International
15H04 - lundi 19 juin 2017

Energie, la tentation russe de l’Allemagne se renforce à l’approche des élections.

 

Dans la tension diplomatico-énergétique qui oppose la Russie à l’Union européenne, Moscou peut compter sur un allié de circonstance et de poids : l’Allemagne. En 2014, il y a donc déjà trois ans, le ministre allemand de l’Economie et de l’Energie, Sigmar Gabriel, devenu depuis ministre des Affaires étrangères, annonçait la couleur en déclarant qu' »il n’y a pas d’alternative raisonnable » au gaz russe. L’Allemagne n’est pourtant pas le pays de l’Union Européenne le plus dépendant des exportations énergétiques russes. La part du gaz venue de Moscou dans la consommation allemande n’est que de 37%, d’après un rapport du Sénat français. C’est certes plus que l’Hexagone (24%) mais bien loin de la Slovaquie ou des pays baltes qui affichent 100% – à l’exception de la Lituanie qui a inauguré en 2015 un terminal flottant de gaz naturel pour diversifier ses approvisionnements -, ou de la Pologne (80%) qui, malgré sa dépendance, est bien moins conciliante avec Moscou, comme l’a montré sa position sur la reprise du gazoduc Nord-Stream 2. Un gazoduc pour lequel l’Allemagne (avec la Finlande) n’a pas hésité à reprendre les travaux malgré les inquiétudes de l’Union européenne.

D’autant que si l’Allemagne est l’une des pierres angulaires de l’UE, en étant le pays le plus puissant économiquement des 28, en plus d’en être l’un des fondateurs, une partie de la classe politique allemande affiche clairement sa proximité avec Moscou. Bien plus qu’en France en réalité, où ce type de rapprochement reste l’objet de débats et de critiques. L’ancien chancelier allemand, le social-démocrate Gerhard Schröder, toujours très influent, travaille activement à un rapprochement avec la Russie, pays dont il estime qu’il partage une « relation spéciale » avec l’Allemagne.

Mais la principale action de Schröder pour un rapprochement entre l’Allemagne et la Russie est sans doute celle d’avoir « formé » son protégé qui est aujourd’hui le membre incontournable du gouvernement Merkel : Sigmar Gabriel. Et ce dernier, chef de la diplomatie allemande, ne cherche même pas à cacher sa préférence marquée pour un rapprochement avec Moscou, nonobstant les inquiétudes de l’Union européenne. Lors d’un meeting à Düsseldorf en novembre 2016, il déclarait d’ailleurs que « l’Europe et l’Allemagne (on notera que les deux sont séparés, NDLR) doivent améliorer leurs relations avec la Russie et la considérer comme un partenaire fiable dont nous avons besoin pour résoudre un certain nombre de conflits ». Ce même jour, il s’était déclaré sans détour en faveur d’un allègement des sanctions imposées à la Russie pour son manque de respect présumé du protocole de Minsk sur la question ukrainienne. « La Russie interprète ces événements différemment de nous, et les sanctions économiques altèrent nos relations », se désolait Sigmar Gabriel.

Autre personnalité allemande de premier plan qui ne fait plus mystère de sa volonté de rapprochement avec la Russie : Martin Selmayr, le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. L’homme, un protégé politique de Sigmar Gabriel, est notamment un de ceux qui a débloqué le statu quo autour du gazoduc Nord Stream 2 lorsque l’Europe avait décidé de prendre du recul sur cette coopération entre la Russie et l’Europe. Selon les révélations de Claude Turmes, un eurodéputé luxembourgeois, c’est un coup de fil échangé entre Angela Merkel et Martin Selmayr qui a poussé ce dernier à faire changer d’avis Maros Secovic, l’ancien commissaire européen à l’énergie sur la question et envisager le redémarrage du projet. La Commission européenne a alors décidé de fermer les yeux face à l’initiative allemande de redémarrer quasiment unilatéralement le projet.

