bulletins (seules celles qui obtiendront plus de 3% des suffrages seront remboursées). Pour participer à la course aux européennes, il faut être capable de mettre sur la table plus d’un millions d’euros.

Les partis traditionnels n’ont pas de difficultés à miser une telle somme… car il ne s’agit pas de leur argent !
Les partis qui ont présenté suffisamment de candidats significatifs aux élections législatives, ou qui comptent des députés ou des sénateurs, ont le droit à une contribution publique automatique et se voient donc financer leur campagne électorale par les contribuables. Mais pour les offres politiques nouvelles, rien n’est prévu. Certaines listes en sont réduites à ne pas imprimer suffisamment de bulletins pour couvrir toute la France, acceptant que leur nom ne soit même pas mentionné dans les bureaux de vote de régions entières du pays – une vraie rupture dans l’égalité politique d’un territoire à l’autre. D’autres vont devoir demander à leurs électeurs d’imprimer leur bulletin de vote à la maison, ce qui semble une plaisanterie pour un pays qui a donné naissance au suffrage universel direct et complique le dépouillement.

Un tel système crée un cercle vicieux.
Anticipant qu’elles ne disposeront pas des fonds nécessaires, les médias n’invitent pas les « petites listes » qui du coup stagnent dans les sondages. Ce phénomène est aggravé par la suppression de la période de stricte égalité de temps de parole qui existait jusqu’à présent, au profit d’une « équité » qui renforce les partis en place – l’Arcom comme les médias du service public ont abandonné de fait leur rôle de gardiens. Sur la base de ces anticipations, les banques se font encore plus frileuses et refusent de prêter. L’entre soi est inscrit dans le code électoral lui-même.

On pourrait imaginer un financement public plus ouvert, sur le modèle de la « banque pour la démocratie » proposée il y a quelques années par François Bayrou. Mais une solution encore plus simple existe : le vote électronique. Des solutions de vote par internet sont aujourd’hui disponibles dans le domaine public qui garantissent l’anonymat et la vérification de bout en bout par l’électeur. Elles sont utilisées régulièrement dans les entreprises (élections des représentants du personnel), dans les écoles (choix des représentants des parents d’élève) ou dans les associations.

Un pays européen, l’Estonie, ouvre cette possibilité pour toutes ses élections souveraines depuis 2005 – plus de 50% des électeurs y ont recours. L’électeur y est protégé contre d’éventuelles pressions (en l’absence d’isoloir) grâce à la possibilité de revoter jusqu’à la clôture du scrutin. On constate que les personnes de plus de cinquante ans l’utilisent désormais presque autant que les jeunes. Aux dernières élections européennes, ce système a permis à cinq candidats indépendants de se présenter sur un pied d’égalité avec les listes des partis traditionnels, l’un de ces candidats ayant même manqué de peu son élection.

Il ne s’agit pas de remplacer en France notre vote papier qui a fait ses preuves pour les élections nationales ou locales. Mais seulement de permettre aux listes qui le souhaitent, pour les seules élections européennes, de proposer cette solution à leurs électeurs. Un tel système serait une réponse forte aux plus de vingt millions de Français qui ne votent plus aux élections européennes. On résume trop souvent le vote électronique à une solution de « facilité » pour rendre plus commode le vote à tous ceux qui rencontrent des contraintes non anticipées le jour du scrutin (phénomène qui correspond seulement à un tiers des abstentionnistes). Or il permet également de ramener vers les urnes une partie des électeurs qui ne se reconnaissent dans l’offre actuelle trop polarisée (un second tiers des abstentionnistes), voire du dernier tiers de ceux qui ne veulent plus voter, en permettant l’émergence de candidatures indépendantes et nouvelles.

Le scrutin du 9 juin, en France, s’est déjà transformé en référendum pour ou contre Emmanuel Macron, ou pour ou contre le Rassemblement national. Au lieu d’un débat de fond sur l’Europe dont nous avons besoin, faute de nouvelles propositions politiques, nous résumons cette élection à un sondage grandeur réelle de l’élection présidentielle de 2027.

L’Europe mérite mieux que ça. Lançons dès à présent le chantier d’un vote électronique en code ouvert, vérifiable et auditable – comme ce n’est pas toujours pas le cas des solutions utilisées en France pour le vote par internet des députés des Français de l’étranger. La France, pays de politiques et d’ingénieurs, ne peut continuer à être en retard sur l’Histoire. Il est urgent de d’entamer notre transition démocratique.

 

Gilles Mentré est élu parisien et co-fondateur d’Electis, une plateforme open-source de vote électronique à distance.

Bertrand Pancher est député de la Meuse et président de Décider Ensemble.