International
10H42 - lundi 6 juin 2016

Retrait russe de Syrie : les dessous d’une stratégie

 

C’est un véritable coup de tonnerre qu’a provoqué Vladimir Poutine le lundi 14 mars en annonçant le retrait des forces russes qui intervenaient en Syrie depuis novembre 2015. Les plus pessimistes craignaient en effet que Moscou s’installe durablement dans le pays tant la « reconquête » s’annonçait longue. On pouvait même craindre en Syrie une situation semblable à celle de l’Afghanistan pendant l’ère soviétique avec des années de présence, des pertes humaines considérables, et une zone déstabilisée pour de longues décennies.

 

Crédit photo : Ministère de la défense russe, Wikimedia Commons

Crédit photo : Ministère de la défense russe, Wikimedia Commons

Élément perturbateur

De prime abord donc, les partisans d’un Moyen-Orient le moins perturbé possible ne peuvent qu’être satisfaits de la décision russe. En effet, Moscou, qui ne peut être blâmé de suivre ses intérêts, reste globalement un fauteur de troubles dans la région. L’interventionnisme russe a déjà profondément déstabilisé l’Afghanistan il y a trente ans. Et la recette était la même : le soutien, justifié par un objectif de « stabilité », d’un pouvoir totalitaire ayant globalement une adhésion populaire particulièrement faible. Le 27 décembre 1979, ce sont d’ailleurs les forces russes qui avaient mené l’opération « Storm-333 », débouchant sur la destitution et l’assassinat du président Hafizullah Amin, remplacé par l’homme de Moscou, Babrak Karmal.

 

Le Kremlin reprend le même chemin en Syrie. Son intervention a été décidée unilatéralement, sans aucune discussion, en apparence, avec les États de la coalition qui intervenaient en Syrie. Et encore moins avec la Turquie, ce qui a fait monter d’un cran la tension entre les deux puissances, donnant à la situation dans la région comme une odeur d’escalade à l’échelle mondiale. Quant à l’Europe, la Russie souffle le chaud et le froid, clamant son soutien dans la lutte antiterroriste et proposant une coopération dans une Union économique eurasiatique tout en ignorant  les réserves de Bruxelles quant à son intervention en Syrie.

 

Manœuvre diplomatique et limite financière

Pourquoi alors avoir aussi brusquement annoncé ce retrait ? Tout d’abord pour pouvoir afficher une volonté d’apaisement, alors que la réalité du mouvement est bien timide. En effet, le Kremlin laissera en Syrie une partie de ses troupes, ne faisant repasser la frontière qu’aux seules forces de frappe aériennes. Le site Sputniknews lui-même, relais officiel du Kremlin, ne dit pas autre chose : une vingtaine d’appareils de combat et pas moins de 2 000 hommes resteront dans le pays. Quant au potentiel militaire qui repartira effectivement en Russie, Vladimir Poutine a annoncé lors d’une rencontre avec ses troupes qu’il pourrait être remis en place « en quelques heures ». Retrait à petit pas donc, mais annonce fracassante.

 

En façade, la Russie respecte ce qu’elle a toujours claironné : elle ne souhaitait pas s’éterniser dans la zone et, une fois la stabilité du régime d’el-Assad garantie, le retrait était la seule alternative. Même si le pouvoir de Damas, aidé par ces frappes et soutenu par des milices chiites, a remporté d’importantes victoires contre ses opposants (loin de se résumer à Daech…), son triomphe final est loin d’être acquis. Pourquoi maintenant alors ? Il est encore difficile de le savoir avec certitude, et la raison pourrait ne pas être purement géopolitique. Car si la Russie veut revenir en force dans la région, les finances, le nerf de la guerre, battent de l’aile : entre la chute du baril et celle du rouble, Moscou a dû annoncer des coupes franches dans son budget pour 2016. Les sanctions européennes décrétées pour dissuader (en vain, d’ailleurs) Moscou d’intervenir en Ukraine n’aident pas non plus. Le PIB russe s’est contracté de 3,8 % en 2015, avec 12,9 % d’inflation et la situation sociale commence à se tendre dans le pays. Il est donc probable que la Russie n’a pas les moyens de ses ambitions, en attendant une hypothétique remontée du baril.

