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07H59 - lundi 17 avril 2023

Censure partielle de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel : une décision surprenante, vraiment ?

 

Le Conseil constitutionnel a validé, ce vendredi 14 avril, l’essentiel du projet de loi rectificatif de financement de la Sécurité sociale, portant réforme des retraites, avec sa mesure phare visant le recul de l’âge légal de départ à 64 ans.

Si une multitude d’élus opposés à la réforme des retraites, appuyés par certains éminents professeurs de droit constitutionnel, Dominique Rousseau en tête de proue, avaient avancé une censure fondée sur le détournement de procédure, il n’en fut rien.

Le gouvernement a en effet eu recours à un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale plutôt qu’à une loi ordinaire pour faire passer sa réforme, lui permettant ainsi d’utiliser le dispositif prévu au second alinéa de l’article 47.1 de la Constitution qui impose des délais resserrés (20 jours devant l’Assemblée nationale et 50 jours pour le parlement), ainsi que l’article 49.3 sans que cela ne consomme son utilisation unique par session (pour les lois ordinaires, le 49.3 ne peut en effet être utilisée qu’une seule fois par session parlementaire, ce qui n’est pas le cas des projets de loi de Finances et de financement de la Sécurité sociale).

Le Conseil s’est – sans surprise – borné à rappeler dans sa décision que « si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. »

En d’autres termes, le Conseil constitutionnel rappelle son rôle qui est de juger la constitutionnalité de la loi et non pas son opportunité politique, eut égard au contexte politique et aux tensions résultant de l’adoption dudit texte. Le droit, rien que le droit, le rôle d’un juge constitutionnel en somme.

Outre ces éléments, on retrouve un certain nombre de griefs dont les sages se sont fait litières, parmi lesquels figurent, en outre, l’insincérité et le manque de clarté des débats, fondé sur des dispositions règlementaires (règlement des assemblées parlementaires) qui ne sauraient avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. De même pour l’utilisation de l’article 47.1 et de sa combinaison avec l’article 49.3, qui a permis un examen – accéléré – mais conforme à la constitution (c’est bien la raison d’être du 47.1) et un vote (adoption) au Sénat avant la clôture du délai de 50 jours. L’utilisation combinée des procédures est considérée comme revêtant « un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats » par les gardiens de la Constitution, mais n’ont selon eux « pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution », la loi a donc été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.

 

Six cavaliers sociaux censurés, prévisible ?

La réforme a cependant été amputé de plusieurs dispositions par une censure partielle des sages. Avant même la présentation du projet de loi en janvier, le Conseil d’Etat avait averti le gouvernement quant au risque de voir certaines mesures censurées par le Conseil, notamment s’agissant de dispositions n’entrant dans aucune des catégories pouvant figurer dans une loi de financement rectificative … autrement dit des cavaliers législatifs.

Le gouvernement savait, dont acte. Est-ce « scandaleux » pour autant ? Non. Parce que le Conseil d’État – à l’instar du Conseil constitutionnel – s’est contenté de se prononcer sur le droit, et non sur l’opportunité politique de la réforme. N’importe quel juriste (publicistes davantage encore) est – en théorie – capable de parvenir à ce constat et de détecter lesdits cavaliers, s’ils ont échappé à l’attention des parlementaires, qui auraient été « dupés » par une telle pratique, ce n’est qu’en raison de leur inattention ou de celle de leurs équipes parlementaires.

S’agissant des cavaliers, un cavalier social constitue une forme de cavalier législatif qui désigne une disposition législative dont la présence dans une loi de financement de la Sécurité sociale est proscrite par l’article 34 alinéa 20 de la Constitution et l’article 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Cette disposition est systématiquement censurée par le Conseil constitutionnel car elle ne relève ni du domaine exclusif des loi de financement de la Sécurité sociale ni de leurs domaines facultatifs.

