Opinion Sport
10H59 - lundi 2 mai 2016

Pierre Villepreux : « Il faut rendre le jeu intelligent »

 

Arrière de renommée mondiale, entraîneur de club, sélectionneur national, Pierre Villepreux a tout connu dans sa carrière. Il est surtout renommé pour aimer et faire aimer le rugby pour ce qu’il est : un jeu. Un mot décliné sous toutes ses formes par ce personnage fascinant.

Crédit photo : Frédérique Mouveroux/CDS

Crédit photo : Frédérique Mouveroux/CDS

Vous qui avez traversé différentes époques du rugby et occupé plusieurs fonctions, quel regard portez-vous sur ce jeu un peu plus de vingt après son entrée dans le professionnalisme ?

Il y a eu une grande évolution liée à l’obligation des joueurs de s’entraîner plus, à défaut de s’entraîner mieux : on ne passe pas comme ça de deux entraînements par semaine à deux par jour !

Par ailleurs, la création de compétitions aux enjeux économiques importants a amené les clubs français à se renforcer abusivement faisant oublier la caractéristique première du rugby : l’utilisation des forces vives internes à des fins de performance. Le constat le plus alarmant est que les valeurs de base du rugby sont mises à mal car les jeunes français sont remplacés par des joueurs venus d’ailleurs.

La définition du rugby comme « sport de voyous pratiqué par des gentlemen » vous convient-elle ou lui préférez-vous « jeu inventé par un Anglais et magnifié par les Néo-zélandais ?

Les deux me conviennent. La première relève plus du domaine éducatif : comment le rugby, qui voit les gens s’affronter, doit être joué dans le respect des adversaires, des partenaires, des arbitres.

Vous parlez d’éducation, pourquoi avoir appelé les stages destinés aux 9-17 ans que vous organisez en Corrèze « Le plaisir du mouvement » et non « Le plaisir du jeu » ?

Le plaisir du jeu implique toutes les formes de jeu, et le plaisir du mouvement certaines formes de jeu : le jeu déployé (au large) et pénétrant (dans l’axe). On exclut les mêlées et les touches.

Pour vous, le jeu d’évitement est-il devenu aujourd’hui jeu de rentre-dedans ?

Oui, le jeu aujourd’hui est plus axé là-dessus. Mais on reviendra sur l’esprit du jeu. Il faut rendre le jeu intelligent. Le joueur doit choisir à l’instant T la solution, c’est vrai pour les porteurs de balle comme pour les joueurs autour.

Que vous ont demandé les Anglais en 1989 : de révolutionner leur jeu ou de le faire évoluer ?

Ils m’ont demandé de leur montrer la méthodologie de travail des joueurs de Toulouse (Ndlr : que Pierre Villepreux a entraînés), afin de savoir comment on avait pu les amener à être plus performants.

Les Français ont souvent accusé leurs homologues anglais de manquer de fair-play, défini comme le respect de la règle. Mais si on prend le sens littéral, « jouer juste », n’est-ce pas tout simplement cela qui manque aux Tricolores ?

Jouer juste, tout le monde le recherche dans la formation du joueur ; afin encore une fois de prendre les bonnes décisions au bon moment. Mais le fair-play est d’abord la façon de respecter l’autre.

Avant, on parlait du French Flair pour évoquer le jeu imprévisible du XV de France. Qu’est-ce qui nous a rendus si prévisibles : le manque de technique, d’initiatives ou la peur de mal faire ?

Le French Flair, comme décrit par les Anglais, c’est la capacité à trouver des solutions justes et intelligentes qui mettent la défense en porte-à-faux. On créait beaucoup d’incertitudes car on trouvait de meilleures solutions, plus vite. Aujourd’hui, les Anglais y parviennent et nous un peu moins, parce qu’on a délaissé la méthode d’entraînement, du débutant jusqu’à un haut niveau, on s’est trop attardés sur la préparation physique avec un jeu très programmé, et ça ne colle pas. Et ce n’est pas un hasard si, avant le quart de finale de Coupe du monde 2015, Steve Hansen (entraîneur de la Nouvelle-Zélande) me disait : « Pour battre la France c’est facile : on sait où on veut aller ».

Pendant des années les Français ont privilégié le physique sans améliorer forcément certains aspects comme la touche, et la mêlée qui était l’un des points forts est maintenant chahutée. Que reste-t-il alors du jeu « à la française » ?

Si elle est chahutée, c’est que la fédération internationale a vu les Français ne pas respecter le bon positionnement et ciblé les joueurs qui trichaient. Les Tricolores, pénalisés, ont alors dû retrouver des positions qui ont moins mis à mal leurs adversaires. Mais ils n’étaient pas les seuls…

La France est un pays de foot, pourquoi alors son jeu au pied est-il si faible comparé aux autres nations majeures du rugby ?

Je ne pense pas qu’il soit faible. Il faut taper au bon moment dans le ballon. Si on fait un concours, je suis sûr que les joueurs français tapent aussi loin que les autres. C’est la justesse qui compte. Mais les autres équipes font confiance aux buteurs, nous on change, et on ne crée pas la confiance.

Retrouvez-vous un peu de votre philosophie de jeu chez Guy Novès, les femmes ou dans le rugby à 7 ?

C’est très différent, on ne peut pas comparer. Le rugby à 7 est fait d’évitement et de vitesse car il y a beaucoup d’espace, les joueurs peuvent prendre des initiatives. Les filles gagnent beaucoup grâce à des mauls pénétrants et leur puissance physique, mais ça ne suffit pas. Quant à Guy, j’espère bien me retrouver dans son jeu car je l’ai entraîné pendant dix ans, et il est rompu à une démarche qui a été la mienne et celle de Jean-Claude Skrela. Mais cela prendra du temps.

Pensez-vous que les filles du XV de France peuvent remporter la Coupe du monde avant les hommes ?

Pas actuellement, car il n’y pas assez de mouvement. Elles sont trop bloquées dans des phases de jeu de contact, de combat.

Quel joueur, français ou étranger, vous ressemble le plus ?

Le rugby, ce n’est pas ce que fait un joueur, c’est l’inscription de l’individu dans le collectif. Plein de joueurs permettent au collectif de mieux jouer.

La France a disputé et perdu trois finales de Coupe du monde. Est-ce à dire que l’enjeu a pris chaque fois le pas sur le jeu ?

Je ne pense pas. En 1999, nous étions très conscients de l’évènement, mais peut-être l’avons nous mal préparé. On est tombés sur un adversaire meilleur, qui ne nous a pas permis de jouer.

La France est la seule équipe du Tournoi des six nations à ne pas avoir un entraîneur étranger. Pourtant, toutes les autres nations, excepté l’Italie, ont progressé. Une solution externe est-elle un jour envisageable ?

L’Italie n’a pas de résultats, mais elle a progressé. Ce ne sont pas les entraîneurs qui jouent ce sont les joueurs. L’entraîneur est un facilitateur.

Pensez-vous que la France doive suivre l’exemple argentin pour retrouver un style de jeu ? Car si son niveau stagne, celui d’autres pays comme la Géorgie et le Japon a augmenté…

Que les pays émergents arrivent à rivaliser avec nous, c’est très bien. Si on veut demain changer la donne en France, il faut changer la formule du top 14, pour que les joueurs n’aient pas la trouille de descendre en pro D2. C’est la force de l’hémisphère sud : un championnat sans montée ni descente avec cette volonté de jeu et de spectacle.

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