International
10H46 - mercredi 30 août 2017

Migrants, chantiers de Saint-Nazaire… Y a-t-il une crise franco-italienne ? Entretien exclusif avec Sandro Gozi, Secrétaire d’État italien aux Affaires européennes

 

De la crise libyenne à l’accueil des réfugiés, en passant par la politique industrielle européenne, la France et l’Italie affichent parfois des priorités différentes sur leur avenir au sein de l’Union européenne, elle-même plus divisée que jamais. Tour d’horizon de ces dossiers brûlants avec le Secrétaire d’État italien aux Affaires européennes, Sandro Gozi.

Monsieur le ministre, commençons par la crise des migrants. Une des principales initiatives annoncées lundi 28 août 2017 lors du sommet euro-africain à l’Elysée, auquel a participé le premier ministre italien, M. Paolo Gentiloni, concerne des “missions de protection” (anciennement “hotspots”) dans les pays du Sahel (Niger, Tchad) se situant sur les routes migratoires vers la Libye et la Méditerranée. Croyez-vous vraiment en leur faisabilité ?

Cette mesure est un élément positif mais il faut accélérer car rendre ces missions opérationnelles prendra plusieurs mois. Il est très important qu’il y ait un engagement et des ressources pour les inaugurer au plus tôt en Libye, au Niger et au Tchad. Il faut aussi qu’elles soient sous la pleine autorité du Haut Commissariat aux Réfugiés et de l’Organisation Internationale des Migrations. Ces organisations sont en effet les seules en mesure de gérer de telles structures, qui sont tout de même assez compliquées à mettre en place. Il faut enfin garantir en même temps le respect des droits fondamentaux des personnes concernées. Nous y tenons beaucoup.

Votre pays a obtenu à l’Elysée quelques timides résultats en termes de solidarité européenne pour gérer l’afflux de migrants sur le sol italien. Considérez-vous que l’Europe manque de solidarité vis-à-vis de l’Italie ?

C’est un fait malheureusement mais les lignes bougent. L’Italie a pris le leadership, notamment dans la lutte contre les trafiquants et pour la stabilisation de la Libye, mais il est nécessaire que les autres gouvernements s’engagent aussi. Mme Merkel et M. Macron ont reconnu le travail fait depuis longtemps par l’Italie et il faut maintenant qu’il soit poursuivi au niveau et avec les ressources de toute l’Europe.

Le sommet de l’Elysée a esquissé des progrès dans l’action extérieure de l’Union européenne vers l’Afrique. Sur le développement local, la lutte contre les trafiquants d’être humains et les retours vers les pays d’origine, il me semble qu’on va pouvoir travailler pour arriver à un engagement de toute l’Union européenne. 

L’Italie a proposé un “migration compact”, à savoir une nouvelle stratégie entre l’Europe et l’Afrique, basée sur un pacte pour plus d’investissements européens en Afrique, en échange de plus de coopération de la part des pays africains pour lutter contre le trafic d’êtres humains.

Cette initiative a donné lieu à plusieurs initiatives concrètes. Le Fonds pour l’Afrique de l’Union européenne : nous en sommes les principaux contributeurs avec l’Allemagne et la Commission, mais nous voudrions que tous nos partenaires y contribuent car c’est un instrument financier très important, tout comme le plan Juncker pour le développement.

Il y a en revanche encore des divisions inacceptables sur le droit d’asile. La révision du système de Dublin et la redistribution des réfugiés parmi les pays européens proposées par Mme Merkel sont une avancée majeure en termes d’effets d’annonce. Nous attendons à présent des résultats concrets, c’est à dire des négociations au niveau ministériel sur la révision de Dublin. Les avancées européennes sont pour l’instant bien en dessous de nos attentes.

ANSA / FILIPPO VENEZIA

L’Italie peut-elle accepter que des pays européens refusent catégoriquement d’accueillir des migrants ?

Soyons clairs, l’attitude de la Pologne et de la Hongrie, et en partie de la République tchèque et de la Slovaquie, est absolument inacceptable. La Commission européenne a enfin ouvert des procédures d’infraction envers ces pays, qui doivent selon nous aboutir à des sanctions. Nous sommes également extrêmement préoccupés par la situation en Pologne par rapport à l’État de droit. Nous avons proposé au mois d’avril que dans le cadre de l’adoption du bilan de l’UE, les fonds européens ne soient pas alloués a des pays qui semblent violer les principes fondamentaux de l’État de droit. La proposition a été reprise en juin par le Commissaire européen au Budget, Günther Oettinger, elle a le soutien de l’Allemagne et de la Suède et nous avons entamé des discussions avec la France, qu’on poursuivra lors du Sommet franco-italien de Lyon le 27 septembre.

