International
07H20 - samedi 3 février 2018

Entretien avec Dr. Nasharudin Mat Isa, président de la Fondation malaisienne du Mouvement mondial des Modérés

 

La GMMF (Fondation du Mouvement mondial des Modérés) va participer à une conférence exceptionnelle ce lundi 5 février à Paris. Cette conférence est intitulée « les attentes de l’Europe vis à vis d’Al-Azhar sous le regard de trois citoyens français (un musulman, un catholique-arabe et un juif), tournés vers l’Allemagne ». Des représentants de tous les cultes monothéistes en France participeront à cette conférence sur l’islam dans le Bassin Méditerranéen.

Entretien avec Dr. Nasharudin Mat Isa, ancien député de Malaisie, président de la Fondation malaisienne du Mouvement mondial des Modérés. Dr. Nasharudin Mat Isa est le président exécutif et le président directeur-général (PDG) de la Global Movement of Moderates Foundation (Fondation du Mouvement mondial des Modérés). Il a été député au Parlement malaisien pendant deux mandats. Auparavant, il a été professeur à l’université islamique internationale de Malaisie (IIUM) et à l’université de Kebangsaan de Malaisie (UKM). Dr. Nasharudin Mat Isa est diplômé d’une licence en jurisprudence islamique de l’université de Jordanie, d’une maîtrise en droit comparé de l’université islamique internationale de Malaisie et d’un doctorat en éducation de l’université Utara de Malaisie (UUM).

Dr. Nasharudin Mat Isa, Président et PDG de la GMMF avec le Premier Ministre de Malaisie, Mohd Najib Razak, pendant le lancement de la dernière publication de la GMMF intitulée « Le Mouvement des Modérés », le 17 novembre 2017.

Opinion Internationale : La GMMF est une organisation malaisienne. Quelle peut être votre contribution dans les relations entre l’islam, les autres religions et les Etats dans notre région ?

Dr. Nasharudin Mat Isa : L’une des initiatives de la Global Movement of Moderates Foundation (GMMF) est de promouvoir la coexistence et bien qu’il s’agisse au départ d’une initiative malaisienne, basée en Malaisie, le message de la modération est universel. La diversité de la Malaisie et de toute l’ASEAN (Association des Nations du Sud-Est Asiatique) – qui a approuvé l’initiative en la faisant sienne en 2015 – est un atout qui peut être partagé avec le monde.

Concernant l’Islam et la promotion de la coexistence religieuse, il s’agira d’une bonne occasion de présenter et de partager les expériences et la vision d’un non-Arabe et d’un non-Africain au regard de sa pratique de l’Islam et de montrer la diversité même de l’Islam.


GMM veut dire le Mouvement Mondial des Modérés. Quelle est votre définition de « modéré » ?

Dans les sphères internationales, il n’y a pas de définition opérante du terme, de la même façon que le terrorisme et l’extrémisme violent n’ont pas non plus été définis. C’est la raison pour laquelle nous avons publié « The Movement of Moderates », qui comprend, outre une sélection de discours du Premier Ministre Najib Razak, une compilation de mes études et de mes interventions effectuées dans le cadre de nos activités. Notre espoir et notre ambition est de promouvoir le discours de modération parmi le grand public.

Cela dit, du point de vue de la GMMF, la modération est un exercice d’équilibre entre deux extrêmes ou tendances dans la gestion des conflits, et la modération – en tant que concept philosophique – résonne depuis longtemps dans les diverses fois et cultures du monde.  


Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers le Moyen-Orient et vers l’Union Européenne, où les tensions avec l’islam sont les plus fortes. Il y a eu Daesh, les attentats en Europe, et en particulier en France et en Allemagne, puis le succès de l’Extrême Droite en France et en Allemagne, semble-t-il à cause de la peur de l’islam. Comment pensez-vous qu’on peut faire dissiper la peur et reconstruire sa place pour l’islam en Europe?

A cet égard, l’approche est double, car il existe un droit et un devoir. Le droit d’entendre et le droit d’être entendu and ceci vaut pour les deux sens de l’équation. Ce qu’il se passe est dû à une dichotomie dans la compréhension ou les attentes entre les deux parties. Donc, dans le contexte de la question, et je dois préciser pas uniquement en Europe mais ailleurs également, il doit y avoir des efforts de réconciliation, car l’extrémisme n’engendrera que l’extrémisme. Cette situation confère une grande urgence au sujet abordé c’est-à-dire la dimension religieuse du dialogue interculturel et la nécessité pour les musulmans et les non-musulmans en Europe de mieux se connaître, d’assumer leur identité européenne et celle de leur foi.


