Edito
07H00 - jeudi 19 septembre 2019

La justice à la tête (politique) du client met en danger l’État de droit. Vers la République des juges ? L’édito de Michel Taube

 

Trop point n’en faut ! Après avoir considérablement pesé sur les présidentielles de 2017, les juges sont de plus en plus nombreux à rendre justice sur la base de leurs convictions politiques et de leurs sentiments personnels. Nous en voulons comme preuve l’hallucinante motivation du juge lyonnais dans son jugement de relaxe de militants écolos qui avaient décroché le portrait d’Emmanuel Macron d’une mairie d’arrondissement.

Se présenter en chevalier blanc de la morale exige à minima une exemplarité qui semble parfois faire défaut, par exemple quand on apprend que le représentant de l’association Anticor, plaignante contre Richard Ferrand, est lui-même magistrat à Paris, et demande par conséquent à un collègue de poursuivre le président de l’Assemblée nationale. Conflit d’intérêt, comme le dénoncent ses avocats ? Copinage ? En tout cas, s’il est vital de laisser les juges faire leur travail, il l’est tout aussi qu’ils se cantonnent au périmètre de leur mission, sans quoi nous assisterions à une dérive dangereuse pour les libertés individuelles. Et pas seulement celles des femmes et des hommes politiques !

« Face au défaut du respect par l’État d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ». [Le décrochage du portrait du chef de l’État dans une mairie] « doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ».

À qui doit-on ces mots ? À Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot ? Que nenni. Ce sont les termes d’un jugement rendu le 16 septembre par Marc-Emmanuel Gounot, juge unique de la 7ème chambre correctionnelle du tribunal de Lyon, relaxant deux militants écolos qui avait décroché le portrait d’Emmanuel Macron de la mairie du 2e arrondissement de Lyon.

L’affaire fait grand bruit dans la classe politique. À droite, décrocher un portrait officiel est une action de lèse-République. À gauche, en particulier chez les Verts, on pavoise. Le parquet a fait appel. Et il y a de quoi, car ce juge fait du militantisme politique au lieu de rendre la justice, quand bien même son raisonnement serait-il politiquement recevable : après tout, y a-t-il plus noble cause que celle de sauver la planète et d’y sensibiliser le peuple par tous moyens ? Mais ce n’est pas dans l’enceinte d’un tribunal que cette question doit être posée, et encore moins au juge d’y répondre.

Jour après jour, procès après procès, au pénal comme au civil, des juges (et non LES juges) semblent être moins guidés par le droit que par leur opinion, qu’elle soit ou non politique, abusant ainsi de la nature interprétative du droit. Comment accepter que le Conseil de prud’hommes de Paris ait pu considérer en janvier 2016 que « le terme de « PD » employé par le manager ne peut être retenu comme propos homophobes, car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles » ? Comment justifier qu’un Patrick Balkany soit en prison, ce qu’il a peut-être mérité, alors qu’un Dieudonné M’Bala M’Bala, lui aussi condamné pour fraude fiscale, mais également à de multiples reprises pour incitation à la haine raciale, propos discriminatoires, antisémites, négationnistes et révisionnistes, n’ait jamais connu ce sort ?

La justice à la tête du client met en danger l’État de droit. Les juges ne peuvent demeurer éternellement irresponsables, ce qui en droit signifie qu’ils n’ont de compte à rendre à personne. Le rôle disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature est à cet égard dérisoire, du moins en pratique. L’ordonnance du 22 décembre 1958 dispose « Les magistrats ne sont responsables que de leurs fautes personnelles ». Autrement dit, ils ne sont jamais responsables des fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. Il en résulte notamment qu’en cas d’erreur judiciaire, la victime peut demander réparation de son préjudice à l’État, lequel peut se retourner contre le juge dans le cadre d’une action récursoire… En théorie ! Après l’affaire d’Outreau, il avait été question d’atténuer cette irresponsabilité. Comme toujours, la magistrature s’était levée contre toute tentative de toucher à son indépendance. Mais il ne peut y avoir indépendance sans responsabilité. Continuer dans cette voie, en défiant le législateur ou la Cour de cassation, comme nous l’avions expliqué dans un précédent article, conduira tôt ou tard à un recadrage légal, voire constitutionnel, par exemple en permettant au Parlement d’exiger que les lois qu’il vote soient appliquées par les juges, sous peine de sanctions dans les cas les plus extrêmes. Il est insupportable que le justiciable soit jugé à l’aune des convictions politiques ou des sentiments personnels des juges.

Enfin, l’exemplarité de la justice est une exigence aussi légitime que celle du personnel politique. Par exemple, on ne peut qu’être étonné d’apprendre que le vice-président de l’association Anticor, à l’origine de la plainte contre Richard Ferrand, est magistrat, et donc collègue du juge chargé d’instruire ladite plainte.

Sur le plateau de « L’heure des pros » du 16 septembre (Cnews – 56,10 minutes), répondant à une question de Pascal Praud, Philippe Bilger, ancien magistrat qui défendit son corps (des juges) avec acharnement durant toute l’émission, reconnut finalement la responsabilité du Parquet national financier dans la démolition judiciaire du candidat François Fillion en 2017.

La Vème République serait-elle devenue celle des juges ? Certains d’entre eux semblent en être convaincus. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le citoyen et le justiciable, car bien au-delà des règlements de compte politiques, c’est l’équité et l’impartialité de la justice qui s’en trouve affectée. Nous sommes convaincus que les hauts magistrats de la Cour de cassation, eux-mêmes défiés par des juges politisés, sont parfaitement conscients des dangers d’une prolifération de l’arbitraire judiciaire.

Peut-être appartient-il au Parlement de s’en saisir, toutes tendances politiques confondues ?

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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