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18H27 - mercredi 21 mars 2018

Sheikha Mozza à Paris, crise du CCG : entretien exclusif avec S.E. Cheikh Saif bin Ahmed al Thani, Ministre de la communication du Qatar

 

 

Cheikh Saif bin Ahmed al Thani

Le 14 mars dernier à Paris, S.E. Cheikh Saif bin Ahmed al Thani, Ministre de la communication du gouvernement du Qatar, a participé à la conférence « In the Middle », bridges and solutions with the Middle East, consacrée à la crise du Conseil de Coopération du Golfe. Le ministre a accordé un entretien exclusif à Opinion Internationale.

 

 

Monsieur le Ministre, le 28 février dernier, Son Altesse Sheikha Mozza a co-présidé avec Audrey Azoulay, nouvelle directrice générale de l’UNESCO, une conférence sur l’éducation à l’UNESCO, suivi d’un entretien avec Brigitte Macron et le couple présidentiel. Qu’est-il sorti de ces entretiens ?

La visite de Son Altesse à Paris était de la plus haute importance pour notre pays. Comme vous le savez peut-être, cela fait maintenant deux décennies que l’éducation est au centre de notre action gouvernementale et sa promotion à l’étranger est très importante pour nous. Son Altesse a lancé de nombreuses initiatives au cours des vingt dernières années, telles que la Fondation « Education Avant Tout », qui compte de nombreux partenaires à travers le monde. Elle travaille également main dans la main avec l’UNESCO. La conférence qui s’est tenue à Paris au siège de cette organisation internationale était donc très importante pour Son Altesse.

Au Qatar, nous croyons que l’éducation est la clé d’un avenir brillant pour notre pays et notre région, et c’est pourquoi nous nous efforçons d’offrir des possibilités à nos jeunes. Nous savons aussi que c’est par l’éducation que nous pouvons combattre le terrorisme.

Quelles sont les valeurs que l’éducation doit transmettre aux enfants ?

L’éducation a toujours et aura toujours une importance significative dans toute société. La vision de Son Altesse est que nous devons construire de nouvelles générations de leaders, qui soient informés, conscients, hautement éduqués et ouverts. Cela aidera le Moyen-Orient à atteindre son plein potentiel.

Mais est-on d’accord sur le terme d’éducation ? Qu’est-ce qui est enseigné aux enfants du Qatar ?

Si vous allez au Qatar, vous observerez une grande variété de programmes d’éducation. Il y a des écoles anglaises, des écoles allemandes, des écoles arabes, des écoles françaises, etc. Mais elles partagent toutes des valeurs de respect et d’ouverture et essaient de transmettre ces valeurs aux enfants. Ces dernières années, le Qatar est devenu un pays multiculturel prospère.

 

Brigitte Macron, rejointe à un moment donné par le président de la République française, a ensuite reçu Son Altesse Sheikha Mozza. Pourquoi cette rencontre ?

Cette rencontre fut très symbolique et importante pour nous. Nous entretenons d’excellentes relations avec la France, qui se sont construites et développées au cours des dernières décennies. Elles reposent sur des liens solides en matière de de sécurité et des conceptions communes en matière d’éducation, de sports et de politique étrangère, comme l’a souligné le président Macron lors de sa visite au Qatar il y a quelques mois.

 

« Le blocus ne nous a pas isolés, loin s’en faut »

 

Le blocus de votre pays initié par l’Arabie Saoudite et suivi par une coalition de pays a commencé il y a neuf mois. Quelle est la situation au Qatar aujourd’hui et comment le blocus vous affecte-t-il ?

On peut dire que le blocus a échoué ! Tous ses effets ont été minimisés, économiquement bien sûr mais pas seulement. L’objectif de la coalition était et est encore de nous forcer à soumettre tout notre processus de décision à l’étranger. Mais cela ne marche pas ainsi.

Ce qui nous inquiète est plus un problème de nature sociale, humaine. En fait, les mouvements de population ont été limités par le blocus et il est très difficile de se déplacer vers les pays voisins. Nous venons de participer à une conférence à Genève sur ce sujet et nous essayons de régler ce problème en lien avec les Nations Unies.

N’êtes-vous pas plus isolés qu’il y a un an ?

