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18H45 - jeudi 16 novembre 2017

Droit du travail : peut-on licencier un salarié radicalisé ? La chronique droits pratiques de Raymond Taube, directeur de l’Institut de Droit Pratique.

 

Les juges français, et plus encore européens, ont été amenés à plusieurs reprises à se prononcer sur l’expression religieuse au travail, presque toujours dans le cadre d’affaires portant sur le voile islamique. Mais la question du licenciement fondé, non pas sur l’expression religieuse, mais sur la radicalisation, demeure largement ouverte.

Rappelons en préambule que toutes les affaires et litiges en matière de fait religieux dans l’entreprise ou sur le lieu de travail  s’inscrivent dans un cadre juridique que l’opinion publique et les politiques feignent souvent d’ignorer. Ce cadre est clair et à trois dimensions : les dispositions du Code du travail prohibant la discrimination ne sont que la traduction dans le droit national d’une directive de l’Union européenne. Ensuite, le droit européen prime le droit national. Enfin, la véritable « Cour suprême » n’est pas la Cour de cassation, mais la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui siège à Luxembourg. Parmi les conséquences logiques de ce triptyque : la CJUE considère qu’une entreprise privée peut imposer la neutralité politique, philosophique et religieuse à ses salariés en contact avec la clientèle.

Venons-en à la radicalisation. Elle va au-delà de l’expression religieuse. Mais sa définition reste floue. Le ministère de l’Intérieur a listé des signes permettant de la détecter sur son site www.stop-djihadisme.gouv.fr, tout en y admettant la complexité du phénomène. Certains imams, tels que ceux de l’Association des Imams de France fondée par l’emblématique Hassen Chalghoumi (qui vit sous importante protection policière) ne sont pas plus radicalisés qu’un prêtre ou un rabbin. Ce n’est donc pas la foi religieuse qui est en cause, mais son instrumentalisation à des fins identitaires et politiques. Les adeptes ou proches de la Confrérie des Frères musulmans privilégient la ruse, la dissimulation et l’infiltration pour, in fine, imposer la charia sur terre, là où d’autres, qui souvent se réclament du salafisme, privilégient le terrorisme. Pour ne prendre qu’un cas d’espèce, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, qui assassina 86 personnes et fit 458 blessés à Nice le 14 juillet 2016, au moyen d’un camion-bélier, pratiquait la dissimulation, notamment en ce qui concernait son alimentation et ses mœurs.

La question de l’effet de la radicalisation sur le contrat de travail ne peut dès lors se poser que si celle-ci est clairement identifiée. Actuellement, un salarié radicalisé au sein de l’entreprise ou à l’extérieur, dans sa vie privée, ne peut être sanctionné tant qu’il ne nuit pas à la bonne marche de l’entreprise.

Le prosélytisme sur le lieu de travail est parfois invoqué par l’employeur, qu’il soit religieux, sectaire ou politique. Mais en soi, il ne constitue pas une faute professionnelle, comme l’a rappelé une autre juridiction européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 25 mai 1993 (affaire Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88) : « Si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de manifester sa religion. Le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l’existence de convictions religieuses ». Il ne s’agissait certes pas d’un conflit du travail, mais de sanctions pénales infligées par la justice grecque à l’encontre d’un Témoin de Jéhovah.

Néanmoins, le principe est posé, et il faudrait que le prosélytisme soit si excessif qu’il nuise à l’entreprise, à son bon fonctionnement, ou à l’activité du salarié concerné, pour que des conséquences disciplinaires puissent en être tirées. Tel pourrait être le cas si un salarié exhortait ses collèges à exiger que l’entreprise fonctionne dans le respect de rites religieux : des encouragements appuyés et réitérés à ne pas serrer la main d’une femme, à exiger que les congés soient alignés sur les fêtes religieuses, à interrompre le travail pour les besoins de la prière pourraient être jugés comme nuisibles à l’entreprise. Toutefois, on constate, notamment dans le secteur du bâtiment, que certains entrepreneurs, dont les salariés sont très majoritairement musulmans, acceptent d’intégrer autant que faire se peut les rites de l’islam au fonctionnement de l’entreprise. Mais c’est leur choix, ou du moins celui de s’y soumettre, si tant est qu’une soumission puisse être consentie.


La rupture du lien de confiance avec une personne radicalisée peut être un motif de licenciement.

La radicalisation à l’extérieur de l’entreprise, et hors du lieu de travail, est bien entendu encore plus difficile à appréhender, sauf si elle prend la forme de prêches intégristes ou de déclarations belliqueuses. L’appel au djihad, les discours haineux, dégradants ou humiliants à l’égard de certaines catégories comme les femmes, les juifs, les homosexuels, les mécréants, l’utilisation des réseaux sociaux à ces mêmes fins, sont autant de comportements pouvant caractériser la radicalisation.

Il serait envisageable de les considérer comme attentatoires à la confiance que l’employeur a en son salarié, afin de permettre un licenciement pour un motif non fautif. En effet, quelle confiance peut avoir une femme cheffe d’entreprise dans un prédicateur considérant les femmes comme des sous-hommes, ou un chef d’entreprise juif dans un préposé revendiquant sa haine antisémite sur les réseaux sociaux ? Pourtant, de tels agissements ne sont pas des fautes professionnelles au regard du droit du travail. Le contrat de travail peut néanmoins être rompu pour un motif réel et sérieux non disciplinaire. Ainsi, on a vu le conseil des prud’hommes admettre cette hypothèse parce que l’épouse du dirigeant, par ailleurs elle-même cadre de l’entreprise, entretenait une relation extra-conjugale avec le bras droit du patron cocufié. Bien qu’il s’agisse d’un fait a priori étranger au travail, relevant de la vie privée, les juges ont admis la rupture du lien de confiance entre le dirigeant et son second. Rien ne permet d’exclure que la perte de confiance soit admise par les tribunaux comme motif du licenciement non fautif du salarié dont la radicalisation est établie, a fortiori dans les hypothèses exposées ci-dessus. L’atteinte à l’image de l’entreprise pourrait également être invoquée, en particulier si les médias se faisaient l’écho du discours radical d’un salarié.

L’aléa judiciaire reste toutefois considérable et la jurisprudence est évolutive. On se souviendra que la France avait prohibé la dissimulation du visage dans l’espace public pour des motifs sécuritaires, et que, saisie par une femme portant le voile intégral, la Cour européenne des droits de l’homme avait considéré qu’au nom du vivre-ensemble et du choix de société, un État pouvait interdire le voile islamique intégral, ce qui n’est pas la même chose que la dissimulation du visage pour cause de sécurité publique. L’entreprise n’est pas un espace public, mais ce n’est pas davantage le lieu où les salariés imposent leur mode de vie, même si leurs droits fondamentaux doivent y être préservés.


Raymond Taube

Directeur de l’Institut de Droit Pratique

Références de jurisprudence extraites de « La laïcité, le fait religieux et la radicalisation au travail, manuel pratique destiné aux managers & Support de formation » :  http://www.idp-formation.com/#boutique-supports-cours-audio-and-video

L’Institut de Droit Pratique propose conseil et formation sur le fait religieux dans l’entreprise : http://www.idp-formation.com/#11

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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