« Ces dispositions n’ont pas d’effet ou un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution. »

C’est par ces mots que le Conseil a donc logiquement écarté les six cavaliers que constituent les articles 2, 3, 6, 27, ainsi que le 6 ° du paragraphe III et le paragraphe XXVIII de l’article 10 et le 7 ° du A du paragraphe III de l’article 17. On retrouve notamment dans ces dispositions : l’index séniors ; le contrat de travail sénior ; une modification apportée au le recouvrement des cotisations sociales ; les 85% de smic pour les salariés ayants cotisés une carrière au smic ; l’instauration d’un dispositif d’information sur le système de retraite par répartition ; le suivi spécifique des salariés ayant exercé des métiers ou activités exposés à des risques professionnels.

 

Les dispositions validées

Hormis la censure de ces dispositions, les neufs sages ont donc validé l’essentiel de la réforme, dont notamment le relèvement de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans d’ici 2030, mais également l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein de 42 à 43 ans d’ici 2027 (la réforme Touraine prévoyait d’atteindre les 43 anuités en 2035), ainsi que la suppression des principaux régimes spéciaux comme ceux de la RATP, de EDF, Engie, et de la Banque de France pour les employés rejoignant ces entités après le 1er septembre 2023. D’autres mesures plus consensuelles telles que la revalorisation des petites pensions des actuels et futurs, la refonte des carrières longues qui pourront désormais partir entre 58 et 63 ans, ou encore le fonds d’investissement pour les métiers pénibles.

 

Une promulgation en catimini ?

La loi validée par le conseil constitutionnel, le président de la République disposait de deux options, promulguer la loi amputée des dispositions censurées ou renvoyer le texte pour une nouvelle délibération incluant des ajustements à la suite de la censure si nécessaire. Si le chef de l’État avait fait part de son intention de promulguer la loi (rapidement), les oppositions ne s’attendaient probablement pas à la voir figurer au Journal Officiel dès ce vendredi au petit matin. La promulgation de la loi était intervenue la veille, le 14 avril, comme l’indique la date figurant sur le document, rendu public par sa publication dans la nuit, entre 2h et 7h du matin, comme à l’accoutumé. Non, le président n’a donc pas promulgué la loi en pleine nuit.

 

Mais alors, que penser de cette décision ?

N’en déplaise à ses détracteurs, le Conseil constitutionnel s’est comporté comme un véritable juge constitutionnel. Habitué des critiques, il était jadis dépeint comme le chien de garde de l’exécutif. Décrié pour ses interprétations extensives et accusé de prendre des « décisions politiques », le voilà désormais conspué pour avoir strictement exercé son rôle.

En parallèle de cette décision, c’est bien l’exécutif qui a dû se muer en « chien de garde » du Conseil la constitutionnel, tant cette réforme a électrisé le climat social. Si la photo d’une marée de gendarmes mobile, protégeant le Palais-Royal – en particulier son entrée rue de Montpensier – d’une adaptation française de l’assaut du Capitole (dans le pire des cas), a pu choquer des âmes, c’est bien à tort. Voir des gendarmes protéger une institution de la République (qui plus est une juridiction) contre une quelconque menace, c’est bien une évidence, c’est entre autres la raison d’être de la garde Républicaine. Ce qui est cependant inquiétant, et devrait bien davantage agiter les esprits, c’est l’ampleur et la nécessité d’un tel dispositif pour protéger l’un des garants de notre État de droit. 

Si la réforme a pu être perçue comme violente car mal expliquée, mal comprise, mal débattue, c’est une chose. Elle a en effet pu constituer une manifestation d’un haut degré de présidentialisation, ou plutôt d’un haut degré de rationalisation parlementaire, de notre système politique, par la combinaison inhabituelle de plusieurs outils en faveur de l’exécutif. Mais cela ne sonne pas pour autant le glas notre système, un certain nombre de réformes sont souhaitables, notamment pour équilibrer le rapport de force entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, dans la continuité des mécanismes institués par la révision constitutionnelle de 2008. De la clarté et de la mesure, c’est ce manque à notre époque, c’est ce qui doit guider l’action des pouvoirs publics pour sortir de cette crise.

 

Franc Bairbizie

Juriste en droit public