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10H46 - mardi 10 mai 2016

Tchernobyl : un bilan impossible

 

Les premiers effets mortels des rayonnements ont été observés dans les quatre premiers mois qui suivirent la ruine du réacteur de Tchernobyl, chez les courageux intervenants : 29 morts, auxquels sont venus s’ajouter 19 autres, au cours des 9 années suivantes. Mais ces décès ne sont même pas la partie émergée de l’iceberg et tout est fait pour qu’aucun bilan ne puisse être tiré.

Crédit photo : Igor Kostin/Corbis

Crédit photo : Igor Kostin/Corbis

Les dénis aux effets meurtriers ont commencé dans les heures qui suivirent l’accident. Le 26 avril, à 3 heures du matin, le directeur de la centrale de Tchernobyl, Brioukhanov, transmet aux autorités son hypothèse sur ce qui est arrivé : « Un réservoir a explosé mais le réacteur est intact ».

Quelque sept heures plus tard, un ingénieur reçoit l’ordre d’aller voir, depuis le toit, l’état du bloc central. Il annonce que le réacteur est détruit mais personne ne le croit.

Il meurt quelques jours plus tard des suites de son exposition aux radiations. Cependant, dans ses communications officielles, Brioukhanov[1] certifie alors que l’incident est maîtrisé.

Au lieu d’arrêter les trois autres réacteurs de la centrale et d’évacuer leur personnel (200 employés) pour les protéger de l’atmosphère fortement contaminée qui pénètre dans les installations nucléaires, Brioukhanov continue de les faire fonctionner. Le numéro 3 ne fut stoppé qu’en fin de journée, le 26 avril, et les réacteurs numéros 1 et 2, 30 heures après l’explosion, alors que l’arrêt et l’évacuation immédiate s’imposaient.

Dans la ville de Pripyat, à 3 kilomètres de la centrale accidentée, la vie continue normalement, car le directeur de la centrale envoie chaque heure un message indiquant que la situation reste dans les normes. Aussi, les enfants vont à l’école comme d’habitude, des compétitions sportives se tiennent et 16 mariages sont célébrés. Ces populations sont ainsi exposées à des doses externes et internes (iodes radioactifs notamment) très importantes. Le dimanche 27 avril, vers 14 heures, on évacue la ville, après avoir donné aux habitants deux heures pour se regrouper.

C’est trois jours après l’accident que la Pravda révèle, en quelques lignes, sur une colonne, que quelque chose s’est passé à Tchernobyl, alors que la veille, toute la population de Pripyat (47 000 habitants) a été évacuée vers Kiev.

Pour ne pas donner raison aux rumeurs et éviter la panique, le 1er mai, un million de personnes défile dans les rues de Kiev la capitale ukrainienne. Les photos de ce défilé ont depuis disparu des archives nationales. De retour d’un voyage dans la région, deux Parisiennes avaient à l’époque appelé le centre de Saclay. L’une d’elle, qui avait fait du jogging dans les rues de Kiev, avait accepté de me donner ses affaires à contrôler. Elle m’avait à regret laissé ses baskets, qui sont allés aux déchets radioactifs. Le contrôle par le service médical de leur organisme montrait bien la présence de césium 137.

La ville de Tchernobyl, à moins de 20 kilomètres du réacteur, ne fut évacuée que le 5 mai. Entre le 27 avril et le 7 mai, en plus des deux villes, 70 localités, situées dans un rayon de 30 kilomètres, furent vidées de leurs habitants. Il faudra attendre le 14 mai 1986 pour que Mikhaïl Gorbatchev dans un discours prononcé à la télévision soviétique annonce officiellement « le premier accident nucléaire civil ayant provoqué mort d’hommes ».

Le nom de Tchernobyl inconnu jusqu’à ce jour – bien qu’il ait été le théâtre quelque quarante ans plus tôt d’un autre désastre : l’extermination de tous ses habitants juifs, par les troupes hitlériennes – va faire le tour de la planète.

En 2006, Gorbatchev devait déclarer dans le film de Thomas Johnson, La Bataille de Tchernobyl, que dans les soixante premières heures il avait eu du mal à être informé de ce qui s’était passé réellement dans la centrale de Tchernobyl. Il avait demandé l’avis de l’académicien Anatoli Alexandrov qui lui avait déclaré : « Nos centrales nucléaires ne présentent aucun risque. On pourrait les construire même sur la Place rouge. Elles sont plus sûres que nos samovars. » On lui avait même affirmé que le réacteur pourrait repartir en mai. Aussi avait-il demandé au physicien Legassov qui dirigea la délégation soviétique à Vienne, de tout dire sur l’accident.

Bilan impossible : conséquence du déni des organisations internationales

Un bilan crédible de la mortalité et de la morbidité ne peut être réalisé, sans la volonté d’une large synthèse, car ceux que l’on a appelés les « liquidateurs » venaient de plusieurs pays. Sur les 830 000 intervenants, 366 000 étaient Ukrainiens, 250 000 Russes, 130 000 Biélorusses, et 90 000 autres (Kazakhs, Lituaniens, Lettons, Arméniens).

