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15H34 - lundi 3 avril 2023

Index senior : quand la forme emporte le fond. La tribune d’Alexandre Lamy

 

Il semble qu’en politique comme en droit, la qualification reste essentielle.

Au-delà de l’enjeu d’équilibre financier face aux tensions démographiques, de celui fondamental de la création collective de richesses pour notre modèle social, répondre aux impératifs écologiques et de justice sociale, la réforme des retraites n’est pas une « simple » réforme budgétaire.

La réforme des retraites est une réforme sociétale fondamentale, ce qui s’exprime de façon criante, au sens propre comme au sens figuré.

Fondamentale parce qu’elle touche à la question de la réinvention de l’alternance des temps sociaux – éduction, travail, repos –, de la réinvention de soi par le travail – cette fameuse question du sens du travail.

Au-delà des enjeux politiques et constitutionnels, pour ne pas épuiser le recours à l’article 49.3 sur un texte législatif de « droit commun » (non budgétaire), la question posée est celle de savoir si la qualification budgétaire de cette réforme était à la hauteur des enjeux ?

L’évaluation, par le dossier législatif lui-même, de la mesure portant création d’un index senior est à ce titre symptomatique des limites qu’une telle qualification porte en elle.

Voilà en effet une mesure, pourtant de nature à créer un écosystème vertueux favorable à la formation et l’emploi des seniors, présentée dans ses impacts négatifs, justifiée par un pari sur la violation de la loi par les entreprises, une évaluation des taux de non-déclaration et du montant des pénalités en résultant.

Le choix du vecteur budgétaire a ainsi contraint à présenter par la négative et à vider de son sens une mesure pourtant porteuse sur le terrain social.

Ce choix est également de nature à expliquer les contraintes et les difficultés de pédagogie politique.

Pourtant, une telle réforme, plus qu’une autre, parce qu’elle a trait aux conditions dans lesquelles s’exerce son travail, plus fondamentalement encore à son rapport au travail, renvoie à des préoccupations concrètes pour nouer un rapport plus qualitatif à son travail, auxquelles des réponses pragmatiques étaient attendues, loin des seules préoccupations budgétaires.

Par son objet même, la réforme des retraites a ainsi exacerbé la crise de l’efficacité politique, la crise de son influence concrète, réelle, mesurée personnellement.

Elle a exalté l’expression des individualismes dont souffrent le champ politique et le monde du travail.

Dans ce cadre, la recherche et la définition d’un nouveau « commun » apparaissent indispensables.

Si, alors que les questions liées à l’emploi se déplacent vers celles liées au travail, celui-ci n’est plus une fin en soi mais un moyen permettant la réalisation de soi, les outils pour y parvenir existent.

Les attentes qui s’expriment à ce titre ne sont pas nouvelles : autonomie et responsabilités (qui réhabilitent les valeurs de l’artisanat), nouveaux modes d’organisation collective pour répondre aux enjeux de charge de travail (qui n’est pas tant liée à la durée effective de travail qui reste stable) et ne plus subir les modalités d’exécution de son activité, et enfin perspectives d’évolution et de reconversion professionnelles.

Si ces attentes ne sont pas nouvelles mais s’expriment avec plus de force, en se traduisant par des problématiques de recrutement, de motivation et de fidélisation, les moyens pour y répondre, en s’appuyant sur la négociation collective, ne sont pas non plus inexistants : expression directe et collective, compte épargne temps, compte personnel d’activité, gestion des emplois et des parcours professionnels…

Toutefois, face aux mutations à l’œuvre, et comme pour les outils de partage de la valeur jugés complexes et inefficaces, ces moyens méritent certainement d’être repensées et modernisés.

Pour ce faire, et comme en matière de dialogue social dans l’entreprise, la définition de la méthode sera clef. L’occasion, en s’inspirant des pratiques sociales de l’entreprise, non seulement de renouer avec la démocratie sociale, mais encore de redonner du souffle à la démocratie représentative.

 

Alexandre Lamy

Avocat associé chez Arsis Avocats, co-fondateur du think tank Néos dédié aux enjeux de l’emploi et du travail