Opinion Amériques Latines
11H45 - mercredi 25 octobre 2023

Lula sauvera-t-il (une deuxième fois) l’Amazonie ? L’édito de Michel Taube et Laurent Tranier

 

Luiz Inacio Lula da Silva avec la ministre de l’Environnement du Brésil Marina Silva

A l’été 2019, les terribles incendies ravageant l’Amazonie avaient enflammé les esprits en marge du sommet du G7 de Biarritz : on se souvient des échanges fort peu diplomatiques – mieux vaut oublier les insultes venues du Brésil – entre Jair Bolsonaro et Emmanuel Macron, lequel avait dignement conclu la polémique en espérant que « très rapidement » les Brésiliens « auront un président qui se comporte à la hauteur ».

Nous le savons, le vœu du président français (et de quelques autres) a été exaucé : Luiz Inacio Lula da Silva est redevenu redevenu le 1er janvier 2023 Président de la République fédérative du Brésil, après deux premiers mandats à la tête du géant latino-américain entre 2003 et 2010. Et la planète a poussé un grand « ouf » de soulagement.

 

Car il l’avait promis. Et il l’a déjà fait en bonne partie !

En effet, le président Lula s’était engagé à stopper la déforestation illégale de l’Amazonie à l’horizon 2030. Et le mouvement est déjà bien lancé !

C’est que l’Amazonie, « poumon vert » de la planète, est le principal poumon de notre « planète verte ».

Cet immense écosystème de forêt vierge tropicale humide de 5,5 millions de km2 – 10 fois la France – qui s’étend sur neuf pays sud-américains : le Brésil (qui en possède 60%), le Surinam, le Guyana, le Venezuela, le Pérou, la Colombie, l’Équateur, la Bolivie, et la France, en Guyane. « Château d’eau » du continent avec 20% des réserves d’eau douce de la planète, « réserve de biodiversité » avec 50 à 70% des espèces animales et végétales recensées dans le monde selon le WWF, la réalité amazonienne dépasse les clichés.

Mais, comme chacun le sait, l’Amazonie est menacée, victime d’une déforestation continue qui a conduit à la perte de 17 % de sa surface originelle en un demi-siècle, principalement en raison de l’action des hommes. Les surfaces consacrées à l’élevage s’étendent à une vitesse phénoménale, et l’Amazonie est aussi rattrapée par la culture du soja, dont des variétés nouvelles s’adaptent de mieux en mieux aux latitudes tropicales : « Le Brésil est devenu, en quelques années, le premier producteur au monde de soja avec 156 millions de tonnes pour la récolte 2022-2023 (cinq fois la production européenne d’oléagineux !), sur une surface de 44 millions d’hectares (soit l’équivalent de l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas réunis). » (Le Monde, 10 octobre 2023).

 

Lula a déjà fait ses preuves

Lors de ses premiers mandats, Lula a réussi à réduire massivement la déforestation, passée d’un record de 27 000 km2 en 2004 à moins de 7000 km2 en 2011. La délimitation de terres sanctuarisées et réservées aux peuples indiens a contribué à ce ralentissement, qui n’a été possible que par la présence de l’État à travers l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (l’IBAMA, la police de l’environnement, dépendant de ce même ministère) et les poursuites judiciaires effectivement engagées contre les responsables de la déforestation illégale. La politique de Lula s’est poursuivie sous la présidence de sa camarade du PT, Dilma Roussef, et le chiffre s’est maintenu, en moyenne annuelle, sous les 7000 km2 entre 2009 et 2018.

Le mandat de Jair Bolsonaro (2019-2022) a été tout autre. Porté au pouvoir par l’alliance des « BBB », les lobbies de « la Bible, des Balles et du Bœuf » (à savoir celui des chrétiens évangéliques, celui des armes et celui de l’agronégoce), il a assumé avec zèle que la forêt amazonienne appartenait au Brésil et qu’il fallait exploiter cette ressource au maximum, quitte à la remplacer par des pâturages. Et il a, dès son élection, sabré le budget de l’IBAMA et interdit à ses fonctionnaires de se rendre en Amazonie. Résultat : sous le mandat de Bolsonaro, la déforestation a bondi de 75% par rapport à la moyenne de la décennie antérieure, faisant craindre que soit bientôt atteint un point de non-retour. Dans ce cauchemar, le changement climatique induit par la déforestation empêcherait le reste de la forêt de se régénérer et la condamnerait tout entière à se transformer en savane semi-aride…

