Edito
16H42 - jeudi 5 décembre 2019

5 décembre 2019 : la République en marche ? L’édito de Michel Taube

 

Le 5 décembre, Jour J donc, place à la République en marche ! Celle des contestataires et des conservateurs trop protégés… Celle aussi de quelques black blocs et casseurs d’extrême gauche (« Marx ou crève ! ») une fois encore, toujours aussi convaincus (largement à raison !) d’échapper aux foudres de la justice (voir edito). 

Quelle idée géniale a eu Emmanuel Macron en choisissant ce nom pour son mouvement politique. L’ironie du sort veut que ce 5 décembre 2019, une partie de la République s’est mise en marche au sens premier, physique et mécanique du terme.

Pour être tout à fait exact, cette République s’est mise à la marche à pied, puisque c’est d’elle dont il s’agit. Marche à pied hier pour relier la Gare de l’Est à la Nation à Paris et dans 250 autres cortèges de France.

Marche à pied surtout pour des centaines de milliers de Franciliens qui, pendant quatre à douze jours désormais, vont devoir marcher ou faire preuve d’imagination pour aller de leur domicile à leur boulot. En effet, la CGT et consorts tiendront coûte que coûte au moins jusqu’à l’annonce de « l’architecture du projet de loi » par le premier ministre. Or celle-ci n’est annoncée que pour mardi (initialement cela devait être en fin de semaine prochaine). Bref, les transports franciliens et nationaux ne sont pas prêts d’être débloqués.

Surtout pour les Parisiens et les Franciliens, du fait de la grève très suivie des agents de la RATP, privilégiés parmi les privilégiés (hors bien sûr les grands méchants patrons du CAC40, les ministres, les richissimes footballeurs (sauf nos champions du monde) ou chanteurs (sauf Johnny, idole des (Gilets) jaunes et expert en défiscalisation, mais il n’est plus de ce monde).

Mais la République qui marche et qui galère depuis hier 5 décembre et donc sans doute pour encore plusieurs semaines n’est ni celle des grévistes ou des manifestants hostiles à la réforme des retraites ni celle d’Emmanuel Macron. C’est celle des victimes de privilégiés protégés qui n’ont que faire des usagers des transports, du service public, du sort des employés, des commerçants, de la bonne santé de l’économie française et bien sûr, de l’équilibre des régimes de retraite.

Il est vrai que selon un récent sondage BFMTV, 58 % des Français soutiennent ou ont de la sympathie pour la mobilisation contre la réforme des retraites, un chiffre à la hausse qui laisse entrevoir le spectre de 1995 et de la grève par procuration.

Pourquoi la France est peu réformable ? Parce que les Français sont plus conservateurs que réformistes, parfois victimes d’un syndrome de dénégation ou d’aveuglement volontaire. Le corporatisme est un mal français qu’on ne découvre pas aujourd’hui.

Partout dans le monde développé, on recule l’âge de la retraite parce que c’est la moins mauvaise solution pour assurer une pension décente aux retraités, parce que la pénibilité recule grâce au progrès technologique, que l’on vit de plus en plus vieux. On peut prendre le sujet par n’importe quel bout, être de droite, de gauche, ou d’ailleurs… La France est déjà au taquet en matière de cotisations sociales patronales comme salariales. Les augmenter entraînerait une baisse des salaires ou de la compétitivité des entreprises, en particulier des TPE et PME qui dans leur globalité emploient bien plus de salariés que les grandes entreprises. Baisser les pensions de retraite conduirait à la paupérisation des retraités.

Il faudra donc travailler plus longtemps tout en tenant compte de la pénibilité de certains métiers, ce qui est déjà le cas en bonne partie, et se généralisera. Dans cette logique, un système unifié devrait être accepté, pour peu qu’il soit équitable et bien expliqué. Mais malgré toute la pédagogie dont a notamment fait montre Jean-Paul Delevoye, jusqu’à en débattre à la Fête de l’humanité, rien n’y fait. C’est non, non et non. Rasons gratis, nivelons par le haut en faisant payer les riches. Comme d’habitude.

Les Français ont peur du changement, mais s’ils marchent ou s’ils sont immobilisés ou obligés de prendre leur voiture (s’ils en ont une), c’est surtout parce que les agents de la RATP et de la SNCF, ceux qui défendent bec et ongle leurs régimes spéciaux, bloquent la France. Leur pouvoir de nuisance est à la mesure de leurs avantages : ils travaillent moins que les autres, moins longtemps et bénéficient de pensions de retraite particulièrement élevées, financées par le contribuable. L’argument de pénibilité n’est qu’un mensonge. D’innombrables métiers sont autrement plus pénibles que les leurs, et bien moins rémunérés. Ils ignorent la pression que l’on subit dans le secteur privé, par exemple dans celui de la vente. Le conducteur de la RATP ne voit pas le jour ? Quel drame ! Voit-on le jour dans un parking, une galerie marchande (celles des gares par exemple !), un grand magasin où les journées de travail sont bien plus longues qu’à la RATP ?

Indéniablement, et malgré les efforts sus mentionnés de Jean-Paul Delevoye, il faudra encore expliquer et rassurer pour espérer convaincre. Car si les Français soutiennent la grève (nous verrons ce qu’il en sera si elle dure bien au-delà du prochain week-end, ce qui paraît acquis), ils sont aussi majoritaires à comprendre la nécessité d’une réforme et le bienfondé de l’abolition des régimes spéciaux.

Il ne serait peut-être pas inutile que le Président de la République explique clairement et sans trop attendre son projet à la télévision, car le régime unique était une promesse du candidat Emmanuel Macron à la présidence de la République : « Pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous ! » avait dit le futur chef de l’Etat, tout en précisant que l’objectif devrait être atteint en dix ans et que le pouvoir d’achat des retraités serait maintenu.

La pédagogie doit aussi être destinée aux bénéficiaires des régimes spéciaux. On peut comprendre l’indignation d’un agent des transports auquel on annoncerait à cinq ans de la retraite qu’il devra travaillerait cinq ans de plus. Ce n’est pas le contrat qu’il avait signé. D’où l’importance de lisser l’entrée en vigueur de la réforme, ce qui est d’ailleurs prévu, mais que les syndicats refusent d’entendre.

Force est de constater que sur le fond, si la majorité des Français sont inquiets et sceptiques, la grève débutée le 5 décembre est bien celle des régimes spéciaux et non de la France entière. C’est un mouvement pour le maintien de privilèges catégoriels et non pour la défense de l’intérêt général, mis à mal par ces régimes. Il faudrait vraiment que les Français, tout particulièrement les Franciliens, aient un amour immodéré pour la marche à pied dont les bienfaits sont médicalement établis, pour qu’ils restent solidaires d’une grève des transports qui durerait plusieurs semaines.

En marche, donc !

 

Michel Taube

Directeur de la publication