Edito
15H09 - jeudi 5 septembre 2019

Lilian Thuram : la haine du racisme… sauf contre les Blancs ! L’édito de Michel Taube

 

Lilian Thuram, non pas vous ! Votre racisme anti blanc annihile la bienveillance de votre engagement.

Dimanche 1er septembre, à l’occasion de la deuxième journée de Série A, l’attaquant belge de l’Inter de Milan Romelu Lukaku a été victime de cris racistes, pendant le match contre Cagliari. Oui, Lilian Thuram, vous avez raison de demander l’interruption de matchs dès que des propos racistes ou homophobes fuseront des tribunes de supporters. De nombreuses interruptions en perspective qui ne réjouiront pas les gestionnaires des droits de diffusion TV mais qui aideront à faire de la pédagogie par la pratique…

Mais Monsieur Thuram, vous avez eu bien tort d’ajouter, comme l’a judicieusement dévoilé l’excellent Pascal Praud sur Cnews, dans une même interview au Corriere dello Sport : « Il faut prendre conscience que le monde du foot n’est pas raciste mais qu‘il y a du racisme dans la culture italienne, française, européenne et plus généralement dans la culture blanche. Il est nécessaire d’avoir le courage de dire que les Blancs pensent être supérieurs et qu’ils croient l’être. De toutes les manières, ce sont eux qui doivent trouver une solution à leur problème. Les Noirs ne traiteront jamais les Blancs de cette façon, et pour n’importe quelle raison. L’histoire le dit. »

Pour vous, Monsieur Thuram, il y a donc une culture blanche. Vous me l’apprenez.

Pour vous, le racisme est donc une arme des Blancs contre les Noirs ! Et l’histoire prouverait que les noirs ne feront jamais ce que les Blancs ont pu commettre comme crimes racistes. Il y aurait donc un angélisme noir d’un côté et de l’autre des racistes blancs ? Se faisant, et c’est terrible, Monsieur Thuram, vous nourrissez la gangrène raciste.

Quelle tristesse de la part d’un homme engagé dans la lutte contre tous les racismes. En 2005, nous avions publié dans Libération un « Nous sommes tous des juifs noirs » pour rappeler que l’acte fondateur de la colonisation entreprise par la France, le fameux « code noir », commençait par ordonner l’expulsion des juifs des futures colonies françaises. Mais c’était parce que, à l’époque, Dieudonné, dont on connaît l’antisémitisme virulent, opposait les Juifs aux Noirs et accusait les premiers de racisme à l’endroit des seconds.

Et voici que c’est maintenant vous, Monsieur Thuram, qui opposez les Blancs aux Noirs. Ma tristesse est infinie…

Lilian Thuram, vous vous trompez complètement et l’histoire vous donne tort ! Le racisme n’est pas l’histoire des Blancs, il est l’histoire de l’humanité, de toute l’humanité.

Indéniablement, l’homme blanc a porté la face la plus vile de Sapiens à un niveau inégalé. La colonisation de l’Amérique, du nord comme du sud, a conduit in fine à remplacer une population par une autre. La description qu’en fait par exemple Yuval Noah Harari dans son best-seller Sapiens donne la nausée et la honte d’être européen, d’être chrétien, d’être blanc, d’être humain. Au nom de la civilisation et/ou de Dieu, nous avons commis le pire. Et nous l’avons réitéré en Afrique avec la colonisation  et même industrialisé avec des millions de morts (dont 6 millions de juifs) en seulement trois ans, dans les camps d’extermination de l’Allemagne nazie.

Mais sont-ce les Blancs qui en Afrique du sud martyrisent ces jours-ci les Noirs nigerians et appellent quasiment à des pogroms anti-Noirs. Est-ce le côté arc-en-ciel de la nation sud-africaine qui leur monte à la tête ?

Sont-ce des Blancs qui en 1937, avec l’armée japonaise massacrèrent la population chinoise de Nankin dans des conditions qu’un autre roman, Viol de Nankin de Iris Chang, décrit « magnifiquement ». Quel qualificatif employer tant la barbarie nippone, qui a également sévi dans d’autres pays d’Asie, fut innommable. Des jaunes massacrant d’autres jaunes d’une autre nationalité… Du racisme blanc ?

Sont-ce des Blancs les auteurs des génocides qui ont ensanglanté le Rwanda et le Cambodge ? Sans canon, sans bombe atomique, sans chambre à gaz. Tués, un à un, principalement à l’arme blanche. Des Noirs qui massacrent des Noirs de l’ethnie voisine ou des khmers rouges des corrélégionaires en Asie. Leurs amis, leurs voisins… Du racisme blanc ?