 

Si la raison est bien économique, la sérénité de façade du retrait n’est donc qu’un leurre. La Russie veut ardemment, en effet, revenir dans le jeu diplomatique dont elle a été mise au ban depuis son intervention en Crimée. Lorsqu’à l’été 2015 Moscou a essayé d’inciter les autres puissances mondiales à se ranger derrière el-Assad, personne, à l’exception de l’Iran, n’a répondu présent. Un camouflet qui devait appeler une réponse claire. Ce qu’explique Alexander Golts, expert militaire indépendant, dans les pages du Guardian: « Personne ne voulait passer d’accord avec la Russie après l’Ukraine. L’intervention en Syrie n’a donc qu’un but : pousser l’Occident à considérer de nouveau la Russie comme un interlocuteur. »

 

Circulation d’armes

Si l’on peut donc suspecter l’intervention en Russie de ne pas être réellement arrivée à son terme, éventuellement pour des raisons économiques, elle a au moins eu un effet visible : le retour en force du pouvoir de Damas sur le plan militaire. Et pour cause : non seulement la Russie a bombardé les positions des adversaires du clan el-Assad avec efficacité (et quelques bavures…), mais elle a aussi lourdement armé le régime de Damas. Un jeu dangereux de quitte ou double : si cela peut effectivement contribuer à vaincre des groupes islamistes hostiles au régime des Alaouites, en cas de défaite de Damas, Daech ou Jabhat al-Nosra (affilié à Al-Qaïda) pourraient bien récupérer ces armements. Un scénario similaire à celui de l’Afghanistan : une partie des armes qui contribuèrent à la conquête du pouvoir par les talibans provenaient de l’arsenal pris aux forces soviétiques. Et il ne s’agit pas dans le cas présent de simple kalachnikovs… Les Russes ont en effet apporté des drones, des tanks et la dernière génération de véhicules mobiles armés. Ils n’ont pas l’intention non plus de démanteler l’ensemble de leurs installations et y laisseront a priori les missiles S400. Ces derniers posent d’ailleurs quelques interrogations : ils sont conçus comme armes de défense anti-aérienne. Or, les djihadistes n’ont pas de forces aériennes. Pourquoi Moscou a-t-il alors décidé d’introduire ce type d’armements en Syrie, pour les « abandonner » ensuite au moment du retrait ? D’autant que ces armements ont été installés certes sur le territoire syrien, mais à proximité de la base d’Incirlik, sur le territoire turc, qui sert notamment de zone de support des forces de l’Otan…

 

Les puissances occidentales devraient-elles s’inquiéter de cet armement qui restera sur un territoire syrien loin d’être stabilisé ? Sur une perspective de court terme de lutte contre les factions terroristes, a priori non, puisque les groupes islamistes armés ont objectivement reculé sous la pression russe. Mais le contre-terrorisme est-il vraiment l’objectif de Moscou ? Le Kremlin souhaite surtout se prémunir de potentiels djihadistes issus de groupes caucasiens qui pourraient revenir en Russie pour y mener des actions armées. Mais a-t-il la même préoccupation concernant l’Europe de l’Ouest ? C’est moins sûr. Les attentats de Bruxelles montrent encore que le démantèlement en Syrie de cellules qui s’y sont entraînées n’est pas la priorité de Moscou. Même si le Kremlin n’est évidemment pas responsable des attentats en Europe de l’Ouest, son objectif n’est pas d’éradiquer la menace djihadiste. Ce qui ne l’empêche pas de jouer la carte de « l’intérêt général » pour justifier son intervention. Le jeu diplomatique classique, certes… Mais l’arrêt brusque de cette intervention rendrait une victoire des groupes islamistes plus dramatique encore, par l’accès à un armement qui ne restera sûrement pas dans les seules frontières d’un état syrien effondré.

 

Le « Poutine modéré »

En revanche, la Russie a rempli son objectif côté diplomatique : de paria, elle est devenue acteur incontournable lors des négociations de Genève ayant débouché sur un cessez-le-feu fragile, mais globalement tenu ; et a montré à la face du monde une belle « prestation » d’intervention extérieure. En éliminant avec une certaine précision des djihadistes russes ou caucasiens, le Kremlin a prouvé qu’il reste expert dans le domaine du renseignement, de l’identification des cibles et de l’efficacité des attaques aériennes malgré les pertes civiles importantes.

 

Enfin, Poutine est revenu dans le jeu, en soignant sur la scène internationale une image de « modéré ». Il réussit même un « coup » diplomatique plein de finesse : il soigne son positionnement avant le sommet de l’Otan qui se tiendra en juillet prochain à Varsovie, et pourrait parvenir à éviter un durcissement de la position de l’organisation internationale sur le front de l’Europe de l’Est.

 

Un retournement positif donc pour un retrait qui tient plus au manque de moyens qu’à une volonté de paix. Et une intervention russe dont il est encore difficile d’estimer si elle a contribué à un apaisement ou au renforcement de la violence des armes.

 

Michel Borsky

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