Edito
19H07 - jeudi 19 septembre 2019

Ce que va changer l’élection probable de Kais Saied pour l’image de la Tunisie dans le monde. L’édito de Michel Taube

 

Dans les quatre coins du monde arabe et bien au-delà, la Tunisie jouit d’une image positive, souvent jalousée. Le seul peuple qui a réussi politiquement son printemps arabe (Zine el-Abidine Ben Ali vient de mourir à l’âge de 83 ans en Arabie saoudite où il était exilé depuis la révolution de jasmin en 2011) est perçu, parmi les pays comme le Liban notamment, les plus modernes du monde arabo-musulman.

L’image de modernité qui singularise la Tunisie changera-t-elle avec l’élection probable de Kais Saied début octobre à la tête de l’Etat tunisien ? Son concurrent de second tour, Nabil Karoui, toujours en prison (la justice a refusé jeudi 18 septembre sa libération, ceci pour la troisième fois depuis son arrestation le 23 août), paraît isolé dans la dernière ligne droite.

Arrivé en tête au premier tour (19% des voix), les ralliements en faveur de Kais Saied commencent à se multiplier : Mohamed Moncef Marzouki, ancien chef de l’Etat, Mohammed Lotfi Mraihi, Safi Saïd, Mohammad Abbou, Seifeddine Makhlouf totalisent plus de 20 % des voix au premier tour. A son tour, Ennahdha est en train d’adouber Kais Saied, son candidat Abdelfattah Mourou ayant fait 13,1 % des voix au premier tour.

Le premier tour a été une surprise, un choc pour l’opinion internationale avec l’élimination annoncée (notamment par votre serviteur) des candidats modernistes au premier tour de la présidentielle. Le prochain chef d’Etat tunisien ne s’inscrirait donc plus dans les pas du destourisme, qu’avait incarné Habib Bourguiba (1956-1987) et le président Béji Caïd Essebsi de 2014 à juillet 2019 ?

On le sait, Kais Saied est un conservateur : l’égalité hommes – femmes (les Tunisiennes sont les femmes les plus libres du monde arabe), l’abolition de la peine de mort (aucun Etat arabo-musulman ne l’a supprimée), la dépénalisation de l’homosexualité risquent fort d’être gelées. Il est vrai que le futur hôte du palais de Carthage (Kais Saied a annoncé qu’il n’y résidera pas), dépourvu de toute force politique et qui tient à rester indépendant, aura grand besoin de partis alliés pour composer une majorité parlementaire aux lendemains des législatives du 6 octobre. La victoire de Saied au premier tour annonce à bien des égards le retour au pouvoir des islamistes dans une coalition à inventer, peut-être avec certains modernistes battus mais pragmatiques… comme ce fut le cas de 2011 à 2016.

 

Un homme de droit à la tête d’un Etat de droit solide

Kais Saied est donc un conservateur. Quelle sera donc l’image de la Tunisie à travers celle du prochain président tunisien ? A y regarder de plus près, on peut parier qu’elle sera plus moderne que ce que l’on croit. Pour deux raisons…

Saied est avant tout un constitutionnaliste, un juriste, un homme de droit. Et tout en promettant de bousculer l’architecture institutionnelle de son pays, il incarnera à sa manière l’Etat de droit tunisien : il a annoncé qu’il fera aboutir la création d’une Cour constitutionnelle, lancera un vaste chantier de décentralisation et qu’il convoquera un référendum visant à remplacer la Chambre des députés par un Parlement des représentants régionaux (idée qui a certainement fait mouche face aux inégalités entre territoires).

Cette incarnation de l’Etat de droit, qui siéra à merveille au constitutionnaliste Kais Saied, est essentielle dans un pays qui a su frayer un chemin solide et pacifique vers la démocratie (la révolution tunisienne a ses martyrs mais ils sont très peu nombreux par rapport aux autres grandes révolutions de l’histoire, à commencer par la française).

Osons une proposition : peut-être que cet homme de droit politique qu’il veut incarner pourrait amener Kais Saied à appeler lui-même à la libération de son concurrent, Nabil Karoui, qui se retrouve dans une position inégale profondément choquante pour tous les démocrates tunisiens et dans le monde.

 

Politique étrangère : continuité avec la France

La seconde raison de la modernité de Kais Saied tient aux relations internationales qu’il déploiera dès le mois d’octobre. Le favori du second tour ne s’est pas vraiment prononcé, lors de sa campagne électorale ou même auparavant, sur sa vision de la politique étrangère tunisienne ou son positionnement sur le plan régional.

Mais nous ne croyons pas aux rumeurs qui circulent sur sa volonté de refermer la Tunisie sur elle-même. Et Kais Saied l’a prouvé dans une interview donnée hier à France 24 : « la Tunisie restera toujours un pays méditerranéen ouvert sur le monde, c’est son histoire […], sa géographie, comme avec le nord et tous les pays dans le cadre du respect mutuel de nos intérêts réciproques. La Tunisie sera toujours ouverte. »

Et la France dans cette vision que commence à décliner le candidat ? Avec moi, « ce sera la continuation de la politique étrangère traditionnelle ». La Tunisie a besoin de la France, la France est son meilleur allié, partenaire et ami en Europe. Les diasporas tunisienne et française font vivre les deux pays. Kais Saied le sait bien.

A ces propos, l’on comprend mieux pourquoi le seul ambassadeur en poste à Tunis qu’ait rencontré Kais Saied pendant sa campagne, est Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur français. Selon des sources concordantes, Emmanuel Macron lui avait demandé de rester en Tunisie pendant l’été, au lendemain du décès d’Essebsi le 25 juillet. Dès le mois d’août, le représentant de la France, diplomate chevronné et mieux inspiré que certains de ses prédécesseurs (on se rappelle de la fin de règne des années Ben Ali), s’était rendu au domicile de Kais Saied et y avait aussi rencontré sa famille. Depuis plusieurs semaines, les équipes du candidat, du quai d’Orsay et de l’ambassade se connaissent et discutent.

Et Kais Saied de conclure son entretien avec France 24 par une référence peut-être prémonitoire pour son avenir à François Mitterrand. Parlant de sa première cohabitation (dans laquelle il pourrait se retrouver lui-même dès le mois d’octobre), Kais Saied s’est fait sienne cette formule célèbre de l’ancien président français : « toute la Constitution, rien que la Constitution ».

Comme Bourguiba, comme Essebsi, parions que Kais Saied aura la sagesse de son âge et de son parcours. Kais Saied, cette force tranquille, sera certainement à l’image de son pays, ce digne représentant de la Tunisie, pépite de modernité démocratique sur la rive sud de la Méditerranée.

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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