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16H43 - lundi 6 juin 2016

Le crime de lèse-majesté, nouvel instrument d’intimidation politique en Thaïlande

 

Depuis le renversement du gouvernement de Yingluck Shinawatra, élue Premier ministre en 2011, destitué pour cause de corruption, la démocratie thaïlandaise, retrouvée à la fin des années 1990, se fait démanteler boulon par boulon. Si le régime des Shinawatra, populistes, prenait parfois des airs de dictature, l’autocratie des hauts gradés de l’Armée royale les a largement dépassés. Le dernier instrument pour asseoir l’hégémonie militaro-royale : le crime de lèse-majesté.

Crédit Photo : Roger JG

Crédit Photo : Roger JG

En Thaïlande, le crime de lèse-majesté est puni par des peines cumulables pouvant aller de 3 à 15 années de prison. Ainsi, en 2015, un individu s’est vu condamné à 60 ans de prison pour des messages Facebook « diffamants » envers le roi. Sa peine a été réduite à 30 ans après qu’il a plaidé coupable.

Les juges semblent de plus en plus zélés quant à l’application de l’article 112 du code pénal thaïlandais où il est spécifié que quiconque diffame, insulte ou menace la famille royale sera emprisonné. Au début du xxe siècle, les peines n’excédaient pas 7 ans et n’étaient pas systématiquement appliquées. En revanche, depuis le dernier coup d’État de mai 2014, Human Rights Watch rapporte que 57 crimes de lèse-majesté ont été jugés, majoritairement pour des commentaires sur Internet.

Cette loi est donc une arme de plus qui permet aux juges et à l’armée de faire taire les opposants au régime. Lors de la conférence organisée par le RBF France forum de la mémoire autour de la question de la transition démocratique en Thaïlande, Eugénie Mérieau a déclaré que l’accession au pouvoir d’un gouvernement ne suffirait pas à garantir une transition démocratique. Pour la politologue spécialiste de la Thaïlande et chargée de cours à Sciences-Po ainsi qu’à l’université de Thammasat à Bangkok, il faut avant tout continuer à lutter pour l’abrogation de la loi de lèse-majesté.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule arme législative dont disposent les militaires pour museler qui bon leur semble.

Le 29 mars 2016, l’ordonnance No. 13/2016 du général Prayuth Chan-Ocha donne aux militaires tout pouvoir d’arrêter et emprisonner n’importe quel suspect et ce sans cadre législatif. La loi martiale se retrouve donc institutionnalisée. Les défenseurs des droits humains craignent que cette ordonnance, prévue initialement pour contrer les « mafias » et les « sombres influences », soit utilisée pour réprimer les opposants politiques.

Le 7 août prochain, un référendum se tiendra en Thaïlande pour l’adoption d’une nouvelle constitution selon laquelle le Premier ministre ne sera pas élu mais choisi par la junte. Il s’agit bien là d’asseoir durablement le pouvoir militaire en Thaïlande et d’empêcher un éventuel retour de Yingluck Shinawatra. Ce référendum permettra à la junte de prouver sa légitimité aux yeux de la communauté internationale. Afin de couper court à toute contestation, un décret royal a interdit de faire campagne contre la Constitution, et même d’en discuter, qualifiant ces actes de « désinformation ». Qui enfreint ce décret est passible de 10 ans de prison.

Pourtant cette nouvelle constitution mériterait un débat démocratique, tant elle semble dangereuse dans sa version actuelle. Pour Sunai Phasuk, chercheur associé à la branche thaïlandaise de Human Rights Watch présent à la conférence de RBF France, « le dernier coup d’État de 2014 n’est pas identique au précédent car la junte militaire avait promis une transition démocratique rapide. Or elle fait exactement l’inverse par le biais de l’adoption au forceps d’un référendum non démocratique portant sur un projet de constitution très contesté dont certaines des principales dispositions sont également antidémocratiques. »

Le pouvoir militaire paraît donc verrouillé de l’intérieur. D’autant que la contestation est timide en Thaïlande. Le 22 mai dernier, une manifestation étudiante à Bangkok a réuni quelques centaines de personnes. Manquant d’un appui politique, le mouvement s’est essoufflé, et 14 étudiants ont été arrêtés.

Qu’en est-il d’une intervention extérieure ? En avril dernier, une délégation de 18 diplomates européens s’est rendue en Thaïlande et y a notamment rencontré le ministre des Affaires étrangères. Elle s’est insurgée contre la pratique d’« ajustement d’attitude », qui consiste en une rencontre avec la police durant laquelle mieux vaut se montrer patriote et royaliste. Si la personne est jugée dangereuse, elle est envoyée dans un camp militaire où l’on tirera d’elle des aveux, souvent par la torture. Certains dissidents ont même été assassinés dans ces laogaï à la thaïlandaise. Si, à la suite de ces critiques, le nom a été changé en « invitation à discuter des divergences d’opinions », les méthodes, elles, demeurent.

Cependant, ce geste, pour être maigre, n’en prouve pas moins que la junte est sensible à l’opinion internationale, d’autant que le tourisme constitue un des revenus majeurs du pays. Pour Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, c’est le signe que des sanctions extérieures pourraient changer la donne.

Pour cela, trois choses doivent être prises en compte. Tout d’abord, le timing. Pour l’instant, la junte ne contrôle pas l’intégralité de son économie. Des pays comme la Birmanie et la Corée du Nord ont vu les sanctions arriver bien après leur installation et leur prise en main de l’économie. La Thaïlande n’en est pas encore là. Mais la tenue très prochaine du référendum sur la constitution, qui assoirait un peu plus le pouvoir de la junte, appelle à agir dans les plus brefs délais.

Ensuite, il faudrait savoir qui serait prêt à appliquer ces sanctions. L’Asie du Sud-Est sera d’ici 2030 une des régions les plus créatrices de richesse et d’innovation, ce qui en fera la 4e puissance économique mondiale. Si les autres pays membres de l’Asean venaient à appuyer des sanctions, la Thaïlande s’efforcerait probablement de ne pas s’exclure de cette économie florissante.

Enfin, il s’agit de décider du type de sanctions. Isoler diplomatiquement et économiquement la Thaïlande, refuser les visas aux membres de la junte ou encore interdire la représentation du pays aux Jeux olympiques pourraient constituer des leviers importants. En ce sens, la Thaïlande est déjà exclue de l’accord de partenariat transpacifique (TPP) signé le 4 février dernier, notamment par la Malaisie et le Vietnam.

Difficile d’imaginer une issue démocratique à cette constitution écrite par et pour la junte militaire. Cette parodie de référendum peut difficilement être considérée comme une expression populaire tant la répression contre l’opposition est forte. L’abolition de la loi de lèse-majesté, comparable aux lois de blasphème des pays islamiques, doit être un objectif prioritaire des discussions diplomatiques. Sans elle, aucune métamorphose démocratique interne ne sera possible pour la Thaïlande.

 

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