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13H59 - jeudi 19 novembre 2020

Rapport de l’ART sur les concessions autoroutières : la réponse du berger à la bergère ? L’analyse de Rémi Bertin

 

Quelques semaines seulement après la publication d’un rapport du Sénat qui a suscité la controverse, l’Autorité de Régulation des Transports (ART) publie à son tour un rapport sur le bilan des concessions autoroutières. Celui-ci bat en brèche les idées préconçues, et en livre une analyse nuancée et plutôt positive. Plongée dans l’univers des concessions routières où le risque de se perdre est nul tant le chemin est en fait balisé.

Des conjectures au banc des accusés

Dès l’introduction de son rapport d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières, rendu public en septembre 2020, le Sénat n’évite pas certains écueils. Ainsi, il emploie le terme de « privatisation » des autoroutes. Un terme très largement utilisé dans les médias, mais factuellement inexact puisque seule leur gestion a été confiée à des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) dont le capital est, certes passé entièrement sous contrôle privé depuis, mais dans les faits, les autoroutes restent la propriété de l’Etat. Autre lieu commun évoqué dans le rapport de la commission d’enquête du Sénat, une rentabilité « généralement perçue comme trop favorable ». Là encore un avis très souvent relayé ici ou là, mais que l’Autorité de régulation des transports (ART) ne partage pas. En effet, dans son rapport paru en juillet dernier, l’ART conclut que le taux de rentabilité interne a quasiment stagné à +0,15% entre 2017 et 2019, soit  « une évolution favorable mais modérée depuis 2017 ».

Néanmoins, dès qu’elle prend la peine de sortir des sentiers battus et de s’écarter des lieux communs, la commission d’enquête du Sénat reconnaît elle-même que le recours à la concession autoroutière n’a pas que des désavantages, loin de là. En premier lieu, le rapport précise que les concessions autoroutières ont permis la construction du réseau autoroutier. En effet, sans elles, l’Etat n’aurait jamais eu les moyens de financer seul son développement.

Par ailleurs, s’il se montre critique en ce qui concerne la mise en place de ces concessions qui s’est faite, selon les termes du rapport, sans « révision des contrats », ni « révision des relations avec l’Etat concédant », le Sénat se félicite que la loi Macron du 6 août 2015 ait permis un rééquilibrage des relations entre l’Etat et les concessionnaires et un contrôle renforcé du secteur autoroutier concédé. Une mission confiée à l’ART dont la commission d’enquête du Sénat approuve l’action puisqu’elle loue « l’efficacité croissante de la régulation confiée à l’ART ». Celle-ci a permis d’écarter un certain nombre d’opérations et les augmentations tarifaires afférentes, d’assurer une plus grande transparence des résultats économiques des concessions autoroutières, de vérifier que les règles d’appel d’offres étaient respectées, y compris les attributions de marchés de travaux à des entreprises liées et de mettre en place un suivi de la rentabilité financière. Toutefois, le Sénat estime que le contrôle de l’Etat doit être encore renforcé et que la régulation « peut encore être améliorée », notamment en ce qui concerne le suivi juridique et financier qu’il juge insuffisant.

Un modèle de concession gagnant pour tout le monde selon l’ART

De son côté, l’ART propose « une présentation factuelle, précise et objective du secteur » selon les propos de son président Bernard Roman. Un avis qui ne souffre aucune contestation tant l’ART fait, sans mauvais jeu de mots, autorité en la matière et que nul ne peut remettre en cause son expertise. Spécialiste du sujet, l’ART expose parfaitement le modèle économique des SCA qui, dans les premières années de la concession, mobilisent des investissements colossaux et consentent à de lourdes pertes financières avant de commencer à gagner de l’argent, ce qui justifie la longue durée des contrats, ainsi que l’appréciation de leurs profits sur le long terme.

 

L’ART balaie les critiques de ceux qui estiment que les péages sont trop chers en mettant en avant l’excellent état des autoroutes depuis qu’elles sont gérées par les SCA. « Les infrastructures autoroutières présentent en effet de forts atouts en termes de confort, de sécurité et de vitesse, si bien que les autres infrastructures de transport apparaissent comme des substituts imparfaits », peut-on lire dans son rapport. L’ART rappelle également que, dans une économie de marché comme la nôtre où la majorité des prix sont fixés librement, le péage fait figure d’exception car son tarif est encadré. En effet, la hausse annuelle est clairement indiquée dans les contrats de concession, elle est prévue plusieurs années à l’avance et les SCA sont contraintes de les appliquer strictement. Et plutôt que d’ergoter sur le prix des péages, l’ART recommande plutôt une modulation des tarifs « en termes géographique et temporel pour améliorer le bien-être collectif ».

D’autre part, dans la deuxième de ses trois recommandations préconisées, l’ART plaide pour une définition exigeante concernant le « bon état » de l’infrastructure à restituer. Car si le cahier des charges prévoit qu’à l’échéance du contrat de concession, les biens de retour, qui composent a priori la quasi-totalité des biens de la concession, reviennent gratuitement et en bon état d’entretien au concédant, nulle mention n’est faite de ce que cela signifie très précisément.

Cette recommandation pleine de bon sens ne remet nullement en cause le modèle de la concession, tout comme la troisième et dernière recommandation d’ailleurs, qui envisage l’avenir des autoroutes lorsque les concessions arriveront à échéance : réduction de la durée, revue périodique de l’équilibre des contrats, partage des risques procurant les meilleures incitations aux opérateurs privées… L’ART ouvre des portes annexes, mais sans envisager une seule seconde un retour de plain-pied de l’Etat qui ne pourrait absolument pas supporter seul les coûts engendrés. Déjà, dans un rapport parlementaire publié en 2014 sur les relations entre l’Etat et les sociétés d’autoroute, Jean-Paul Chanteguet estimait « L’Etat incapable de financer des travaux qui sont nécessaires. Par exemple des travaux qui concernent des murs antibruit ou des travaux qui concernent des échangeurs », et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec les milliards d’euros débloqués pour affronter la crise économique actuelle, il en a encore moins les moyens de poursuivre, seul, une politique autoroutière ambitieuse de long terme.

En conclusion, même si elle estime le modèle perfectible, l’ART ne remet en aucun cas le principe de la concession autoroutière. Une expertise loin des anathèmes et contre-vérités souvent visibles dans les médias.

 

Rémi Bertin

Consultant en développement commercial

 

 

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