Opinion Sport
12H22 - jeudi 26 novembre 2020

Maradona, le foot et bien au-delà. L’édito de Michel Taube

 

« Vers l’infini et au-delà ». Tel est le titre du dernier mouvement de l’extraordinaire ballet cinématographique de Stantley Kubrick dans « 2001 : l’Odyssée de l’espace ».

« Le football et au-delà ». Tel fut aussi la vie de Diego Maradona.

Donc, oui, « Dieu est mort », comme titre ce matin le quotidien l’Equipe.

Car il est une chose que les non-amateurs de football ne peuvent comprendre : aucun sport, aucun spectacle ne génère autant de passions dans le monde que le football, même chez les esprits les plus élevés, les intellectuels les plus accomplis. Le foot n’est pas seulement un sport et sa grand-messe, la coupe du monde, une compétition sportive. Cette singularité repose en partie sur sa simplicité : un enfant qui donne un coup de pied dans un caillou fait (presque) le même geste qu’un footballeur devant 80.000 spectateurs.

Mais elle s’explique aussi par la nature profondément irrationnelle de ce sport. Par exemple au rugby, il n’y a pas le moindre doute que la Grèce ou l’Allemagne se feraient étriller par la Nouvelle-Zélande ou même la France. Mais au football, la France championne du monde, le Brésil ou l’Espagne peuvent perdre un match contre l’Islande ou le Monténégro. Le football est aussi un jeu de chance, du moins y prend-elle une part considérable.

En Argentine, ou à Naples, et dans le cœur de nombreux amoureux du football sur toute la planète, le blasphème serait de prétendre le contraire. Car Diego Maradona, mort d’une crise cardiaque à 60 ans le 25 novembre 2020, était plus qu’une légende. Il était, avec le Brésilien Pelé, aujourd’hui âgé de 80 ans, le footballeur qui marqua le plus l’histoire de son sport, au-delà même du sport. En Europe, seul le Hollandais Johan Cruyff peut, à un degré moindre, prétendre à ce statut d’icône absolu, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il n’a pas, comme Michel Platini, gagné la Coupe du monde.

On peut rester dubitatif devant le déversement de larmes et d’éloges que suscite la mort de Maradona. Même l’Élysée s’est fendu d’un long communiqué participant à cette adoration planétaire. Après l’injonction de deuil imposée par les médias français à la mort de notre Johnny national, voici celle d’aduler Maradona. Oubliées ses frasques, ses provocations, ses tricheries (il n’y avait pas que « la main de Dieu » lors la coupe du monde de 1986), oubliée son exclusion lors de la coupe du monde de 1982 à la suite d’un coup de pied dans les testicules du Brésilien Batista et en 2004 pour dopage à la cocaïne, oubliées ses mœurs, ses relations avec la Camorra napolitaine, son addiction à la cocaïne, oublié le personnage infréquentable qu’il était devenu, sauf pour le dictateur cubain Fidel Castro qui l’accueillit aussi bien qu’il maltraitait ses opposants.

Oublié, vraiment ? Au contraire, la face sombre de Diego Maradona a façonné sa légende, autant que son art du ballon.  

Certes, il ne fut pas le seul sportif de haut niveau à ne pas entrer dans le moule de l’éthique et de la diététique sportives (vraiment éthique, la FIFA ? Vraiment diététique, le dopage ?) : Georges Best, Éric Cantonna, John McEnroe, Jacques Anquetil, Mohamed Ali… Ces personnages, ces grands champions sont les rocks stars du sport, celles dont on se délecte de la gloire et de la décadence (ou de la mort) : Jimi Hendrix, Jim Morrison, Serge Gainsbourg…

Rock star, Maradona fut aussi enfant du peuple, malgré la fortune qui accompagna sa gloire… À Naples, dont le stade portera son nom, comme dans toute l’Argentine, les classes populaires le considèrent comme l’un des leurs.

 

Le meilleur footballeur de tous les temps ?

On ne saurait affirmer comme une vérité scientifique que Diego Maradona était le meilleur joueur de l’histoire du football. Même si nombreux sont ceux qui s’y emploient, il est en réalité impossible de comparer les sportifs d’époques différentes. Maradona, Messi ou Pelé ? Ces trois ont un profil, un style, un sens du dribble voisins, mais il n’est pas raisonnablement possible d’affirmer que l’un est meilleur que l’autre, quand bien même Pelé aurait-il le plus beau palmarès, avec trois coupes du monde.

À l’époque où Diego Maradona était à son zénith, le seul joueur de son niveau était Michel Platini. Bien qu’ils portaient le même numéro 10, leur style de jeu était si différent qu’ils n’étaient pas vraiment concurrents ou rivaux, même si le Français jouait dans le riche club du nord, la Juventus de Turin, propriété de Fiat, et l’Argentin dans le club de Naples, dans le Mezzogiorno, le pauvre sud. Au contraire, l’un avait pour l’autre une immense admiration. Ils dominaient le football mondial comme Lionel Messi et Cristiano Ronaldo (encore un style très différent) ont dominé la dernière décennie.

Dans les interviews qu’il donnera après sa carrière, ni Zinedine Zidane, ni même Pelé n’avaient les faveurs du Pipe d’el Oro (le gamin en or) argentin. En revanche, « Michel », comme il disait… Il lui pardonna même (mais du bout des lèvres) de s’être fourvoyé en acceptant de hautes responsabilités dans les instances du football. Force est de reconnaître qu’il ne s’était pas trompé ! Platini lui rendit ses éloges, notamment en affirmant que ce que Zidane faisait avec un ballon, Maradona savait le faire avec une orange. Et vlan dans les dents. Peut-être faut-il y voir une petite amertume, car Zinedine Zidane gagna la coupe du monde (désormais une banalité pour les Français !) et pas le maître à jouer français des années 1980. Il est vrai qu’on a beau vanter la Ligue des Champions et les profits considérables qu’elle génère chaque année, le Mondial de football est (encore) la plus grande épreuve sportive de la planète, celle qui déchaîne le plus de passions. Gagner la coupe du monde, c’est comme gagner toutes les médailles olympiques.

Alors que Platini et Maradona jouaient dans le même championnat italien, les statistiques plaident en faveur du Français : meilleur buteur et meilleur passeur du championnat. Il fut fort logiquement désigné meilleur joueur du championnat alors le plus relevé de la planète, et meilleur joueur européen (à cette époque, le Ballon d’or ne pouvait être décerné qu’à un joueur européen). Et pourtant, Diego Maradona, bien au-delà de toute statistique, marqua les esprits bien plus que Michel Platini, et imprima la mémoire des amateurs de football, et l’histoire de ce sport plus que n’importe quel autre footballeur.

 

Mexico, 22 juin 1986 : et le diable devint dieu

Maradona, c’était le pire et le meilleur. Tout Maradona était dans ce fameux match contre l’Angleterre qui venait d’humilier l’Argentine lors de la guerre de Malouines, en quart de finale de la coupe du monde de 1986 : un premier but de la main (la main de Dieu ou ’art magistral… de la triche) puis, quelques minutes plus tard, le plus beau but de l’histoire du football. Ce n’était plus du football, mais de la danse. Aux yeux de la planète entière, le diable se métamorphosa en dieu. Toute la carrière et métaphoriquement toute la vie de Diego Maradona se résument en ces quelques minutes inoubliables.

Merci Diego Armando Maradona pour toutes ces émotions que seul le football peut procurer, surtout lorsqu’il est pratiqué par un artiste de cette trempe, l’un des plus grands, peut-être le plus grand d’entre tous.

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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