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05H49 - mercredi 5 février 2020

A quoi sert l’obstruction parlementaire ? La chronique de Didier Maus

 

L’obstruction parlementaire, au moins à l’Assemblée nationale, est de retour. Nous avions un peu perdu l’habitude d’en tenir compte. Voici que la réforme des retraites vient nous rappeler d’une part que le rôle premier d’un parlement est de voter des lois, d’autre part que la confrontation des idées et des propositions est la justification même d’une assemblée parlementaire. Lorsqu’un projet rencontre une forte opposition extra parlementaire, il devient logique que la « scène » parlementaire soit utilisée, selon des règles préétablies, par les partisans et adversaires de la réforme en cause. La redoutable efficacité des procédures parlementaires de la Ve République peut alors, au moins temporairement, être sérieusement enrayée. Les projets de loi « tendant à instituer un système universel de retraite » vont nous offrir une véritable leçon de chose. Le Gouvernement, la majorité, les composantes des oppositions vont, chacun à sa manière, tenter de convaincre l’opinion de la justesse de leur position.

L’obstruction parlementaire consiste à freiner le déroulement normal des débats et à les faire durer le plus longtemps possible, la maîtrise du temps étant une composante importante de l’action politique. Pour la petite histoire, l’obstruction, le filibustering, s’est développée aux États-Unis au milieu du XIXe siècle, au Sénat, souvent par une lecture sans fin de la Bible par les orateurs. Selon les érudits, l’origine du mot est soit espagnole (filibustero) soit néerlandaise (vrijbuiter). En tout cas, elle a à voir avec le « flibustier » français, donc un vrai lien avec la piraterie. De là, à considérer que l’obstruction s’apparente à de la piraterie parlementaire, il n’y a qu’un pas à franchir. Certains députés, notamment du côté de la France insoumise, s’imaginent assez bien montant à l’assaut d’un vaisseau amiral piloté par Emmanuel Macron, le détournant de son droit chemin et l’obligeant à capituler ou à disparaître. Il est peu probable que ce scénario fiction trouve un point d’appui dans la réalité politique de la France de 2020.

Pour réussir, c’est-à-dire durer et rendre quasi impossible la vie du Gouvernement, plusieurs conditions sont nécessaires. L’article d’Yves Colmou de 1985 (vade-mecum du député obstructeur, Pouvoirs, n° 34) et le Manuel de survie à l’Assemblée nationale : l’art de la guérilla parlementaire de Jean-Jacques Urvoas, l’ancien garde des Sceaux, (Odile Jacob, 2012) les recensent, souvent avec humour. En premier lieu, il faut que le sujet mérite de l’obstruction. Il doit donc s’agir d’une réforme emblématique et clivante (nationalisations, privatisations, réforme des retraites…). Sans un bon sujet à fort contenu symbolique, point d’obstruction. En second lieu, il est indispensable qu’il existe un groupe de députés décidés à passer des jours, et souvent des nuits, à batailler ferme, à soutenir des amendements, à demander des suspensions de séance, à réagir au moindre propos du camps adverse, à, si nécessaire, créer de véritables incidents. Sans un bataillon d’obstructeurs, point d’obstruction. En troisième lieu, il est essentiel que l’obstruction soit en phase avec une partie importante de l’opinion publique. Si les bruits de l’extérieur ne franchissent pas les murs du Palais-Bourbon, point d’obstruction. On pourrait multiplier les conditions de ce type, mais elles suffisent pour apprécier la situation d’aujourd’hui.

La réforme des retraites fait, à l’évidence, partie des thèmes à très fort contenu politique. Quoi que l’on pense de ce qui s’est passé ces dernières semaines, rien n’aurait pu justifier la durée des grèves et des manifestations sans un véritable sentiment d’agression (réel ou ressenti), voire de haine, entre les promoteurs de la réforme et les retraités d’aujourd’hui et de demain.

La question est donc de savoir s’il existe suffisamment de députés pour monter au créneau et se battre pied à pied contre la majorité. Pendant les premiers jours, certainement, mais la lassitude ne risque-t-elle pas de venir à bout des enthousiasmes les plus affirmés ? Quant aux réactions de l’opinion publique, elles sont, par nature, imprévisibles. Elles peuvent changer très rapidement, suite à des manoeuvres des uns et des autres ou au sentiment que « tout est joué » et que la poursuite de l’obstruction n’est plus qu’une perte de temps ou, pire, un exemple du décalage entre les politiques et les électeurs. Attention au risque d’antiparlementarisme d’une obstruction mal comprise.

Le dépôt de plus de 20 000 amendements est, sans discussion possible, une absurdité, presque un non-sens démocratique. Ce n’est pas le record absolu (137 000 en 2006 à propos d’une loi sur l’énergie), mais seuls quelques centaines, voire 2000/3000 ont vocation à être discutés. L’accumulation constitue le signe de l’opposition déterminée de leurs auteurs à la réforme, mais c’est tout. Pour sa part, le Gouvernement devrait tenir compte de l’intérêt politique d’un vrai débat parlementaire. Brandir la menace d’un recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, pour couper court à l’enlisement, ne peut qu’attiser les passions. Il serait judicieux sur un texte objectivement aussi compliqué de lever la procédure de discussion accélérée, comme le demande le président du Sénat, et de faire en sorte que la deuxième lecture n’intervienne qu’après la mise dans le débat des conditions de l’équilibre financier. Quant aux 29 ordonnances, elles méritent plus de considération que les courtes affirmations qui figurent dans les projets.

Lorsque l’obstruction devient l’arme principale du débat parlementaire, c’est un signal d’alerte. La décision démocratique est grippée. Comme le disait souvent François Mitterrand, il faut alors « donner du temps au temps », surtout à moins de six semaines des élections municipales et à moins de deux ans d’une nouvelle campagne présidentielle. Si le Président Macron et le Gouvernement sont aussi convaincus qu’ils le disent du bien fondé de la réforme des retraites, qu’ils fassent le nécessaire pour en convaincre les Français. Pour cela un débat parlementaire sincère et complet sera d’une grande utilité.

 

Didier MAUS

Ancien conseiller d’État, Président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel, Maire de Samois-sur-Seine

 

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