 

Le retour de Lula se fait déjà sentir

Alors que Lula a dévoilé son plan de lutte contre la déforestation en juin 2023, qui passe par la création de 30 000 km2 supplémentaires de réserves, la saisie des terres exploitées illégalement dans les zones protégées et le réarmement de l’IBAMA avec l’embauche de milliers de fonctionnaires, les résultats de ce volontarisme sont déjà spectaculaires sur le premier semestre 2023 avec une baisse d’un tiers des surfaces déboisées par rapport à 2022.

L’année s’annonce cependant particulièrement difficile, avec le retour d’El Nino, ce phénomène océanique naturel qui apparaît tous les trois ou quatre ans et dont les conséquences aggravent les effets du réchauffement climatique.

L’action de Lula s’est aussi déployée au niveau international : il a réuni au mois d’août les huit pays de l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA), une structure que Jair Bolsonaro s’était bien gardée de solliciter durant toute la durée de son mandat. La France, partie prenante des défis amazoniens, notamment avec son territoire guyanais, était présente, ainsi que la Norvège et l’Allemagne, qui financent des actions de protection, et l’Indonésie, la République du Congo et le Congo-Brazzaville, qui abritent de vastes forêts tropicales sur d’autres continents.

Est née de ce sommet une « Alliance amazonienne de combat contre la déforestation » qui aura pour but de « promouvoir la coopération régionale dans le combat contre la déforestation, pour éviter que l’Amazonie n’atteigne le point de non-retour ». Il s’agit d’un premier pas symbolique mais nécessaire, qui témoigne d’une mobilisation générale à l’échelle du sous-continent.

Lula est aussi un pragmatique, qui ne souhaite pas sacrifier sur l’autel de la radicalité environnementale les immenses besoins de développement d’un Brésil qui souhaite offrir un niveau de vie décent à ses 215 millions d’habitants. Lors de son premier mandat, il a ainsi autorisé la construction du barrage hydroélectrique de Belo Monte, qui a nécessité de noyer 500 km2 de forêt pour installer une capacité de 11 MW, correspondant à la consommation de 5 millions de foyers. Aujourd’hui, il ne dit rien des projets offshore d’exploitation pétrolière de la compagnie nationale Petrobras non loin de l’embouchure de l’Amazone. Et il s’indigne du retard pris par la signature du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, au nom d’arguments environnementaux (non dénués d’arrière-pensées instillées par les lobbies agricoles du Vieux continent) qui remettraient en cause la souveraineté des nations du Cône sud.

À travers le thème de la lutte contre le réchauffement climatique, Lula annonce ainsi un retour tonitruant du Brésil sur la scène diplomatique internationale, qui culminera en 2025 avec l’organisation à Bélem de la conférence des Nations unies sur le climat, la COP30. Le Brésil préside le Conseil de sécurité de l’ONU jusqu’à la fin du mois d’octobre 2023 et présidera le G20 en 2024.

Lula impose ainsi un nouveau leadership fort, qui mobilise et entraîne le Sud dans une approche déculpabilisante de la lutte contre le réchauffement climatique et place les Occidentaux devant leurs responsabilités de principaux responsables de ce changement. Mais le vétéran de la politique brésilienne aura bien besoin de toute sa science de la négociation pour dépasser les obstacles intérieurs – le lobby du « bœuf » reste très influent au sein du Congrès brésilien où Lula ne dispose pas d’une majorité – et transformer une prise de conscience internationale en un plan d’action concret.

Première étape sur ce long chemin : le Sommet des Trois Bassins du Congo, de l’Amazonie et du Mékong, qui se tient du 26 au 28 octobre 2023 à Brazzaville, en République du Congo.

 

Laurent Tranier

Chef de rubrique Opinion Amériques Latines, fondateur des Editions Toute Latitude

Michel Taube

Fondateur d’Opinion Internationale