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06H50 - dimanche 2 février 2020

La Rotonde ou quand Paris était une fête, par Christine Clerc

 

 

La récente tentative d’incendie de La Rotonde dans la nuit du 17 au 18 janvier 2020, et la mise en garde à vue d’un certain Valentin B. ce vendredi 31 janvier [sur les conseils de son avocat, spécialisé dans la défense des prévenus d’extrême-gauche, il se mure pour le moment dans le silence, NDLR], n’a pas été une attaque de plus contre l’image d’Emmanuel Macron. C’est un attentat contre le Paris des artistes et des écrivains, cher à Hemingway.

Sur les larges baies vitrées, désormais noires, de La Rotonde, des palissades d’aluminium et une étiquette « Fermeture pour cause d’incendie » nous rappellent que, l’autre samedi vers 5 heures du matin, un ou plusieurs inconnus ont cassé une vitre de la célèbre brasserie – restaurant de Montparnasse pour asperger d’essence des tables encore dressées, avec leurs serviettes blanches et leurs chaises de velours rouge. Au risque de voir l’incendie gagner les étages  où dorment des familles, ces individus ont allumé le feu. Croyaient-ils ainsi atteindre le couple Macron, qui osa célébrer, un soir d’avril 2017 dans ce lieu mythique, la qualification pour le second tour de la présidentielle ?

Savaient-ils seulement, ces incendiaires criminels, ce que représentent La Rotonde, la Coupole, le Select, le Dôme et la Closerie des Lilas dans l’histoire de la littérature, de la peinture et de la sculpture ? Un formidable moment de créativité, qui dura bien au-delà des années 1920, dites « années folles » et fit à nouveau, de la patrie des Lumières, un phare de la culture mondiale. Un monument historique, qui fait partie de leur propre patrimoine. Mais comment le sauraient-ils ? Les piétons qui passent sur le trottoir du boulevard de Montparnasse, absorbés par leur téléphone mobile, semblent ignorer ce passé. D’ailleurs, les terrasses voisines, bien qu’ éclairées, ont l’air tristes. Comme si une grande ombre de deuil – ou pire, de résignation collective – était tombée sur ce carrefour mythique où Hemingway écrivit « Paris est une fête ».

De retour de la guerre de 1940 qu’il a faite dans la Division Leclerc après avoir « couvert », comme envoyé spécial dans les Brigades Internationales, la guerre d’Espagne, l’auteur de «  Pour qui sonne le glas » retrouve ses carnets des années 1920. On l’y voit pauvre, vêtu d’une veste élimée et perpétuellement affamé au point que, pour descendre de sa chambre sous les toits jusqu’au petit Musée du Luxembourg où il va admirer presque chaque jour les tableaux de Cézanne, il prend soin de passer par les jardins afin d’éviter la tentation  des bistros du quartier. Cela ne l’empêche pas d’accepter un verre de rosé à la Rotonde, où il côtoie le peintre Modigliani, si fauché lui aussi qu’il partage un seul café avec le vendeur de voitures Paul Guillaume, un passionné d’art nègre qui deviendra célèbre marchand de tableaux.

A la Coupole, où le peintre Pascin l’invite en compagnie de deux de ses modèles, jeunes filles au « faux air de dépravation », Hemingway savoure une bière. Au Select, il croise Jean Cocteau, qui prépare un spectacle avec Diaghilev. A la Closerie des Lilas, il retrouve Blaise Cendrars avec « son visage écrasé de boxeur ». En chemin, il a salué Guillaume Apollinaire, reconnaissable de loin au bandage qui lui ceint le front. Les vers du « Pont Mirabeau » lui sont venus aux lèvres : «  Faut-il qu’il m’en souvienne, La joie venait toujours après la peine »… Le voici rue de Fleurus, chez la poétesse féministe américaine, Gertrude Stein, qui lui offre « toutes sortes de bonnes choses à manger » et lui prodigue ce conseil « Ne faites pas attention à la façon dont vous êtes habillé…. L’argent que vous aurez économisé vous servira à l’achat de tableaux… »

C’est vrai :  Derain, Foujita, Vlaminck, Soutine cèdent alors leurs toiles pour un prix à peine plus élevé que Modigliani, qui vit dans la misère. Picasso lui-même est encore accessible pour un modeste collectionneur.  Mais ce sont les livres qui attirent Hemingway.  Près de l’Odéon, il s’arrête devant la vitrine de « Shakespeare and  Company » et entre. La libraire, Sylvia Beach, a « un beau front » et « de jolies jambes ». Et ces étagères bourrées de livres, jusqu’au plafond !  Le jeune écrivain grimpe à l’échelle pour y cueillir « Amants et Fils » de D.H Lawrence, et « Guerre et Paix » de Tolstoï qui iront rejoindre, au bout du matelas posé à terre qui lui sert de lit, les œuvres de son écrivain français préféré, Flaubert. Il lira jusqu’à l’aube, en dévorant les marrons chauds refroidis achetés sur le trottoir. Vers midi, il repartira vers Montparnasse, en quête de rencontres et d’émotions. « Paris est une fête ! »  Une fête de la création. Une fête de l’esprit.

On a voulu détruire cet esprit. Il est temps de réagir. En manifestant notre solidarité aux frères Taffanel, qui accueillent depuis 27 ans les clients, de gauche ou de droite et célèbres ou pas, de La Rotonde. En demandant au Ministre de la Culture, dont relèvent les grandes brasseries de Montparnasse (classées « monuments historiques » ) de rappeler ce que doit notre pays à tous les créateurs français et étrangers qui les fréquentèrent. Et en appelant le futur – ou la future – maire de Paris à organiser au printemps une fête à Montparnasse : en l’honneur des écrivains et des artistes. Et de tous ceux qui les aiment. 

 

Christine Clerc

 

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