Dernier poids lourd du SPD – et non des moindres – à assumer une position pro-russe : Frank-Walter Steinmeier, le tout nouveau président fédéral de l’Allemagne. Avant d’occuper ce poste moins exposé, l’homme a été pendant plus de trois ans le ministre des Affaires étrangères et n’a pas manqué de multiplier les déclarations favorables à Moscou, et même les actions symboliques en ce sens : critiques de la position ukrainienne lors des accords de Minsk, lobbying intense pour une levée des sanctions, et critiques acerbes d’exercices militaires conjointement menés par la Pologne et les Etats baltes qualifiés de « bruits de bottes ».

Un enjeu électoral derrière la donne éco-géopolitique

Et derrière ces tractations apparemment cantonnées à la seule question énergétique se cachent des questions plus délicates, tournant autour des échéances politiques 2017. A savoir le scrutin qui doit renouveler l’exécutif allemand et où s’opposent Angela Merkel et le candidat du SPD, probablement Martin Schultz.

Si les poids lourds du SPD se montrent relativement ouverts aux intérêts russes – présumant qu’il existe une communauté d’intérêts avec ceux de l’Allemagne – Moscou ne risque-t-il pas de s’immiscer dans le scrutin ? Autrement dit, ce qui est en train de se confirmer aux Etats-Unis peut-il arriver en Allemagne ?

Stefan Meister, un chercheur spécialiste de la Russie et membre du think tank DGAP, ne confiait pas autre chose dans les pages du Financial Times en juin 2016 : « Je suis inquiet. Dans une situation de tensions, le ministre allemand des Affaires étrangères affaiblit la position de l’Allemagne, l’Union européenne et l’Otan. Et il fait cela parce qu’il est dans les mains de Poutine ».

Si le SPD l’emportait cet automne, la Russie aurait de quoi se réjouir… au moins sur la question énergétique. Le Nord Stream 2 est dans le collimateur bien sûr, mais les intérêts pourraient aller bien au-delà de la seule question du gazoduc traversant l’Europe. Au moment des sanctions de l’Union européenne en 2014, pas moins de 6.000 entreprises allemandes étaient directement présentes en Russie, et elles y investissaient pas moins de 20 milliards d’euros. Or, rien qu’en 2015, les ventes allemandes en Russie ont chuté de 25%. Et les chiffres de 2016, qui ne sont pas encore connus avec certitude, ne s’annoncent guère meilleurs.

La Russie pourrait sans doute aussi se réjouir d’une Europe qui serait un peu plus divisée encore sur une question internationale aussi sensible que l’énergie, qui cache derrière elle d’autres enjeux chauds où Moscou et Bruxelles sont impliqués, comme les tensions séparatistes en Europe de l’Est (en Crimée notamment) ou la gestion du conflit contre l’islam radical en Irak et Syrie. L’UE est une fois de plus en danger de ne pas prendre la mesure des intérêts partagés de ses différents membres.

Certains observateurs laissent entendre en effet qu’une Allemagne dirigée par le SPD n’inciterait pas l’Union européenne à défendre les intérêts d’une grande entreprise européenne dans un autre site énergétique sensible : celui de Sakhalin, aux confins de la Russie orientale, ou l’anglo-néerlandais Shell possède des droits d’exploitation dont Gazprom – encore – aimerait beaucoup s’emparer. La Russie avait déjà délesté l’entreprise européenne d’une partie de ses droits d’exploitation 2006, estimant que l’accord signé en 1996 était finalement « injuste » pour la Russie. Si l’Allemagne espère peut-être que ses propres entreprises s’imposent à la place de Shell à Sakhalin – ou sur les autres sites énergétiques de l’immense Russie – Berlin ferait bien de se rappeler ce qui arrive aux « partenaires » de Moscou quand le Kremlin décide de reprendre la main.

Michel Borsky

L’article est déjà paru dans France Soir.

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