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14H14 - jeudi 19 août 2021

Au fait, qui soigne les soignants ?

 

On le savait. La bonne santé, l’intégrité physique, l’espérance de vie sont, le temps passant, considérées par nos contemporains comme des droits acquis. Sauf cas isolé, perdre une jambe lors d’un accident de la route est mis – du moins pour partie- au débit de tel ou tel édile, maire incompétent ou autiste, voire à charge de la direction départementale de l’équipement : le virage était mal signalisé, le revêtement était défaillant, la masse excessive de gravillons explique la glissade dans le talus. On pourrait multiplier les exemples. En un mot, on trouvera mille circonstances qui transformeront l’accident en erreur incompréhensible, la conduite malhabile en faute d’autrui. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir le rôle des audiences des tribunaux, notamment administratifs. Sans le dos d’âne trop prononcé, la cousine Hildegarde – dont on oubliera la conduite céleste- n’aurait pas définitivement décollé vers les nuages. Le risque zéro existe bien.

On peut sourire de la banalité statistique du sujet, les accidents de tout type – pas seulement routiers, mais surtout domestiques, notamment- occupent une part non négligeable du temps, des soins, des attentions, à toute heure, du personnel soignant hospitalier. Ajoutons bien sûr la masse de trois expressions passées dans le langage commun, les AVC (accidents vasculaires cérébraux), les infarctus et autres épisodes annonçant l’Alzheimer. Et oublions pour faire simple les rixes de bar-tabac, le méchant guet-apens du mari jaloux et autres torgnoles appuyées, généreusement distribuées en dehors des horaires scolaires. Mais la liste est loin d’être exhaustive, on le sait…

Ou pour être plus précis, tout le monde le sait. Le système des urgences a explosé depuis des lustres avec la retraite de milliers de médecins de famille, médecins de campagne, cette armée sans RTT, arrivant trempés et crottés à pas d’heure, et soulageant autant l’entourage que le patient ayant forcé sur le petit dernier verre de fine. Tout cela appartient au passé.

Prises d’assaut, les urgences se sont vues affectées d’une procédure (carte vitale, premier examen, attentes) et parfois, d’un quarteron de vigiles pour contenir l’oncle, le fils exigeant la priorité pour la mère, le bambin, la fiancée ou la trop belle voisine prise de nausées. En un mot, on a hystérisé les choses. Ici comme ailleurs. 

Un peu de bruits et d’odeurs pouvant compléter et accompagner sans risques l’IAO (L’infirmière d’accueil et d’orientation).

Les médias se sont emparés du sujet facile – puisqu’il n’y a plus une semaine à Bressuire, Bourg-en-Bresse ou Ancenis sans appel de la police aux urgences – mais on a complètement passé sous silence le « tout petit détail ».

Attention ! Le détail, ce ne sont pas les trois molaires de l’infirmier s’étant interposé entre deux impatients aspirant au rôle de patient prioritaire, mais l’usure, ce long travail de sape qui, année après année, a atteint les blouses blanches.

Oui, le sujet a déjà été survolé, et on ne compte plus les symposiums savants, les journées d’études et autres réunions de service sur la fatigue physique et mentale, l’épuisement, la lassitude, « le Burn out » des soignants.

Car, pour couronner le tout, Madame Covid est montée à bord et tel sur les galères romaines ou royales, a encore fouetté le dos déjà meurtri des rameurs. Vogue-avants, chefs de bancs ont dû répondre aux ordres des comités, ces maîtres du rythme. On a battu la cadence des gongs. S’il existe bien une correspondance entre la chiourme et la maladie, c’est que les deux ignorent la souffrance de l’autre. La Covid progresse, le navire doit filer droit devant, et forcer la cadence. Restons sur la comparaison marine car le médecin, l’infirmière se sont trouvés arrimés au banc de nombre de malades.

Tout le monde les a oubliés, bien sûr. Place aux vacances, passeport vaccinal pour la plage et double-pastis pour les potes, les gosses sur le sable, bobonne dans l’eau et belle-maman au supermarché. Mais la fatigue cumulée des femmes et hommes en blanc, elle, n’a pas fondu, c’est un euphémisme. Elle ne cède pas. Et pas seulement aux Antilles. Les plus hautes autorités continuent leurs éternelles palabres, et se jouent avec les mots maritimes, « vagues » et autres images, mais prendre la tasse, on l’a bien compris, demeure réservé aux sauveteurs.

Le lecteur a vu passer beaucoup de plaisanteries d’un goût inégal depuis mars 2020 – un an et demi de surtravail pour les soignants-, mais a vite passé par pertes les dizaines de blouses blanches définitivement rangées du fait du décès de tant de femmes et d’hommes ayant donné leur vie pour autrui. Et aujourd’hui, à la mi-août 2021, on a complètement remisé la petite question :

Au fait, qui soigne les soignants ?

Dans la merveilleuse époque que nous traversons, tout est magique. Si vous portez une blouse blanche, vous êtes une sorte de Terminator, qui même dissous et perclus, se recompose en quelques micro-instants. Les soignants, c’est clair, ne sont plus perçus comme des hommes, et leur passage sur les médias a rendu sympathiques celui-ci et pas celui-là, mais n’a rien changé à la carence de leur prise en charge, médicale, psychologique, carences en réalité gravissimes pour les effets qu’elles développent. Entre deux tweets, un message médiatique de remerciements et un vaccinodrome au parfum sportif, on se sent déjà mieux. Cela rassure certainement notre conscience.

Si on ne traite pas la fatigue, l’épuisement, l’exténuation des premières et des deuxièmes lignes maintenant, qui le fera un jour ? C’est une question posée une douce nuit d’été sombre, entre un tremblement de terre, un ouragan dans les Caraïbes, un bouleversement humain en Orient et des Antilles peu vaccinées.

Mais soyez rassurés, les soignants, plus habitués des procédures de précautions désormais, vont envoyer un mail cette nuit de garde sur ce sujet, et on nous répondra certainement dans les plus brefs délais…Mais il est si vrai parfois que certaines questions n’ont pas besoin de réponse, tant leur intitulé la porte en elle… 

Bon mois d’août ! Pour septembre, revoyons-nous. 

 

Docteur Ali Afdjei, Urgentiste, co-auteur du livre « Burn-out, le vrai du faux » (éd. La Providence)

Jean-Philippe de Garate, Chroniqueur Opinion Internationale

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