International
08H00 - jeudi 15 octobre 2020

Jean-Noël Tronc, Directeur général-Gérant de la Sacem : « Pour surmonter la crise, avançons unis »

 

En moins d’un an, la Covid 19 nous a fait entrer dans une crise économique grave, durable et sans précédent. L’absence de visibilité sur l’avenir, même à court terme, et l’évolution préoccupante de la situation sanitaire, donnent à cette crise une dimension unique. Premier secteur à se confiner, la culture peut témoigner de son impact brutal et massif, avec 22,3 milliards d’euros de pertes estimées pour l’année[1]. Les innombrables concerts, festivals et rendez-vous culturels annulés, les bars, cafés, clubs et discothèques fermés sont autant d’activités clés qui ne peuvent plus apporter leur contribution à la vitalité économique de notre pays, et à la force de son lien social.

Dans cette ère de l’incertitude permanente, la gestion collective a démontré à la fois son efficacité, son utilité et apporté la preuve que l’union fait la force. Alors que les métiers de la culture étaient confrontés au double risque de l’isolement et d’une fragilisation durable, elle leur a permis de s’organiser collectivement pour favoriser l’entraide, la protection mutuelle, et garantir leur capacité à parler d’une même voix aux pouvoirs publics, comme aux grands acteurs économiques.

Maison commune de celles et ceux qui font vivre la musique, mais aussi de nombreux auteurs d’autres arts (comme les auteurs de doublage et de sous-titrage, les auteurs-réalisateurs, les humoristes, les poètes, etc…) la Sacem se mobilise à leurs côtés depuis le début de l’année pour les protéger, les accompagner et défendre leurs droits et leurs intérêts à chaque étape d’une crise qui les frappe de plus en plus durement. Les auteurs et les compositeurs et éditeurs de musique subissent une véritable « double lame » : à l’impossibilité de travailler depuis le début de la crise Covid, qui s’est traduite par des pertes de revenu immédiates (primes de commande par exemple), va s’ajouter une perte parfois catastrophique de leurs revenus en droits d’auteur d’ici quelques mois. En effet, comme il y a souvent un décalage de quelques semaines, voire de quelques mois, entre la diffusion d’une œuvre de nos membres par un média ou dans un concert et le paiement des droits, c’est à partir de la répartition trimestrielle du 6 janvier 2021 que l’impact Covid-19 sur leurs droits va surtout frapper les membres de la Sacem.

Et puis à ces deux lames s’ajoute une troisième : cet outil commun pour la création française qu’est la Sacem, référence mondiale, est gravement touché, pour la première fois de son histoire, par les effets de la crise. Dès les premiers jours du confinement, nous avons pris des mesures d’urgence et lancé de premières économies, avec le chômage partiel non compensé, le gel de toute embauche et le non remplacement des départs, etc. Mais cela ne suffira pas à faire face et nous devons prendre d’autres mesures d’économies plus lourdes. J’y reviens plus loin dans ce texte.

Si les pertes du secteur musical s’élevaient déjà à 4,5 milliards d’euros, selon une étude réalisée par le cabinet EY pour l’association Tous Pour la Musique, en juillet dernier (avant les nouvelles restrictions de la rentrée), le pire est donc encore à venir dans les prochains mois. A terme, de nombreux auteurs et compositeurs risquent tout simplement de ne plus pouvoir créer, de nombreux éditeurs de musique risquent de cesser leur activité, avec à la clé un appauvrissement considérable de notre vie, de notre rayonnement et de notre diversité culturelle.

