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18H06 - jeudi 26 mars 2020

Artisans bouchers : héros ou sacrifiés ? L’appel Jean-François Guihard, président de la Confédération Française de la Boucherie

 

Chers confrères,

C’est avec beaucoup de solennité que je vous écris.

Mes premières pensées vont vers celles et ceux d’entre vous qui sont confrontés à la maladie ou à celle d’un parent, d’un ami, d’un salarié.

Vous, qui traversez une épreuve douloureuse, pouvez être assurés du soutien absolu et indéfectible de l’ensemble du Métier. Sachez pouvoir compter sur la solidarité, l’entraide et l’amitié sincère de la grande famille des Bouchers.

La crise sanitaire que nous traversons est historique et « rien ne sera désormais jamais plus comme avant ».

Comme à chaque instant décisif de notre Histoire, des héros jaillissent.

Des héros anonymes, silencieux, généreux. Des héros lumineux.

L’Histoire retiendra les visages sans noms de nos valeureux personnels soignants, qui, sans relâche, jour et nuit, sauvent des vies et maintiennent l’espoir d’un jour meilleur.

Elle retiendra également les visages de ceux qui permettent aux Françaises et aux Français de continuer de se nourrir, chez eux, seuls ou en famille, en sécurité.

Vous en êtes.

Vous, Bouchers-charcutiers.

Que vous soyez artisans, salariés, conjoints, apprentis, vous êtes, vous aussi, des héros.

Je tiens à vous témoigner, à toutes et à tous, ma profonde admiration et mon amitié la plus sincère.

Je sais que vous êtes particulièrement mis à rude épreuve. Je sais aussi que certains rencontrent de grandes difficultés. Ne lâchez rien et sachez que votre Confédération, ses élus et son personnel administratif sont totalement mobilisés pour vous accompagner et vous défendre. Nous sommes là, avec vous, et ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous aider.

Notre solide Confédération, riche de son réseau territorial, de ses syndicats départementaux et fédérations régionales, vous accompagne dans la mise en place de bonnes pratiques au sein de vos entreprises pour faire respecter les gestes barrières. Elle vous guide et vous appuie dans l’ensemble de vos démarches, c’est pourquoi j’ai souhaité que vous puissiez trouver dans ce numéro, des réponses à vos nombreuses interrogations (chômage partiel, reports des cotisations…).

L’actualité des derniers jours me pousse également à adresser un message fort au Gouvernement, au nom des 80 000 Bouchers-charcutiers, artisans et salariés, mobilisés au service de la Nation.

Un message de colère.

Durant cette crise, nous, artisans, commerçants de proximité et nos salariés, sommes en première ligne face à l’épidémie.

Je souhaite ensuite rappeler que nous, artisans Bouchers, sommes au cœur d’un acte fondamental, essentiel à la vie, et qui a trop longtemps été délaissé, voire oublié : celui de s’alimenter.

Et pourtant, alors que nous traversons une crise sans précédent, dans laquelle l’ensemble des forces vives de l’Artisanat sont mobilisées, le Gouvernement semble avoir fait le choix de sacrifier nos entreprises de proximité au profit de la Grande Distribution.

En nous oubliant et en faisant unilatéralement le choix des grandes enseignes, seule forme de distribution qui semble exister à ses yeux, le Gouvernement bafoue, je pèse mes mots, des milliers de femmes et d’hommes qui ont tout mis en œuvre pour sécuriser la venue des Françaises et des Français dans leurs entreprises.

Les récentes déclarations de plusieurs membres du Gouvernement, notamment celles du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation sur l’antenne de RMC, sont un immense affront à nos professionnels, à leur savoir-faire, à leur mobilisation sans précédent, et à leur rôle au service du pays.

Pas un mot pour nos artisans, pas un mot pour nos salariés.

En revanche, notre cher ministre ne tarit pas de louanges pour la grande distribution, je le cite : « ce qui s’est passé dans les grandes et moyennes surfaces est absolument remarquable. Je veux vraiment saluer les patrons de ces grandes surfaces avec lesquels je suis en relation quotidienne. […] Je veux saluer le patriotisme alimentaire dont font preuve les grandes surfaces ».

De notre côté, pas un appel du ministre. Silence radio.

La fermeture des marchés alimentaires de proximité, sans nous consulter, et alors que de nombreux dispositifs sécurisant la venue des consommateurs ont été mis en place par les artisans, est du même acabit.

Un hypermarché accueillant de nombreux clients, qui touchent aux produits, qui les remettent en rayon avant que d’autres ne les prennent, qui parfois même viennent purement et simplement s’y promener, est-il plus sûr qu’un marché filtrant les entrées, appliquant les gestes barrières, où seuls les artisans et commerçants touchent aux produits ?

Je voudrais également rappeler au Gouvernement deux choses.

D’abord, que la France a la chance incroyable de bénéficier d’une remarquable diversité alimentaire, tant au niveau de sa production que de sa distribution, et que nous n’opposons aucunement les différents modèles qui sont complémentaires.

N’oublions pas non plus que les commerces alimentaires de proximité, qui font la richesse et la diversité de nos centres-villes et centres-bourgs, en boutique et sur les marchés, sont un vecteur incontournable en produits frais, de qualité et qui contribuent à un bon équilibre alimentaire.

Des professionnels des « métiers de bouche », fidèles soutiens des agriculteurs français et de leurs filières, pas uniquement pendant la crise que nous traversons, mais bel et bien tout au long de l’année. Ce sont eux les véritables héros du patriotisme alimentaire.

Au plus près du domicile de chacun, notamment des personnes isolées et vulnérables qui ne possèdent pas toujours un moyen de locomotion, artisans et commerçants s’adaptent à la situation et proposent : livraisons à domicile, commandes par mail, par téléphone, sur les réseaux sociaux ou sites internet, mise en place de services de « click and collect », achats via des casiers réfrigérés, horaires adaptés… Un service sûr et sur-mesure.

Pensez-vous sérieusement qu’une grande enseigne ira livrer, parfois à des kilomètres, une tranche de jambon à une personne isolée ?

Chaque jour, dans l’Artisanat, de nouvelles initiatives et de nouveaux élans de solidarité fleurissent pour faciliter le quotidien de nos concitoyens et des professionnels de santé : don de plateaux repas, priorité de service…

J’appelle les maires, qui eux sont sur le terrain, qui eux connaissent leurs marchés, leurs commerçants, à solliciter les préfets afin de rouvrir, dès que possible, ces lieux essentiels de la distribution alimentaire.

Au moment où j’écris ces lignes, des préfets se défaussent en rejetant systématiquement les demandes de maires, estimant que l’offre locale est suffisante et alors que toutes les conditions de sécurité sont réunies pour rouvrir des marchés.

J’appelle donc les préfets à prendre leurs responsabilités et le ministre de l’Intérieur à réagir.

Avec les marchés, nos commerces alimentaires de proximité sont la solution à toutes celles et ceux qui ne peuvent pas, et surtout qui ne veulent pas, se rendre dans les hyper et supermarchés !

Chers confrères, malgré les bâtons qu’on nous met dans les roues – mais nous y sommes habitués – continuons ensemble notre travail au service des Françaises et des Français afin que cette épidémie soit le plus rapidement possible loin derrière nous.

Continuez à prendre soin de vous, de vos proches, de vos salariés et de vos clients. Vous aussi êtes des héros.

Bien confraternellement,

Jean-François Guihard

Président de la Confédération Française de la Boucherie, Boucherie-Charcuterie, Traiteurs (CFBCT) dans le journal La Boucherie Française, avril 2020.