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15H26 - mardi 19 avril 2016

La primaire des aigreurs : les électeurs sont-ils devenus des télé-électeurs ? Trump le souhaite, les autres le craignent

 

L’affrontement électoral entre Hillary Clinton et Bernie Sanders a pris une coloration morale, dans laquelle les coups portés laisseront sans doute des traces, et l’usage de la télévision et des réseaux sociaux est devenu primordial.

 

Bernie Sanders et Hillary Clinton - Crédit photo : youtube.com

Bernie Sanders et Hillary Clinton – Crédit photo : youtube.com

 

Les primaires n’ont pas que des vertus : au début du processus, lorsque les débats démocratiques comportaient d’autres postulants, Sanders et Hillary évitaient de se brocarder trop méchamment. L’adversaire réel, comme ils disaient, était le Parti républicain qui avait, depuis tant d’années, engagé un bras de fer stérile voire déloyal, avec Barack Obama, bloquant toute législation démocrate. Rappel : aux États-Unis les démocrates ont généralement à gérer un Congrès républicain, ce qui produit d’étranges paralysies et oblige le Président à négocier avec le Congrès jusqu’à l’exaspération. 

 

Une animosité artificielle chez les Démocrates

Ainsi, Hillary et Sanders avaient préparé leurs piques contre les Républicains, mais depuis qu’ils ne sont plus que deux, du fait des désistements, à disputer l’investiture démocrate, ils se sont tournés l’un contre l’autre et les phrases assassines se multiplient. Sanders accuse Hillary d’avoir voté la guerre en Irak, et surtout d’accepter actuellement l’argent des associations prête-noms, les Super-Pac (Political Action Committee), système qui permet au monde des affaires de contribuer incognito aux campagnes politiques. Hillary, candidate de l’Amérique « corporate », voilà un blâme embarrassant. Pour sa part, elle fait remarquer que Sanders s’est bien accommodé de la vente d’armes dans son État rural du Vermont, et qu’il a lui aussi voté des textes aujourd’hui décriés à gauche ; enfin elle lui reproche ses approximations lorsqu’il promet de faire passer les soins médicaux et les frais de scolarité (50 000 dollars par an pour Columbia par exemple) sous l’aile d’un État providence financé par « l’Amérique corporate ». Ainsi, les Républicains sont tranquilles, car rien de tout cela ne les atteint puisque l’occupant de la Maison-Blanche n’est pas des leurs.

 

Audimat mon amour

Dès le début, les Républicains de leur côté durent faire face au terrible Donald Trump, nabab et bateleur télévisuel. L’homme sait où sont les caméras, comment exploiter les micros pour imposer son arrogance. Dans des jeux télévisés de sa facture, au cours desquels il a forgé une image de gourou du risque et de la réussite, il a étudié l’audimat. Ainsi, dans sa campagne évite-t-il toute apparition publique qui nuirait à son audimat, ce qui explique ses diverses annulations qui ont laissé sa demi-douzaine de concurrents sans lui sur l’estrade. Le lendemain, il pouvait déclarer que les Américains s’ennuyaient, foi d’audimat ! La dimension médiatique est assumée, non sans cynisme. Les téléspectateurs eux-mêmes sont mis à contribution : « Vous verrez, je suis dur avec untel, mais il changera dans quelques semaines et nous redeviendrons amis ». Prenons le cas de sa dispute avec la journaliste de Fox News, Fox la chaîne va-t-en guerre, anti-Obama et récemment anti-Trump. Megyn Kelly posa des questions embarrassantes à Trump, qui réagit pendant plusieurs jours avec violence et vulgarité. Petit exemple de son élégance légendaire : « Je pense qu’elle a vu du sang, je ne sais pas d’où il lui sortait ». Il s’agissait bien sûr d’une référence à la menstruation. Puis il refusa de paraître devant elle sans recevoir d’excuses. Aujourd’hui, il « négocie » leur réconciliation. Cela fait des titres, et il pourra se targuer d’avoir eu raison, son seul péché étant l’emportement verbal. Les électeurs apprécieront le spectacle, eux qui sont devenus des télé-électeurs. Et il les remerciera d’un bon show.

 

La campagne sur le terrain

Pour l’heure, les États-Unis ne sont pas encore pris de fièvre électorale. Cela viendra en octobre. Mais la fébrilité est palpable. Dans l’État de New York, grand comme un gros quart de la France avec une population d’environ 19 millions de personnes, Trump a tout écrasé côté républicain. Ses apparitions fréquentes, son accent et sa gouaille si adaptés aux villes du Nord-Est (New York, Philadelphie, Baltimore ; et leurs grandes banlieues) y passent très bien. Ses partisans viennent entendre des choses pertinentes : pertes d’emploi (la faute au libre-échangisme de la classe politique), l’épidémie de toxicomanie (la faute aux dealers mexicains). Son sans-gêne libère les passions. On n’a plus honte de ne rien comprendre au monde postracial, postmoral, socialisant et globalisant à la fois, d’Obama. Les gens aux meetings de Trump sont souvent sincères et pensent que les rodomontades de l’homme sont juste un style – qu’ils apprécient ! Souvent ces gens ressentent même de la sympathie à l’égard de Sanders qui promet tout ce qu’ils voudraient avoir en matière d’emploi, de couverture médicale et de frais de scolarité, sauf qu’ils ne croient pas ses promesses. Le rejet de la classe politique installée est très fort.

 

Côté démocrate, l’hypnose télévisuelle est bien moins forte. Les pitreries de Trump dégoûtent presqu’universellement. Trump n’est pas un esprit sérieux. Il est une sorte de pirate. Mais la lutte fratricide s’intensifie : les gens d’Hillary se plaignent de la méchanceté et du sexisme des pro-Sanders. Ceux de Sanders s’étonnent de l’obstination d’Hillary à briguer, pour la deuxième fois, le poste suprême alors qu’elle est totalement engoncée dans un système politique qu’elle prétend fustiger telle une âme innocente à Babylone. Une seule chose unit les deux camps : la peur du phénomène Trump, le populisme télévisuel et twitterien qui évince tout débat sérieux. S’il veut gagner, le champion démocrate devra le jour venu faire tomber Trump sur la scène télévisuelle. Méchants, les démocrates savent l’être ; showman ? voilà qui sera nouveau. Et Hillary est à ce jeu peut-être moins à l’aise encore que Sanders. Dans tous les cas, la présidentielle sera une affaire de gouaille médiatique, et les électeurs à l’ancienne sont en train d’être supplantés par les télé-électeurs créés par Trump.

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