Pour éviter ce naufrage, la Sacem a joué pleinement son rôle en agissant sur cinq leviers complémentaires :

  • Nous avons répondu à l’urgence des situations individuelles, dès le début du confinement, en déployant un plan de 43 millions d’euros (fonds de secours avec des aides directes non remboursables, avances exceptionnelles de droits d’auteur, adaptation de nos aides aux projets…) qui compte parmi les mesures les plus rapides et les plus fortes prises en Europe et dans le monde.
  • Nous avons garanti la continuité des revenusliés aux droits d’auteur, en sécurisant les répartitions des droits d’auteur d’avril, juillet et octobre.
  • Avec les organisations professionnelles d’auteurs, et de compositeurs et d’éditeurs de musique, nous avons mené un travail intense de pédagogie et de conviction auprès des pouvoirs publicsafin de les sensibiliser à la situation du secteur musical, et aux difficultés spécifiques liées aux métiers de la création et de l’édition. Ces combats ont porté leurs fruits : fonds de solidarité artistes/auteurs dans le fonds de secours spectacle vivant lancé en mars par le Centre National de la Musique (CNM), aide supplémentaire aux éditeurs par le CNM (avril), exonération de charges et éligibilité au fonds de soutien aux indépendants (mai). Depuis la fin août, l’annonce d’un plan de relance pour la culture de deux milliards d’euros par le gouvernement a permis d’augmenter fortement les moyens du CNM (210 M€ sur deux ans, contre 35 M€ initialement prévus). Celui-ci, dans les instances duquel nous sommes présents vient de mettre en place deux nouvelles mesures : un dispositif de compensation pour les droits d’auteurs, au sein du fonds de compensation des pertes en billetterie sur le spectacle vivant pour 2020 ; un fonds spécial pour les musiques classiques et contemporaines. Nous finalisons un dispositif de même ordre avec le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC).
  • Nous avons initié et porté l’opération #SceneFrançaise, qui encourage les diffuseurs (radios, télévisions, etc.) à programmer les œuvres fabriquées en France, et qui encourage les Français à partager leurs coups de cœur sur les réseaux sociaux. Ainsi, nous sensibilisons les media et les citoyens au pouvoir qui est le leur : en diffusant et en écoutant de la musique, il est possible d’aider concrètement nos créateurs. Et cela grâce au levier formidable qu’est le droit d’auteur, qui transforme l’écoute en rémunération. Elle a été suivie par plus de 250 radios, nationales et locales, qui se sont engagées à diffuser davantage la création francophone. Concrètement, il y a eu 693 titres francophones sur 1466 nouveautés entrées en playlist au premier semestre 2020 soit une augmentation de 14,5% par rapport à l’année précédente.
  • Nous avons contribué à préparer l’avenir, en mettant en place la première rémunération spécifique pour les livestreams, qui ont permis de nourrir le lien entre les artistes et leur public pendant tout le confinement. Accompagner l’évolution des pratiques et inventer les modèles de demain, c’est aussi cela, faire vivre la musique !

Evidemment, nous poursuivrons et nous continuerons de renforcer ces engagements aussi longtemps que durera la crise.

Si ce soutien inconditionnel à nos membres est au cœur de notre engagement et de nos missions d’intérêt général, notre responsabilité ne s’arrête pas là.

Nous sommes plus que jamais mobilisés aux côtés de nos 500 000 clients : les salles de spectacle, les festivals, les médias, les cafés, les restaurants, les discothèques ou encore toutes les commerces qui diffusent simplement de la musique créée par celles et ceux que nous représentons, tous sont les premiers acteurs de la vie culturelle, sociale et économique de nos territoires. Partenaires quotidiens de la création, ils sont souvent dans une situation très difficile causée par de nombreux mois d’interruption et de restrictions. Leur activité est suspendue au thermomètre de la crise et des consignes sanitaires.

Notre engagement à leur service a été triple :

  • Nous avons contribué à les « soulager » de l’effort économique lié au confinement, en suspendant toute facturation des droits d’auteur et toute pénalité pour non-paiement dans les délais.
  • Nous avons accompagné la reprise progressive de l’activité, pour ceux qui en ont eu la possibilité, en leur proposant un crédit équivalent à la durée du confinement, et en assouplissant les délais de paiement.
  • Nous avons maintenu, à travers notre action culturelle, la plupart de nos aides aux organisateurs de spectacles et aux porteurs de projets qui faisaient face à l’annulation de leur événement.