Regrettez-vous de n’avoir pas été associés à l’initiative du Président Macron à La Celle Saint-Cloud le 25 juillet dernier de réunir les deux dirigeants libyens que se disputent le leadership dans un pays au bord de l’anarchie, alors que vous êtes très présent sur le dossier libyen ?

Sur la question libyenne, tout le monde doit travailler ensemble. Cela a déjà été clarifié par le Président Macron également. La déclaration du 25 juillet va dans le sens souhaité par la communauté internationale, mais il ne s’agit pas d’un traité international… Ce que nous, les Européens, voulons, c’est qu’il y ait avant tout un accord entre Fayez Sarraj, Khalifa Hafter; et tous les autres acteurs libyens. Seule la convergence de tous les acteurs de la communauté internationale permettra d’y arriver…

Dans la conférence de presse qui a suivi la déclaration conjointe de La Celle Saint-Cloud, le Président Macron a justement reconnu le travail fait par l’Italie et son Premier ministre, Paolo Gentiloni, a été le seul dirigeant européen mentionné. Jean-Yves Le Drian est venu à Rome, il a discuté avec notre ministre des Affaires étrangères… Il y a beaucoup d’initiatives en Libye, il faut maintenant les réunir et les faire converger. Plus nous seront unis et cohérents, plus nous seront efficaces.

Le Sommet de l’Elysée lundi 28 août, qui, cette fois-ci, réunissait une dizaine de dirigeants européens et africains, est peut-être le fruit de cette prise de conscience de l’absolue nécessité d’initiatives communes européennes.

La crise franco-italienne des chantiers de Saint-Nazaire

Revenons, Monsieur le Ministre Gozi, sur la “nationalisation” (temporaire) des Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire, annoncée par le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, fin juillet. La réaction du gouvernement italien a été très critique. Des accords avaient été conclus sous la Présidence Hollande, par lesquels le groupe industriel italien Fincantieri aurait eu accès à une large majorité du capital de STX. Pourquoi l’Italie refuse la décision du président Macron ?

À notre avis, – et c’est la position de Fincantieri, la proposition de partager le capital de STX à 50-50 n’a pas de logique industrielle. Si on veut qu’un projet industriel marche bien, un actionnaire majoritaire doit avoir un pouvoir décisionnel clair, pour mettre en œuvre la stratégie, quitte à rendre des comptes tous les trois mois. La minorité de blocage, avec la présence du gouvernement français à travers l’Agence des participations de l’État, assure que des comptes seront rendus et des responsabilités assumées par un actionnaire majoritaire, si cela s’avérera nécessaire. La proposition à 50-50, c’est le blocage décisionnel assuré en cas de problème.

Je veux aussi rassurer les syndicats, les travailleurs et les élus locaux de Saint-Nazaire : Fincantieri est intéressée par STX pour développer et faire croître Saint-Nazaire. En effet, à Trieste, où siège le groupe italien, le chantier Fincantieri est trop petit et pas assez profond.

Nous convergeons avec la volonté du Président Macron d’avoir des champions industriels européens qui puissent s’affirmer sur une scène globale très compétitive. Or les Italiens sont mieux placés que les Français pour assurer ce leadership et le projet de Fincantieri à Saint-Nazaire va exactement dans cette direction : nous avons la possibilité d’avoir un grand champion industriel européen qui défendra  les intérêts européens, français et italiens.

L’accord Fincantieri-STX jettera les bases d’une industrie européenne de défense navale. Nous l’avons affirmé à plusieurs reprises : nous voulons une Europe de la défense, c’est un objectif commun de Paris et de Rome. Nous avons donc besoin de développer des projets industriels qui vont dans ce sens, c’est l’enjeu stratégique de cette alliance. Nous ne devons pas manquer cette opportunité.

En attendant le sommet bilatéral de Lyon du 27 septembre qui devrait trancher le différend, vit-on une crise franco-italienne ?

Non, je ne pense pas. Il y a cependant de réels points de désaccord. Le volte-face français a été vécu à Rome avec surprise. La presse – et l’opinion publique italienne – ont été très critiques. Il faut isoler les points de désaccord et y travailler pour éviter qu’ils nuisent à l’ensemble des relations, auxquelles nous sommes très attachés.

Cependant, le contexte des relations franco-italiennes reste positif. J’en ai d’ailleurs discuté récemment à Rome avec mon homologue française, la ministre des Affaires européennes, Nathalie Loiseau. Nous avons des objectifs communs au niveau européen. C’est dans cette perspective que nous sommes en train de préparer le sommet franco-italien de Lyon du 27 septembre prochain.

Propos recueillis par Michel Taube et Gabriel Di Battista

Directeur de la publication
Journaliste

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