International
20H27 - mardi 19 novembre 2019

Grande-Bretagne : les surprises de la plus vieille démocratie du monde. La chronique de Didier Maus

 

Cela fait plus de six mois que nous assistons, médusés ou étonnés, au si triste spectacle de la Chambre des communes ne parvenant pas à exprimer un vote positif, même de rejet, sur l’avenir du Brexit. Pour tous ceux qui avaient une admiration illimitée pour le plus vieux Parlement du monde et pour la « mère » des démocraties, quel choc !

Jeunes étudiants, et parfois ensuite enseignants, nous avions tous dans la tête que le Premier ministre de Sa Gracieuse Majesté est le véritable chef de la majorité de la Chambre et qu’il dispose de moyens efficaces pour faire adopter sa politique. Malheureusement, Theresa May, à la suite de son renoncement, et Boris Johnson ont prouvé le contraire. Depuis le printemps, le spectateur français, quelque peu familier de notre histoire parlementaire, a eu le sentiment de vivre en direct les plus mauvais moments de notre défunte IVe République. Par ses votes négatifs successifs, la Chambre des communes refusait toutes les solutions, comme l’Assemblée nationale française le faisait au milieu des années 1950. Elle ne savait que dire « Non », prolonger l’incertitude et obliger le gouvernement aller droit dans le mur, sans jamais lui donner la possibilité de sortir de l’impasse. L’émiettement politique, si rare à Westminster, avec notamment le petit groupe des députés unionistes irlandais, n’est pas la seule cause de ce mauvais feuilleton. Des transformations constitutionnelles, passées souvent inaperçues de ce côté-ci de la Manche, y ont largement contribué.

Depuis des décennies, voire des siècles, nous connaissions un mécanisme de dissolution, dit « dissolution à l’anglaise », selon lequel le Premier ministre pouvait, à tout moment, demander au monarque de prononcer la dissolution de la Chambre des communes et, par conséquent, convoquer de nouvelles élections législatives. Selon la tradition, si forte en Grande-Bretagne, le Premier ministre n’avait pas à justifier de raisons particulières. Il choisissait cette procédure soit pour tirer avantage du contexte politique soit pour demander aux électeurs de trancher les choix politiques à travers la désignation d’une nouvelle majorité. Il était très rare que la Chambre des communes parvienne au terme ultime de son mandat, c’est-à-dire cinq ans. Dans un souci de rationalisation, initié par Tony Blair dès 1997, une loi du 15 septembre 2011, le Fixed-Term Parliaments Act 2011, a totalement modifié cette coutume. Désormais la durée normale d’une législature est de cinq ans et la dissolution ne devrait être qu’exceptionnelle. Elle ne peut intervenir que dans deux hypothèses :

– une autodissolution décidée à la majorité des deux-tiers des députés, y compris les sièges vacants.  Ce fut la solution retenue en 2017 ;

– une dissolution automatique en cas d’impossibilité d’investir un nouveau Premier ministre quinze jours après la démission du précédent à la suite du vote d’une motion de censure.

La dissolution a donc perdu totalement son caractère discrétionnaire et ne constitue plus une menace entre les mains du Premier ministre. Nous venons de le voir en direct ces dernières semaines.

Au retour de Bruxelles, muni de son accord sur le Brexit, Boris Johnson n’a pas réussi à le faire avaliser par la Chambre des communes. La coalition des anti Brexit, des partisans d’un Brexit mieux encadré et de ceux qui refusaient le vote d’une motion de censure, majorité à l’évidence négative, a eu gain de cause. Le retour vers les urnes devenait une obligation. Le Premier ministre a alors essayé de convaincre la Chambre des communes d’avoir recours à l’autodissolution. On sait que celle-ci a été refusée le 28 octobre.

Il ne restait plus alors à Boris Johnson qu’à avoir recours à une autre procédure, celle qui implicitement modifie le Fixed-Term Parliaments Act de 2011. Dans ce cas la majorité simple des suffrages exprimés, beaucoup plus aisée à obtenir, est suffisante. Dès le lendemain, le 29 octobre, le Premier ministre dépose un projet de loi dénommé Early Parliamentary General Election Bill. Il est voté par la Chambre dans la même journée avec une majorité écrasante : 438 « Oui » et 20 « Non ». La Chambre des Lords l’adopte dans la foulée le 30 octobre, ce qui permet au projet de recevoir l’assentiment royal le 31 octobre à 16h27 et, ainsi de devenir une devenir une loi, le Early Parliamentary General Election Act. Indépendamment de diverses dispositions techniques, cette loi dispose que « des élections législatives anticipées auront lieu le 12 décembre 2019 ».

Ainsi, sans se soucier,  comme on l’aurait fait sur le continent, de savoir si la loi de 2011 a un caractère constitutionnel, le Parlement britannique, dans la plénitude de sa souveraineté historique, a adopté, en quarante-huit heures, une nouvelle loi qui modifie celle de 2011 et, surtout, permet de sortir (provisoirement ?) de la crise du Brexit. Il a ainsi contourné les contraintes qu’il s’était fixées en 2011 et a, une fois de plus, fait la démonstration de son extraordinaire souplesse. Une leçon à méditer dans les pays où la réforme constitutionnelle est si souvent annoncée !

 

Didier MAUS

Ancien conseiller d’État, Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, Maire de Samois-sur-Seine

 

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