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08H26 - lundi 4 juin 2018

Entretien avec Azouz Begag, co-auteur de « Lettres pour les Jeunesses arabes »

 

 

 

Azouz Begag est sociologue au CNRS et ancien ministre de la promotion et de l’égalité des chances (2005-2007). Il est le co-auteur avec Sébastien Boussois de « Lettres pour les Jeunesses arabes » qui vient de paraître chez Erick Bonnier éditions. Entretien.

 

Qu’est-ce qu’être arabe aujourd’hui en France ?

C’est surtout pour les millions d’enfants de travailleurs immigrés maghrébins venus en France après la seconde guerre mondiale que la question se pose. La grande majorité de ces travailleurs étaient très pauvres, analphabètes et non francophones. Ils parlaient l’arabe dialectal ou le kabyle, ce qui les distinguait déjà par rapport à leur arabité. Ils ont vécu dans des conditions misérables en France, sans cesse ballotés entre le pays d’accueil et celui d’origine.

Leurs enfants n’ont jamais été pleinement acceptés dans la société française. C’est cela qui a posé avec gravité la question identitaire. Ils ne sont plus Maghrébins, pas encore pleinement Français, ne parlent pas la langue arabe et subissent depuis les années 70 le racisme anti-arabe – surtout les Algériens à cause du processus de décolonisation. Par ailleurs, ils ignorent largement l’histoire du « monde arabe ». Ces millions de Français issus de l’immigration maghrébine se trouvent donc dans une errance identitaire, en quête d’identité positive, de fierté. Il fut un temps où ils se définissaient comme des « beurs », c’est-à-dire le mot « arabe » prononcé à l’envers.

 

Le problème de toutes ces générations n’est-il pas le manque de fierté d’être arabe et tout simplement car il n’y aurait aucune raison à cela hélas à ce jour ?

La fierté d’être arabe, je pense, ne se pose même pas. C’est depuis une génération plutôt celle d’être musulman qui fonde les revendications identitaires des jeunes. Ils sont fiers de leur religion et la revendiquent de plus en plus dans une Europe qui la rejette de plus en plus à cause des peurs qu’elle inspire.

Cependant, il faut remarquer un phénomène intéressant à l’occasion des matchs de football internationaux. Les jeunes d’origine maghrébine de France sont très sensibles aux résultats sportifs des équipes de l’Algérie, du Maroc ou de la Tunisie. Quand l’une se qualifie pour la coupe du monde par exemple, il faut voir les liesses populaires qu’elle déclenche en France. Les drapeaux algériens, marocains ou tunisiens se hissent partout dans le ciel, les voitures klaxonnent dans les embouteillages, les passagers sortent leur buste par les vitres ouvertes en criant « One two three, viva l’Algérie ! » ou d’autres slogans pour les deux pays voisins. A ce moment-là, on voit où se dirige l’enthousiasme identitaire de ces populations : vers le pays d’origine ! Cela montre à l’évidence une ambivalence identitaire. On a vu parfois l’hymne national français sifflé par des supporters d’origine algérienne au Stade de France !

 

Y a-t-il un échec politique ?

Clairement oui ! Les Français d’origine maghrébine largement logés dans les cités périphériques n’ont pas bénéficié de l’égalité des chances telle que la définit la république. Ils constituent 50% de la population en prison.

 

Comment peut-on appréhender la question des jeunesses arabes sous un angle méditerranéen car, à problème collectif, solution collective ?

Beaucoup de jeunes maghrébins rêvent encore d’exil vers l’Europe ou ailleurs, tant leurs perspectives au Maghreb sont limitées. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls puisque les jeunes Espagnols et Portugais aussi s’exilent largement pour trouver du travail ailleurs. Je pense que ces jeunes doivent pouvoir faire de la Méditerranée qui leur est commune une zone de partage et de rencontre, non pas d’opposition. Pour cela, il convient qu’ils trouvent ensemble des projets communs dans l’objectif de fonder à long terme une identité méditerranéenne commune. La question écologique peut par exemple largement servir de base dans cet objectif. La Méditerranée n’est-elle pas en grand danger de pollution par les plastiques !

 

Quels sont les signes positifs d’espoir et d’avancée dans la reconnaissance de ces jeunesses arabes en France ? Et au Maghreb ?

Malgré les défis majeurs qui opposent la rive sud et la rive nord de la Méditerranée, il faut savoir compter sur les jeunes. A condition de leur offrir plus de liberté, plus d’égalité et plus de possibilité de circuler.

En ce qui concerne la France, l’engagement des jeunes d’origine maghrébine en politique est un sujet majeur. Très largement, ils ne sont pas électeurs. Je milite pour l’instauration (comme en Belgique) du vote obligatoire. Je suis persuadé que cela changera beaucoup la participation des jeunes d’origine maghrébine à la société française.

Il faut aussi remarquer que la question se pose dans les mêmes termes dans les pays du Maghreb où les jeunes se désintéressent de la politique, telle qu’elle se fait actuellement dans leur pays.

 

Propos recueillis par Sébastien Boussois, co-auteur du livre avec Azouz Begag

 

 

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