Vitale pour les auteurs et les compositeurs et éditeurs de musique, incontournable pour tous les diffuseurs de musique, la Sacem a pu agir parce qu’elle est leur interface de référence : un partenaire qui écoute, qui s’adapte et qui protège.  La gestion collective avait déjà su révéler sa puissance, son efficacité et sa grande capacité d’adaptation à l’ère du numérique, de l’évolution constante des modes de consommation de la musique, de la profusion des plateformes et de la croissance exponentielle des données. Elle s’impose aujourd’hui comme plus moderne et performante que jamais, n’en déplaise à ceux qui voudraient lui substituer des modèles moins équitables et moins protecteurs. Une relation de long terme sera toujours plus profitable qu’un contrat limité dans le temps. Et l’on vit mieux de son métier quand on touche des droits d’auteurs proportionnels au succès de son œuvre, tout au long de sa vie, plutôt qu’une rémunération forfaitaire de l’instant.

Notre modèle, celui-ci d’une société privée, collective, à but non lucratif, est social et solidaire. Afin de le préserver, ce modèle doit continuer à évoluer pour pérenniser son utilité et sa performance. Pour la Sacem, l’impact de la crise s’élève, d’après nos estimations et sur la base des pertes déjà constatées depuis mars, à 300 millions d’euros de droits d’auteur collectés en moins pour 2020 et 2021. De par nos statuts, nous ne détenons pas de « trésor de guerre » pour amortir ce choc : la Sacem ne fait ni épargne, ni profit et n’en a pas le droit. C’est notre trésorerie, composée de droits en attente de versement aux membres, qui nous a permis de financer les avances exceptionnelles mises en place pour faire face à la crise. Sachant que nous avons significativement baissé notre trésorerie opérationnelle (notamment en accélérant nos répartitions) dans le cadre de nos efforts de performance depuis 2015.

Cette année, la chute historique des collectes déséquilibre durablement notre compte de gestion. Elle renforce une pression déjà prégnante sur notre « modèle Sacem », dont les deux-tiers des charges sont financées par les prélèvements sur les droits versés par la Sacem à ses membres.

Il est indispensable d’accélérer et de renforcer notre transformation : c’est en rendant notre modèle plus agile que nous pourrons bâtir une Sacem plus accessible, plus proactive, plus numérique et plus internationale. Cette transformation est un levier essentiel pour notre développement. Elle comprend nécessairement un plan d’économies pérennes et une réduction de nos frais de personnels, qui représentent les deux tiers de nos frais de fonctionnement. Nous avons lancé, dans un dialogue social respectueux, un plan de départs qui portera sur une partie de nos effectifs.

Ce plan de transformation nous l’avons pensé pour garantir le développement à long terme de la Sacem. Il s’inscrit pleinement dans l’histoire et les valeurs de notre société, qui a su s’adapter et se transformer sans jamais renoncer à sa mission économique, culturelle et sociale, depuis sa fondation, en 1851.

Nul ne sait, aujourd’hui, quand reprendront pour de bon les concerts, les festivals, les spectacles et l’ensemble des événements qui font de la France un pays de culture. Mais notre conviction, c’est que nous sortirons de cette crise par le dialogue, la concertation et l’entraide. Plus que jamais, nous devons avancer unis.

 

Jean-Noël TRONC
Directeur général-Gérant / Chief Executive Officer
Sacem – Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
Sdrm – Société de reproduction des droits mécaniques

 

[1] Enquête du Département des Etudes du Ministère de la Culture rendue publique le 1er juillet.
Ce chiffrage est convergent avec celui établi à la demande de France Créative par le cabinet EY en juin (30 MD€ de pertes selon les scénarios).

 

 

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