Edito
07H39 - mardi 11 février 2020

Vanille ou le dogme de la filiation biologique. L’édito de Michel Taube

 

Malgré la mise en œuvre du dispositif Alerte Enlèvement, la petite Vanille, âgée d’un an, a été retrouvée morte, assassinée par sa mère. Sans doute l’infanticide avait-il déjà été commis avant que les premiers messages soient diffusés à la télévision. Était-il évitable ou était-ce la fatalité ?

Au-delà du drame humain, on s’interroge déjà sur les responsabilités institutionnelles, en particulier au sein des services de protection de l’enfance (ASE). On reproche trop souvent aux travailleurs sociaux de ne pas alerter le Conseil départemental ou le parquet d’une situation de danger. Effectivement, il advient que le carcan hiérarchique dans lequel sont parfois enfermés les travailleurs sociaux ralentisse, voire fasse obstacle au signalement d’une situation dont la gravité a été mal appréciée. En réalité, dans la plupart des hypothèses, le signal d’alarme a bien été tiré, mais c’est la réponse qui se révèle trop lente ou insuffisante. La même équation se pose en matière de violence conjugale, éminemment d’actualité.

C’est bien d’inciter les victimes à appeler le 39.19. Mais que se passe-t-il après ?

Dans l’effroyable drame de la petite Vanille, le problème ne vient pas d’un défaut de signalement. En outre, il ne s’agit pas d’un enlèvement, au sens premier du terme. La petite Vanille se trouvait en toute légalité avec sa mère. L’enfant résidait dans une famille d’accueil depuis sa naissance, sur décision du juge des enfants. La mère, atteinte de graves troubles psychologiques et même d’une maladie mentale, avait un droit de visite sur l’enfant, et même celui de la garder de temps en temps, et donc deux heures ce funeste vendredi.

Dès lors se pose une autre question : le juge des enfants a-t-il commis une erreur d’appréciation, voire une faute professionnelle, au vu des conséquences de sa décision, ce qui supposerait que lesdites conséquences soient sinon prévisibles, du moins envisageables ? C’est en tout cas ce que pense Lyes Louffok, membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance, qui s’emporte sur Twitter contre ce magistrat qui a accordé ce droit de visite à la mère, alors qu’il connaissait son état mental et qu’il aurait dû préférer un droit de visite « médiatisé », donc en présence d’un tiers qualifié.

En réalité, le juge n’aura pas à s’expliquer, car les magistrats du siège comme du parquet ne sont pas responsables des fautes qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions. Mais ce serait aller un peu vite en besogne que de s’acharner sur ce juge, obligé de traiter à la chaine des affaires qui exigent souvent d’explorer les profondeurs de l’âme humaine. Le juge n’est pas psychiatre, et on peut également se demander s’il disposait de tous les éléments d’ordre médical lui permettant de prendre la décision la plus protectrice pour l’enfant.

Car il faut bien l’admettre : en matière de placement, le remède peut être pire que le mal. C’est ce que dit Lyes Louffok, lui-même enfant de l’ASE, auteur du livre « Dans l’enfer des foyers » (Babelio 2014). Ce titre en dit long sur ce que peut être la vie d’un enfant placé. Pourtant, il y a une contradiction dans les propos de ce militant de la protection de l’enfance (que nous sommes en réalité tous !) : il fustige, à raison, la sanctification du lien de sang, cette idée très française selon laquelle « mieux vaut une mère cinglée que pas de mère du tout, qu’une famille d’accueil, voire qu’une mère adoptive ». Dans d’autres pays, comme l’Italie ou le Royaume-Uni, les juges ont la main bien plus leste pour placer des enfants, les déclarer adoptables ou couper les ponts entre un parent biologique et l’enfant, si cela est de son intérêt et peut faciliter sa reconstruction. Ce n’est pas, tant s’en faut, le cas en France. Mais si l’on coupe les ponts, au point de supprimer tout droit de visite, ce ne peut être pour envoyer l’enfant dans cet enfer que serait une famille d’accueil. Quant à l’adoption, à l’heure où le droit à (et non de) l’enfant a le vent en poupe (PMA, dont certains pensent qu’elle annonce la GPA), on regrette que si peu d’enfants soient adoptables, obligeant des candidats parents à se tourner vers l’étranger, parfois dans des conditions douteuses.

Pour que Vanille ne soit pas morte pour rien, hypothèse difficile à accepter voire à concevoir, espérons que ce drame contribue à ouvrir une réflexion globale sur la protection de l’enfance, notamment lorsqu’elle se heurte à la filiation biologique érigée en dogme. Vanille aurait pu faire le bonheur d’une famille d’adoption et être heureuse. 

 

Michel Taube

Avec la participation de Raymond Taube, directeur de l’Institut de Droit Pratique et rédacteur en chef d’Opinion Internationale.

Directeur de la publication