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07H00 - vendredi 20 septembre 2019

Thales se rêve en chef d’orchestre de l’industrie de la défense française

 

Leader français, nº2 européen derrière le Britannique BAE Systems et nº8 mondial, Thales est un géant de l’industrie de l’armement, implanté dans 56 pays. Une position avantageuse que ce fleuron de l’industrie française espérerait même renforcer encore. Au risque de déstabiliser d’autres entreprises françaises du secteur.

 

La trajectoire de Thales a tout d’une success story. Depuis sa création en 2000 suite à la réunion sous un même étendard des activités militaires d’Alcatel, de Dassault Electronique et de Thomson CSF, l’entreprise française suit une trajectoire ascendante. Elle fait partie des entreprises de pointe dans quatre secteurs (aérospatiale, transport, défense et sécurité informatique). Pilier de la BITD française (Base technologique et industrielle de Défense), Thales s’est aussi imposé comme un acteur incontournable sur les scènes européenne et mondiale. Sur la scène extérieure, Thales a largement déployé ses antennes sur les cinq continents, en créant par exemple des filiales, pays par pays : Thales Nederland, Thales UK, Thales Germany, Thales Italia, Thales Australia, Thales Belgique (en partenariat avec d’autres entreprises françaises comme Dassault et Safran)… L’expansion est forte et continue.

 

Objectif : Ambition 10

L’histoire nécessite un rapide flashback. Nous sommes en 2013 et le groupe ne cesse de montrer son appétit. Thales, alors dirigée par son PDG Jean-Bernard Levy, lance son plan Ambition 10. Objectif d’ici 2023 : atteindre le seuil symbolique de 10% de marge (Thales y est presque aujourd’hui avec 9,8%), et 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et il est fort probablement que l’entreprise y parvienne rapidement, grâce à la reprise de la croissance depuis 2015, aux contrats juteux du Rafale que Dassault Aviation construit avec Thales, et surtout suite à l’acquisition, en 2018, de Gemalto (au nez et à la barbe d’une autre entreprise française, Atos) et de Vormetric qui place Thales sur le marché porteur de la cyber-sécurité, et de Guavus dans le domaine du big data. Hors secteur militaire, Thales a également le vent en poupe grâce, par exemple, à son partenariat avec Airbus pour la fourniture d’équipement d’avionique. « Nos investissements en recherche et développement ont augmenté de 40% en cinq ans », précise l’actuel PDG, Patrice Caine. En janvier dernier, Caine a ainsi annoncé de nouvelles velléités pour son groupe, en investissant dans l’intelligence artificielle (AI). 

 

En France, le nº1 français veut faire sa loi

Thales n’est pas le nº1 français par hasard, l’entreprise profite d’une conjoncture positive. Et en premier lieu, de la bonne santé de l’industrie de l’armement dans le monde, et de la position de la France : selon les chiffres du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), la France est le cinquième client mondial et le quatrième exportateur (avec 5,3% du marché mondial en 2017). « Les ventes d’armes combinées des 24 entreprises d’Europe occidentale figurant dans le Top 100 ont augmenté de 3,8% en 2017, pour atteindre 94,9 milliards de dollars, soit 23,8 % du total », précise le rapport du SIPRI, la Grande-Bretagne restant loin devant en Europe, avec 9% des parts de marché mondial.

Sur la scène française, la position dominante de Thalès doit aussi à son PDG actuel, Patrice Caine, poste qu’il occupe depuis décembre 2014. A 49 ans, cet homme jouit de nombreux appuis économiques et politiques – Benoît Ribadeau-Dumas, le chef de cabinet du Premier ministre Edouard Philippe, est un ancien de Thales. Et il sait clairement mener sa barque. Avec un chiffre d’affaires de 15,8 milliards d’euros (2017, en hausse de 7,2%) et une capitalisation de 23,35 milliards fin 2018, Thales est un ogre. Quitte à vouloir en faire parfois un peu trop. Car Thales est avant tout un équipementier, soit un simple fournisseur voire un sous-traitant en forçant le trait. Or Thalès se rêve en haut de l’affiche, en systémier intégrateur et donneur d’ordres sur les gros contrats. Mais pour cela, il faut pouvoir tout contrôler.

Pour s’imposer comme leader sur le marché français et avoir un œil partout, Thales a donc choisi de prendre des participations dans des entreprises de pointe, dans leur niche, ou, à défaut, de se rendre indispensable sur certains programmes. Pour schématiser, l’industrie française de la Défense réunit Nexter et Arquus (ex-Renault Trucks Defense) pour l’armée de terre, Naval Group pour la marine, MBDA pour les missiles, Dassault Aviations pour l’armée de l’air, Safran pour la motorisation et Thalès pour l’électronique. Mais, de fait de la spécificité et la transversalité de ses produits, Thales est la seule entreprise de défense à avoir un pied partout. Via sa filiale Thales Communication and Security, Thales est ainsi partie prenante du programme Scorpion pour l’armée de terre, dans les domaines gestion des données de bord des engins Griffon et Jaguar et transmission/communication. La place de Thales dans cette histoire est loin d’être anecdotique, quand on sait que l’électronique et l’optronique embarqués peuvent représenter jusqu’à un tiers du coût d’un blindé moderne. Thales compte aussi parmi ses actionnaires Dassault, sachant que Thales est très impliqué sur le programme Rafale et a également obtenu de haute lutte ses entrées sur son successeur, le SCAF. Thales opère également en partenariat avec MBDA pour le système de protection et d’évitement des conduites de tir du Rafale. En France, c’est dans le domaine naval que Thales a le plus investi : Thales détient par exemple 35% de Naval Group (19e mondial, qui construit des navires pour la marine française, entre autres). Cette participation, qui s’accompagne d’un pacte d’actionnaires très favorable à Thales, lui octroie un contrôle très strict sur Naval Group, au prix parfois de la compétitivité de sa participation. Même hors de France, la liste impressionnante des prises de participations de Thales est une illustration flagrante de ses ambitions. 

Mais cette « surconsolidation » et cette ambition de Thalès ne recueillent pas tous les suffrages au sein de l’industrie française de la Défense, loin de là. Dans un secteur très lié aux questions de souveraineté, et où le patriotisme économique est plus qu’un slogan, Thalès joue un peu trop les mercenaires. En 2018, Thalès s’est par exemple opposé à sa propre participation Naval Group sur le contrat pour le renouvellement des chasseurs de mines belgo-néerlandais, en s’alliant au néerlandais Damen, concurrent direct de Naval Group. Fin 2018, alors que le projet de rapprochement entre Siemens et Alstom est examiné par la Commission européenne (avec l’issue que l’on sait), Thalès remporte aux côtés de l’allemand Siemens, et face à Alstom, le marché des automatismes et des commandes centralisées des futurs métros 15, 16 et 17 du Grand Paris Express, plus vaste projet de transport urbain en Europe. Thalès est décidément sur tous les fronts, et obtient des résultats commerciaux indiscutables qui servent les intérêts français. Mais la méthode dérange, de même que l’opportunisme d’une entreprise qui ne s’embarrasse pas de scrupules sur les appels d’offres. L’Etat actionnaire reste silencieux pour l’instant, mais rien ne dit que ce sera toujours le cas. 

 

Hugo Fournier

Consultant indépendant, business analyst

Titulaire d’un Master 2 en Relations Internationales, spécialité défense et sécurité

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