On parle assez peu des tensions en Asie. Pourtant, c’est là-bas qu’elles semblent le plus explosives. Les tensions entre l’Inde et les musulmans sont violentes. Il y a aussi la Birmanie qui est une source d’inquiétude. La Chine fait de la lutte contre l’islam à l’intérieur de son territoire une priorité nationale. Les mouvements évangéliques ont une action de prosélytisme très forte à l’endroit des musulmans d’Asie du Sud-Est. Tout cela est très inquiétant pour l’avenir des relations internationales en Asie. Quelle est l’action du GMM à ce niveau ? Quelles sont vos inquiétudes et à travers quels programmes ou quelles actions y répondez-vous ?

Je me suis récemment rendu à Bangkok pour participer à un dialogue entre les musulmans et les bouddhistes. Nous sommes conscients au sein de la GMMF, du moins dans la région de l’ASEAN, des diversités et des lignes de clivage qui doivent être gérées. A cette fin, de notre côté du spectre (diplomatie de type 1.5), nous nous efforçons de prendre les mesures qui s’attaquent aux causes profondes des problèmes ou des préoccupations.

Nos activités et coopération régionales se sont élargies à des visites de terrain à Pattani, en Thaïlande en tant que tiers participant, à l’invitation du ministère des Affaires étrangères de Thaïlande, pour promouvoir et inculquer les valeurs de modération et de multiculturalisme. Nous sommes également engagés dans une coopération élargie avec les Opérations militaires et civiles de l’armée des Philippines, dans le cadre de liens étroits et de programmes ayant pour but de promouvoir la diversité parmi les jeunes.

Nous considérons que les jeunes, en tant que façonneurs du futur, ont un rôle majeur à jouer, et une partie de la direction de la GMMF que je dirige a été orientée vers le rôle des jeunes, au travers de programmes nationaux et régionaux qui visent l’autonomisation des jeunes.


Vous avez été nommé par le Premier Ministre de la Malaisie ? Etes-vous l’interlocuteur officiel de la Malaisie sur la dimension religieuse du dialogue interculturel et des relations internationales ?

Dans son discours inaugural du Mouvement mondial des Modérés, le Premier Ministre a évoqué le besoin de promouvoir la paix dans le monde, et déclaré que « le vrai problème n’est pas entre les musulmans et les non-musulmans, mais entre les modérés et les extrémistes de toutes les religions, que cela soit l’islam, le christianisme ou le judaïsme » et les autres. Ainsi, la GMMF, en tant que diplomatie de type 1.5, approuvée au niveau de l’ASEAN et adoptée par les plateformes de l’ONU, dialogue avec des acteurs officiels et officieux, aussi bien nationaux que régionaux et internationaux, pour travailler ensemble à la résolution des conflits tout en promouvant la modération et la culture de la paix.


Pour le public européen, la question principale est celle de ce que vous pouvez apporter comme expérience à l’Europe. Quelle peut être votre contribution pour les sociétés européennes ?

Je dois dire que l’un des enjeux auquel est confronté le monde aujourd’hui est la guerre de perception et c’est toujours la perception négative qui est en cause, se nourrissant de l’ignorance. A l’occasion d’une récente conférence à la Chatham House, Douglas Wise, ex-CIA, avait expliqué à quel point nous étions dans une époque où nos ennemis utilisent l’information comme une arme, au moyen de cyber-outils incroyablement bien élaborés et en lâchant ces armes au cœur de notre tissu social et nos systèmes d’information, notamment les médias et les réseaux sociaux.

Il est donc nécessaire de combattre cette guerre de la perception, les fake news, les discours de haine et ces balivernes digitales grâce aux dialogues interculturels et un à engagement pour la survie des sociétés et des Etats-nations. Il faut construire des ponts civilisationnels et le rôle des intellectuels et des universitaires est immense à cet égard. La GMMF fait partie de ces ponts civilisationnels, et nous espérons travailler étroitement avec d’autres acteurs.    

La conférence du 5 février est orientée autour du couple franco-allemand, autour de la réponse à donner contre l’extrémisme religieux et le succès de l’Extrême Droite dans le cadre du couple franco-allemand, moteur de l’Union Européenne. Que pensez-vous du couple franco-allemand ? Comment le GMM peut-il s’investir dans le couple franco-allemand et dans le fonctionnement européen ?