Pour évaluer les effets des rayonnements, les organisations internationales donnent les doses reçues par les intervenants et les populations proches, avec deux chiffres significatifs, alors que le premier est déjà faux. Pour les liquidateurs, le vrai chiffre est au moins dix fois plus élevé. Ils n’avaient pas de dosimètres individuels et les relevés des dosimètres collectifs, assurés par leurs responsables, étaient totalement fantaisistes. Les appareils de mesure portatifs étaient saturés. Ils étaient prévus pour mesurer des débits de doses aux postes de travail, mais là les niveaux étaient entre 100 000 et 1 million de fois plus élevés.

Plus important encore que le discours réducteur sur la mortalité, c’est la morbidité, totalement escamotée. Les associations de liquidateurs disent : « Nous sommes tous malades ». Nombreux sont invalides ou décédés, mais ils ne sont pas seuls à être touchés, les enfants et adolescents qui vivent toujours sur les territoires contaminés d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie, ont en plus des cancers de la thyroïde, des maladies cardiovasculaires qui ne touchent habituellement que des adultes d’un certain âge.

Les manipulations des organisations internationales et l’effet des dénis de la réalité

Dès août 1986, la délégation soviétique, dirigée par le physicien Valéri Legassov[2], avait présenté aux experts internationaux, à Vienne, siège de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un bilan prospectif de 40 000 victimes. La conférence se met alors en « conclave fermé ». Les experts de l’AIEA, de la CIPR et de divers pays, exercent d’importantes pressions sur la délégation soviétique, afin que les physiciens revoient à la baisse leurs évaluations.

Au final, c’est le chiffre de 4 000 victimes qui sortira du chapeau de l’AIEA. C’est devenu depuis un chiffre phare. C’est ainsi que les experts internationaux ont contraint les scientifiques soviétiques au mensonge.

Comme l’on retrouve tous ces experts internationaux dans la commission des Nations unies (l’UNSCEAR), le système est verrouillé au plus haut niveau. Des travaux sont cependant publiés par des équipes biélorusses, ukrainiennes et russes, mais pour des raisons diverses, rares sont celles qui sont prises en compte dans les synthèses internationales. Elles disparaissent dans le trou noir de l’UNSCEAR.

Ce mépris des travaux des chercheurs biélorusses, ukrainiens et russes, au contact des réalités sanitaires vécues dans les territoires contaminés, est inadmissible.

En 2006, Viatcheslav Grichine de l’Union Tchernobyl, principale organisation des liquidateurs, soutenait que sur 600 000 liquidateurs envoyés d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie, « 25 000 sont morts et 70 000 restés handicapés en Russie. En Ukraine, les chiffres sont proches, et en Biélorussie 10 000 sont morts et 25 000 handicapés », soit près de 3 fois plus d’handicapés que de décès, handicaps qui ne constituent qu’une fraction de la morbidité.

Rien n’est fait pour conduire une étude épidémiologique globale, sur les populations évacuées, sur les liquidateurs de diverses nationalités ou sur les populations, notamment des enfants, qui continuent à vivre sur des territoires contaminés et à consommer des aliments encore contaminés aussi.

Pour qu’il ne se passe rien tout converge : un bilan très lourd serait mal vu par les organisations internationales qui œuvrent pour le nucléaire et il inquièterait les États qui devront prendre en charge et indemniser les victimes enfin reconnues. Pour les victimes, c’est la double peine : des souffrances, des handicaps et des décès non reconnus.

Les responsables de l’AIEA, ou de l’OMS, ont tenu dès le début des discours très réducteurs, voire cyniques, sur les impacts sanitaires. Pour n’en citer qu’un, le 28 août 1986, M. Rosen, directeur à l’AIEA, déclarait lors d’une conférence à Vienne : « Même s’il y avait un accident de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme une énergie intéressante »…

[1] En juillet 1987, avec l’ingénieur en chef et son adjoint, Brioukhanov sera condamné lors d’un procès à huis clos, à 10 ans de prison. Il eut une remise de peine au bout de 5 ans. La technologie soviétique a été mise hors de cause, mais en 1990, une nouvelle enquête du ministère de l’Énergie a conclu que l’accident était dû aux graves défauts des réacteurs RBMK combinés à la négligence des personnels.

[2] Après avoir écrit, le 26 avril 1988 un testament très critique, publié cependant dans la Pravda le 20 mai 1988 (Mon devoir est d’en parler), Legassov s’est suicidé. Il raconte les obstacles rencontrés dans sa mission et critique la conception du réacteur dépourvu de nombreux dispositifs de sécurité d’urgence. Il dénonce le manque de qualité des réalisations dans les réacteurs nucléaires et évoque des négligences inadmissibles.

 

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