Et le fait que ce soit la Fondation pour la mémoire de la Shoah qui ait financé le plus grand nombre d’études sur le génocide du Rwanda, vous en pensez quoi, Monsieur Thuram ? Sont-ce de gentils Blancs ?

Trop souvent les associations antiracistes ne conçoivent d’autre racisme que celui des Blancs et d’autres victimes que les descendants des anciens colonisés. Lorsqu’en 2001 Christine Taubira porta la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, il lui fut reproché de ne viser que la responsabilité des Blancs, occultant la traite négrière arabo-musulmane, afin que, selon ses dires dans des propos rapportés par L’Express, « les jeunes Arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes. » Les enfants de l’esclavagiste blanc peuvent donc, eux, porter le poids de cet héritage ?

Je préfère saluer ici la vertu et la véracité historique de l’engagement responsabilisateur et non moralisateur d’un Claudy Siar qui, sur RFI et dans ses différents engagements, demande aux chefs d’Etats africains de prendre leur part au travail de mémoire sur l’esclavage car des Noirs ont participé à la traite négrière (et la reproduisent aujourd’hui dans des régimes infantilisateurs qui menacent le décollage de l’Afrique).

Les oppositions entre communautés abondent et nous devons les combattre, d’où qu’elles viennent… Le parti des Indigènes de la République respire le racisme antiblanc, et un pan important de l’extrême gauche peine à dissimuler son antisémitisme. On l’a vu pendant le mouvement des gilets jaunes. Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) saisit les tribunaux à la moindre critique de l’islam, fût-ce ses dérives intégristes pourtant combattues dans nombre de pays musulmans comme le Maroc, l’Égypte et jusqu’au Moyen-Orient. De même le statut de Dhimmi, inscrit dans le Coran, n’est-il pas en lui-même intrinsèquement raciste ? En sont-ce des Blancs les auteurs ?

Lilian Thuram, vous n’êtes pas seulement apprécié pour le grand footballeur que vous fûtes. Vous avez décidé d’endosser un rôle social au bénéfice de l’intégration et de l’antiracisme. C’est tout à votre honneur. Mais déclarer aujourd’hui que les Blancs (et non des Blancs) se croient supérieurs procède de l’amalgame douteux. On peine à vous qualifier de racisme. Pourtant, que n’aurait-on dit si un Blanc avait tenu de tels propos à propos des Noirs. S’il fallait accepter cet amalgame stigmatisant dans un souci de simplification, alors force est de constater que toutes les ethnies, toutes les couleurs, toutes les « races » se pensent supérieures !

L’essor du communautarisme et l’ethnisation des cités ne sont pas une légende et procèdent bien du racisme. Être Blanc y est parfois difficile. Être Juif y est devenu souvent impossible. Et là, il ne s’agit pas d’Histoire, mais du présent. Les responsabilités sont si partagées que les leçons en deviennent insupportables.

En opposant les uns aux autres, Monsieur Thuram, vous nourrissez le racisme. Et nous obligez à ce triste et incomplet inventaire à la Prévert des horreurs de l’histoire…

Au fond, Lilian Thuram, vous êtes en train de donner raison à ceux qui pensent que l’antiracisme ne peut être une doctrine politique. Nous sommes tous, du moins le devrions-nous, contre le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, les discriminations millénaires contre les femmes, le crime, l’esclavage… Une sorte de morale universelle distingue le bien du mal, avec moult nuances et accommodements. Le racisme est lui aussi universel et ancestral. Il est né avec l’Homme, son instinct de protection, sa peur de l’inconnu, donc de l’autre, son esprit de famille et de clan. L’Homme n’est pas un ange, qu’il soit Blanc ou Noir. L’agressivité, la cupidité, la cruauté sont dans ses gènes. La nature, les animaux, les hommes en savent quelque chose…

Et l’histoire de l’humanité, parce que l’homme est aussi capable du meilleur, a consisté à tenter, inexorablement, mais trop rarement avec succès précisons-le, à lutter contre ces tentations barbares.

Il est donc de notre devoir, en ces temps troubles, de contribuer à tenter de faire triompher le meilleur, en particulier dans un Etat démocratique et laïque comme la France, où toutes les convictions peuvent s’exprimer, certes, mais où le racisme est un délit. La responsabilité des leaders d’opinion est plus grande encore. C’est pourquoi Monsieur Lilian Thuram, vous qui avez (encore) l’oreille des jeunes des quartiers, vous avez failli. Voilà que vous stigmatisez, opposez, amalgamez, au lien de rassembler, d’unir, d’apaiser.

Vous commettez ce que vous dénoncez habituellement : amalgame et essentialisation raciale. Par imprudence ou à dessein ?

C’est notre responsabilité à tous de relier et non d’opposer. Avec vous encore, Lilian Thuram ?

 

Michel Taube

Directeur de la publication