Tout d’abord, je souhaiterais remercier les membres de l’UE qui ont voté en faveur de la résolution de l’ONU sur la modération, adoptée pendant l’Assemblée générale de l’ONU le 8 décembre dernier. Leur rôle à cet égard a été, et l’est toujours, essentiel et nous sommes sur le point d’entamer des discussions avec les gouvernements, les agences et les organisations de la société civile, pour concevoir des programmes dans le but de réaliser les objectifs du document onusien.

Au sujet de l’extrémisme religieux en Europe, il y a eu une montée de la radicalisation ces dernières années, due, premièrement, aux crises économiques qui ont augmenté le chômage des jeunes et la fracture sociale ; deuxièmement, à une crise identitaire post-guerre froide et la mondialisation, source d’opportunités et de menaces ; et enfin, aux effets de la crise migratoire. Mais les moteurs ou les forces de l’UE ont été admirables dans la manière de traiter ce problème. L’UE a institutionnalisé certains aspects de la recherche, la collecte de preuves, la surveillance, l’animation de réseau, les contre-discours, les prisons, la promotion des valeurs de l’UE, les aspects liés à la jeunesse, à la sécurité et la dimension externe pour combattre l’extrémisme violent.

Nous souhaitons donc coopérer davantage, apprendre et partager nos expériences basées sur nos initiatives pour contrer et prévenir l’extrémisme violent. Car nous avons également des expériences, particulièrement nos activités pour promouvoir le rôle des leaders religieux et leur travail conjoint pour dépasser les divisions et souligner leurs points commun. Tels sont les éléments qui pourraient être utiles lors de sessions de partage et de transfert de connaissances entre nous et l’UE, puisque l’UE est régie conceptuellement par le cadre et les normes de l’ONU,  notamment le Plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent de l’ONU, auquel nous avons activement contribué et auquel l’UE souscrit intégralement et cherche à appliquer. La Malaisie et l’ASEAN ont d’ailleurs collaboré et dialogué en 2016 avec leurs homologues et européens dans le domaine de la déradicalisation.         


Il va être question des attentes et des espoirs vis-à-vis d’Al-Azhar, dont le Grand Cheikh a marqué l’actualité ces deux dernières années. Que pensez-vous d’Al-Azhar ? Quelles sont vos relations avec Al-Azhar ?

Tout d’abord je dois dire que je n’ai aucune relation avec Al-Azhar et que je n’y ai pas étudié. Mais en tant que musulmans, en fait citoyens du monde, nous reconnaissons les rôles et les politiques d’Al-Azhar depuis sa création. En étant un centre de connaissances, réputé de surcroît, dans le monde musulman, il a apporté une grande contribution au discours de la modération, en promouvant une compréhension et une connaissance de l’islam au travers du concept al-Wasatiyyah.

Au niveau de la GMMF, alors que nous n’avons pas encore établi une coopération d’institut à institut, nous sommes déjà engagés dans un dialogue, au travers de nos activités, avec les étudiants d’Al-Azhar.

La modération c’est aussi l’ouverture. Nous sommes donc ouverts à de plus amples discussions et coopérations avec Al-Azhar pour promouvoir et enrichir le concept et les discours de modération. C’est ainsi que nous agissons avec toutes autres organisations engagées pour la coexistence pacifique, qui est l’une des sept initiatives prioritaires de la modération.


Enfin, que pensez-vous du trio judéo-musulman et chrétien : Nader Allouche, Fadi Al-Gemayel et Fabrice Haccoun ? Qu’est-ce que cela représente ? 

Au travers de mes diverses interventions, j’ai beaucoup promu la période de la Convivencia de l’Espagne andalousienne, et la manière dont ils ont créé une brillante civilisation grâce à la coexistence pacifique entre les communautés musulmane, juive et chrétienne de l’époque. La question est puisqu’ils y sont parvenus, pourquoi ne le pouvons-nous pas ? C’est seulement lorsqu’il y a respect, tolérance et reconnaissance entre les peuples qu’il est possible de créer un environnement plus pacifique et harmonieux. Et si cela a été possible par le passé, nous pouvons donc en tirer des leçons, le reproduire et le relancer. Je suis, par conséquent, réconforté par cette initiative et j’espère qu’elle donnera un nouvel élan à d’autres.    

Horaires et lieu de la conférence : lundi 5 février 2018, de 14h à 18h, Mairie du IVème arrondissement de Paris, 2 Place Baudoyer, 75004 Paris.

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