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06H55 - lundi 3 février 2020

La réforme des retraites : un piège constitutionnel ? La chronique de Didier Maus

 

Chacun savait, dès le départ, que la réforme des retraites et la mise au point d’un système universel de retraite (SUR), annoncées et voulues par M. Macron, ne se dérouleraient pas comme un long fleuve tranquille. Nous en faisons tous les jours l’expérience, à tel point que certains se demandent à quoi ont servi les mois et les mois d’échanges menés par M. Delevoye à partir de septembre 2017. Si les difficultés sociales, économiques et donc politiques pouvaient aisément être imaginées, les obstacles juridiques étaient moins évidents. Certes, la réforme est d’une réelle complexité, mais l’avis très nuancé (pour ne pas dire critique) rendu par le Conseil d’État, et diffusé en même temps que les deux projets de loi, conduit nécessairement à évoquer de vraies difficultés constitutionnelles.

La presse a souvent cité la mise en garde du Conseil d’État selon laquelle l’institution du Palais-Royal n’a pas été « à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé » (§ 6). S’il arrive assez régulièrement que le Conseil d’État regrette discrètement de ne pas avoir eu assez de temps pour procéder à un examen complet des projets, il est tout à fait exceptionnel, pour ne pas dire inédit, que cela le conduise à formuler une mise en garde négative. D’ordinaire, le Conseil d’État exprime des hésitations sur certains points, mais se montre affirmatif sur l’essentiel. Ici, il estime ne pas pouvoir offrir au Gouvernement la garantie de viabilité juridique que celui-ci est en état d’attendre de son conseiller officiel. Sans entrer, pour l’instant, dans les méandres de deux projets de loi (organique et ordinaire) particulièrement touffus, les soixante-trois pages de l’avis du Conseil d’État permettent de recenser trois types de sérieux risques constitutionnels.

Le Conseil constitutionnel a régulièrement affirmé la nécessité d’un débat parlementaire « clair et sincère ». Ceci découle de la notion même de « la loi, expression de la volonté générale et de la représentation nationale inscrite aux articles 3 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. En ce qui concerne les projets de loi sur le SUR le risque d’une méconnaissance de cette double exigence est réel : la précipitation du calendrier d’examen devant les Chambres ; le très bref délai accordé, au moins en première lecture, aux députés pour déposer des amendements ; les insuffisances, fortement relevées par le Conseil d’État, de l’étude d’impact ; l’absence au moment du dépôt des projets d’indications sur les équilibres financiers futurs, sans même anticiper sur les péripéties des débats ultérieurs peuvent parfaitement conduire le Conseil constitutionnel à estimer que les députés et les sénateurs n’auront pas disposé de tous les éléments d’information et de réflexion nécessaires à un examen « clair et sincère » de la réforme. Une telle sanction, qui obligerait à reprendre toute la procédure, serait catastrophique pour le Président de la République et le Gouvernement.

Le Conseil d’État relève que la réforme nécessitera l’édiction de 29 ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution (§ 7). Il rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est de plus en plus exigeante quant à la définition du périmètre de l’habilitation et du contenu des futures ordonnances. En clair, le Conseil d’État pointe des risques d’inconstitutionnalité pour insuffisance d’encadrement de l’habilitation accordée au Gouvernement ouvrant ainsi la voie aux rédacteurs des futures saisines adressées au Conseil constitutionnel à l’issue de la procédure parlementaire. De plus, il insiste sur le fait que la multiplication des ordonnances, en particulier pour « la définition des éléments structurants du nouveau système » fait perdre à l’ensemble une vraie visibilité et rend très délicate « l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité ». Le Conseil d’État se présente ainsi en défenseur des pouvoirs du Parlement et trace, à nouveau, la trame d’une argumentation pour les adversaires de la réforme. Il suffira, au jour le jour, de prendre note des éléments qui confortent la mise en garde du Conseil d’État pour préparer les saisines de fin de parcours.

Dans l’examen des articles des projets, le Conseil d’État signale de nombreuses difficultés, même si la plupart d’entre elles peuvent être surmontées. De manière originale, et sans doute inattendue, il insiste sur les limites d’une remise en cause des « situations légalement acquises » (§ 14) reprenant, en quelque sorte la notion de « droits acquis » chère au discours syndical. Il rappelle que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme va dans le même sens et qu’il est nécessaire que ces remises en cause soient justifiées par des « motifs d’intérêt général ». Il  importe, en réalité, que les futurs retraités, pour leur faciliter le choix de l’âge de la retraite, soient en mesure de connaître suffisamment à l’avance leurs droits à venir. Au passage, le Conseil d’État insiste sur le fait que la réforme ne crée pas un « régime universel de retraite mais un « système universel » et qu’elle conserve une architecture en cinq régimes ; le régime général des salariés, les régime des fonctionnaires, magistrats et militaires, le régime des salariés agricoles, celui des non-salariés agricoles et celui des marins, sans parler de l’existence, à l’intérieur des régimes, de règles dérogatoires (par exemple pour les navigants aériens).

Au vu de ce rapide inventaire trois conclusions s’imposent :

– le projet du Gouvernement mériterait un sérieux « peut mieux faire » et n’est pas aussi universel que M. Macron l’avait présenté en 2017 ;

– devant le risque réel d’inconstitutionnalité de la future loi, le gouvernement et sa majorité parlementaire ne devraient-ils pas revoir sérieusement leur copie (par voie d’amendements ?) tout au long des travaux parlementaires ?

– à tout le moins, les questions constitutionnelles seront présentes d’un bout à l’autre de la discussion parlementaire. En définitive, il appartiendra au Conseil constitutionnel de dire ce que signifie « la solidarité nationale » au sens du préambule de la Constitution de 1946, revue et corrigée par les exigences du XXIesiècle. De la sorte, d’autres chroniques sont d’ores et déjà en pointillé.

 

Didier MAUS

Ancien conseiller d’État, Président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel, Maire de Samois-sur-Seine

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