Non, c’est même tout à fait le contraire. Ce sont les pays qui participent au blocus qui se sont eux-mêmes isolés de nous. Et d’une manière générale, cela nous a rendus plus autonomes. D’un point de vue économique, nous avons établi de bonnes relations avec d’autres pays et nous avons découvert que le marché mondial nous était très utile. En fin de compte, ce sont les entreprises des pays du Conseil de Coopération du Golfe implantées au Qatar qui sont touchées, pas les nôtres.

N’avez-vous pas rencontré des problèmes concernant votre devise ? Fitch, par exemple, a dégradé la note du Qatar …

Il y a beaucoup de points à discuter en matière monétaire, mais la plupart des rapports oublient de mentionner le fait que notre monnaie a été manipulée, ce qui tend à fausser la réalité. Notre devise a déjà été victime de manipulation et cela s’est produit pendant le blocus, à plusieurs reprises. Cela fait partie de la stratégie globale de la coalition.

Pensez-vous que le Conseil de coopération du Golfe est mort ?

L’unité du Conseil de coopération demeure réellement importante. Le Conseil a existé avant, il existe maintenant et il existera encore plus à l’avenir. Il est important à nos yeux pour traiter de nombreuses questions et principalement pour évoquer les questions de populations. La population du Golfe est unique en son genre et nous avons tous des parents dans les pays voisins. Cela doit être sauvegardé.

Le Koweit est médiateur dans la crise actuelle du CCG. Etes-vous prêts à répondre à toute sollicitation du médiateur ?

Le Koweït joue un grand rôle dans la crise actuelle, en tant que médiateur principal. Il est médiateur non seulement dans la péninsule arabique, mais aussi en dehors de la région. Nous lui faisons confiance, nous sommes à sa disposition et nous le remercions pour son soutien.

Pensez-vous que l’Europe, particulièrement la France, pourrait être un autre médiateur ?

Bien sûr, l’Europe, en tant qu’exemple d’unité, peut jouer un rôle. Néanmoins, le médiateur clé c’est le Koweït.

Qu’en est-il des États-Unis : la position de Donald Trump a-t-elle changé depuis 2017 ?

La position des États-Unis a toujours été positive. Il y a eu de la désinformation au début, mais cela a été éclairci. Les gens comprennent maintenant qu’il s’agit de notre indépendance et de notre souveraineté.

Le Qatar est régulièrement accusé de soutenir les Talibans et les Frères musulmans. Un représentant républicain, membre de la Commission des Affaires étrangères du Sénat des Etats-Unis, a récemment déclaré que « le soutien de l’Arabie Saoudite au terrorisme ravale le Qatar au rang de nain en la matière ». Alors, comment démêler le vrai du faux ?

Permettez-moi d’être clair : nous ne soutenons pas le terrorisme, même pas à distance ni de très loin.

Notre position est limpide et simple : si nous voulons traiter avec un pays, nous traitons bilatéralement avec lui. Nous ne dérogeons pas aux relations bilatérales en soutenant des groupes terroristes hostiles.

Nous nous efforçons de mettre fin au terrorisme avec nos propres moyens, au demeurant limités.

Que dire de vos relations avec les Frères musulmans ?

Comme je l’ai dit et contrairement à ce que pensent bon nombre de nos détracteurs, nous ne soutenons aucun groupe ou individus en particulier.

Que pouvez-vous nous dire sur le Bureau des Talibans à Doha ?

Nous n’entretenons pas de dialogue avec les Talibans, mais nous sommes les hôtes de certaines discussions quand elles peuvent être bénéfiques pour la région. La stratégie du Qatar est de fournir une plate-forme pour les négociations. En fait, nous sommes un pays de médiation, qui recherche la paix et la stabilité dans la région.

Si demain les autorités koweïtiennes proposent à l’Emir du Qatar de s’asseoir aux côtés du prince Mohammad Bin Salman, accepteriez-vous cette proposition ?

Le Koweït joue un rôle si proactif et efficace au service de la paix et de la stabilité dans la région que nous ne pouvons pas lui dire non. De plus, nous avons dit depuis le début du problème que nous voulions discuter. Les pays participant au blocus, eux, ne sont pas disposés à négocier pour le moment.

 

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication