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10H13 - lundi 4 avril 2016

Les Rohingyas de Birmanie, oubliés de l’opinion internationale

 

Alors que les débats sur la déchéance de nationalité ont agité la société française pendant quelques mois, le statut d’apatride des Rohingyas, minorité musulmane birmane, depuis 1982 laisse l’opinion internationale quasi indifférente. Ne relevant d’aucun État, cette population ne reçoit aucune protection puisque l’effectivité et l’applicabilité du droit international dépendent du critère de nationalité.

CARTE-BIRMANIE-ETHNIES-LANGUES   source Alexandre Gandil

 

Rappelons brièvement qu’une norme internationale est effective si elle est applicable dans le droit interne d’un État faisant partie d’une convention internationale (signée et ratifiée). Or, pour qu’un citoyen du monde bénéficie de cette norme, il doit être lié à un État qui l’a lui-même intégré dans son droit interne. Paradoxalement, le droit international qui prône l’universalité de l’homme dépend donc d’un critère de nationalité.

L’apatridie des Rohingyas, parfois comparés aux Roms, est une des nombreuses mesures discriminatoires initiées par le gouvernement birman depuis les années 1960.

 

Un racisme culturellement entré en force depuis les années 1960

L’histoire politique de la Birmanie est le ciment de la construction d’un racisme culturellement installé depuis cinquante ans. La Deuxième Guerre mondiale est symboliquement le terrain de la première rupture entre les Rohingyas et le peuple birman (dont l’ethnie bamar est majoritaire). Encore sous l’empire britannique, les Rohingyas se rallient au pouvoir colonial et les Birmans bouddhistes, aux Japonais. Ces alliances entraînent un premier massacre en 1942 conduisant à l’exil de plusieurs milliers de Rohingyas au Bangladesh (dont ils seraient originaires).

Après l’indépendance en 1948, plusieurs signes positifs laissent espérer une future reconnaissance de cette ethnie. Mais le processus est sapé par le putsch du colonel Ne Win. C’est le début de la purification ethnique. L’objectif est de « birmaniser » le pays, ce qui signifie mettre à bas toutes les ethnies minoritaires et installer une dictature militaire. Pillages, massacres, viols, mosquées démantelées, travaux forcés, l’armée se charge du « nettoyage ». Malgré la présence dans le pays de 135 ethnies, la seule digne d’être birmane désormais est la majorité bamar. En français, les deux mots sont souvent confondus d’ailleurs. L’Arakan est le théâtre de cette purification ethnique, la plupart des Rohinyas y habitant. Cet État recèle des ressources en bois, pierres précieux et minerais, autant d’enjeux économiques qui incitent à la répression.

La transition démocratique et la libéralisation du régime amorcées en 2008 ont eu un effet placebo sur la condition des Rohingyas. Car le bourreau n’a fait que changer de visage, l’armée est relayée par l’élite bouddhiste radicalisée. La religion est facteur d’identité nationale : être Birman, c’est être bouddhiste. Hier, libérateurs de la dictature, les moines bouddhistes sont aujourd’hui l’incarnation la plus violente de la répression des minorités musulmanes et particulièrement des Rohingyas.

Bien que minoritaire, le mouvement 969, dont les membres sont des moines bouddhistes radicalisés, en est d’ailleurs l’exemple paroxystique. Leur figure de proue est Wirathu Ashin, un homme de quarante-cinq ans, chef autoproclamé de ce mouvement nationaliste et anti-islamique. Surnommé le « Ben Laden bouddhiste », il appelle au boycott des commerces musulmans et en diffuse à travers les média une violente haine. Dans une récente interview, il va jusqu’à prôner l’extermination du peuple rohingya.

Cette conception raciale et religieuse de la nation n’est pas seulement idéologique, des normes juridiques l’encadrent. En février 2015, par exemple, six mois avant les élections, le gouvernement a annoncé la suppression des « white cards », ces cartes d’électeurs attribuées aux Rohingyas. Ces mesures discriminatoires banalisent le racisme en Birmanie et ancrent les stéréotypes dans les mentalités – par exemple, les Rohingyas seraient tous analphabètes, sauf qu’en réalité l’accès à l’école leur est interdit – pour des raisons raciales, religieuses mais aussi despotiques. En créant le chaos, le pouvoir espère dérouter l’amorce démocratique qui s’esquisse depuis 2008. Selon Carl Schmidt et sa théorie de l’assise du pouvoir par la distinction ami/ennemi, le pouvoir birman se définit à travers la diabolisation du Rohingya, ennemi public numéro 1. Culturellement entrée en force depuis les années 1960, par différents modes opératoires et instigateurs, la répression des Rohingyas est presque devenue une coutume birmane institutionnalisée.

« Fabriquer un ennemi suppose une mythologie nationale incluant un certain rapport à la guerre, un mécanisme de différenciation de l’Autre et, enfin, l’imminence d’une menace. »

Pierre Conesa.

 

Les Rohingyas, les « Roms asiatiques »

La fabrication d’un ennemi suppose une différenciation. Dans le cadre des Rohingyas, elle est principalement religieuse, mais aussi physique, raciale et géographique. Ce sont ces codes d’identification et de répression d’une minorité qui animent la comparaison entre les Rohingyas et les Roms. L’origine nébuleuse de ces deux peuples, l’un viendrait du Bangladesh et l’autre, d’Inde, favorise la construction du mythe de l’ennemi par leurs pays d’accueil.

Les différences physiques de ces minorités donnent naissance à des légendes et fantasmes qui nourrissent la xénophobie. En témoignent les propos du consul général de Birmanie à Hong Kong « Les Rohingyas ne sont ni un peuple du Myanmar ni un groupe ethnique du Myanmar. Vous verrez sur les photos que leur teint est brun foncé. Ils sont aussi laids que les ogres. Le teint du peuple birman est juste et doux – prenez mon teint : typique, celui d’un vrai gentilhomme du Myanmar ». La diabolisation des Rohingyas passe par le dénigrement de leur physique, comme pour les Roms dans certains pays d’Europe de l’Est (Slovaquie, la Roumanie ou la République tchèque, par exemple). Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié en 2011 sur son blog un texte faisant état d’articles haineux parus en Bulgarie dans lesquels les Roms étaient comparés à du « bétail », des « moutons » et des « loups ». Cette diabolisation des minorités passent par une déshumanisation assise sur des thèses hasardeuses de hiérarchie des races.

Un autre point de différenciation commun à ces deux minorités réside dans l’association délinquance/ethnie, fortement appuyée par les média, européens et birmans. Accusés par les plus radicaux de vouloir violer les femmes birmanes, les Rohingyas sont des coupables tout désignés. Plus encore que les délits dont ils seraient responsables, ces minorités opprimées, et particulièrement les Rohingyas, cristallisent des peurs d’invasions illustrées par les propos de Winathu : « On ne peut pas faire confiance aux musulmans. Ils ne font pas de politique pour participer au bien général, ils veulent le faire pour prendre le contrôle du pays sournoisement. »

Les Roms et les Rohingyas sont des minorités identifiées seulement à travers le prisme de leurs différences par les groupes majoritaires. L’étude du cas rohingya ne prend que très peu en compte l’identité de ce peuple, ce qui n’apporte aucune alternative aux représentations nuisibles diffusées par le pouvoir birman.

Si, d’après l’Onu, les Rohingyas sont la minorité la plus persécutée au monde, son action pour les protéger oscille entre silence et maladresse.

L’apport de la communauté internationale : de Charybde en Scylla

Les Rohingyas ont suscité très tôt l’intérêt de la communauté internationale, en tant que minorité opprimée mais également en tant que réfugiés. Les rapports sur leur situation sont plus qu’alarmants puisque le rapporteur spécial de l’Onu pour les droits de l’homme en Birmanie jusqu’en 2014, M. Tomás Ojea, a fait état « d’éléments constitutifs du crime de génocide. Il s’agit de crimes contre l’humanité » dans un rapport publié en avril 2014. Cependant, les condamnations orales ne sont pas suivies d’actions.

Carte présence HCR 2015Le Haut Commissariat aux réfugiés de l’Onu est intervenu de manière ponctuelle lors de vagues d’émigration massives des Rohingyas. En 1991, ils ont fui par milliers suite à l’opération « Belle Nation Immaculée » qui consistait en l’édification, par eux-mêmes, de nouveaux villages sur les terres qu’on leur avait confisquées. Quasiment en esclavage chez eux, ils furent nombreux à émigrer vers le Bangladesh. Le Haut Commissariat aux réfugiés les a alors exhortés à retourner en Birmanie. Même chose en 2006. Alors que 230 000 Rohingyas avaient fui au Bangladesh, le HCR avait même donné de l’argent pour accélérer leur retour.

Les Rohingyas peuvent difficilement compter sur l’aide internationale à l’intérieur de leur pays, mais à l’extérieur non plus. En 2009, la Thaïlande a chargé son armée de refouler les bateaux de migrants rohingyas. Une harmonisation régionale arbitrée par l’Onu serait souhaitable afin de favoriser le déplacement et l’accueil des Rohingyas dans les pays voisins et signataires de la Convention de Genève.

L’Onu, les pays voisins… Les Rohingyas semblent abandonnés à leur triste sort. Même la lauréate birmane du prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, n’entend pas défendre la cause de la minorité « la plus opprimée du monde ». En effet, icône des droits de l’homme dans le monde et figure de l’opposition en Birmanie, elle entretient un rapport ambigu avec le dossier rohingya. Même si elle a qualifié la situation « d’énorme tragédie internationale », elle défend l’idée d’un contrôle accru à la frontière bengali, ce qui équivaut à la condamnation de l’exil des Rohingyas. Son silence sur la loi de 1982, normalisant l’apatridie des Rohingyas, est très embarrassant venant d’une activiste nobélisée.

L’effectivité de l’universalité de l’homme est remise en cause par l’applicabilité du droit international qui dépend de l’État et non du citoyen, et le cas des Rohingyas nous enseigne qu’elle est définitivement enterrée par l’apatridie.

« Autrefois, l’homme n’avait qu’un corps et une âme. Aujourd’hui, il lui faut en plus un passeport, sinon, il n’est plus traité comme un homme. » Stefan Zweig

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