International
11H55 - lundi 14 mars 2016

Meurtre de deux Argentines en Équateur

 

À l’occasion de la journée de la femme, Opinion Internationale vous proposait la semaine dernière un tour d’horizon de la condition féminine dans le monde. Mais l’actualité des femmes, celle de leurs droits bafoués, ne tient pas en une seule semaine. Et chaque jour qui passe le prouve. Il y a quelques jours, l’Argentine était secouée par l’annonce de l’assassinat de deux de ses ressortissantes en Équateur. Deux jeunes femmes, juste parties pour un voyage. Cette nouvelle a suscité un raz-de-marée médiatique, bien au-delà des rubriques « faits divers ». Et a agi en révélateur de l’ambiguïté de la société argentine quant à ses représentations de la femme.

 

Vanesa Lijdens, cousine de l’une des victimes, interrogée par une journaliste locale, lors du rassemblement en hommage aux deux jeunes femmes organisé le 8 mars 2016. Crédits photo : Justine Perez.

Vanesa Lijdens, cousine de l’une des victimes, interrogée par une journaliste locale, lors du rassemblement en hommage aux deux jeunes femmes organisé le 8 mars 2016. Crédits photo : Justine Perez.

 

Il y a quinze jours, Marina et Maria José, 21 et 22 ans, étaient retrouvées mortes sur une plage du complexe balnéaire La Montañita, en Équateur. Selon les premiers rapports d’analyse, les deux jeunes femmes auraient subi divers abus sexuels avant d’être abattues. Depuis l’annonce de la triste nouvelle, outre de nombreuses manifestations de solidarité, on déplore au sein des deux sociétés concernées, argentine et équatorienne, certaines réactions violentes à l’égard des victimes. Des responsables politiques et fonctionnaires équatoriens n’ont pas hésité à verser dans le « elles l’avaient un peu cherché » en déclarant notamment que « tôt ou tard, quelque chose leur serait arrivé ». On leur reproche notamment de s’être rendues à une soirée dans cette zone – touristique mais vraisemblablement malfamée – vêtues de seuls maillots de bain, comme pour justifier le viol. Quant au traitement médiatique consacré à l’affaire, certains ont repris des discours présents sur les réseaux sociaux posant clairement la question de la culpabilité des victimes. Au lieu de s’interroger sur les nombreux mystères qui entourent ce cas, dont les conclusions sont loin d’être établies – étant donné notamment des soupçons de corruption et de trafic de drogue –, des médias sensationnalistes ont préféré se demander jusqu’à quel point ces jeunes filles ne s’étaient pas montrées totalement inconscientes en voyageant ainsi « seules ». « Dans une société patriarcale, est considérée “seule ” toute femme, même si elles sont plusieurs, non accompagnée d’une figure masculine. Or elles étaient quatre à avoir ensemble entrepris ce voyage et deux à être allées à cette soirée-là. » Pour Ada Rico, présidente de La Maison de la rencontre mobilisée aux côtés des deux familles dans leur demande de justice, « le présupposé est très clair : c’est l’homme à nos côtés, frère, père, mari, qui nous extrait de notre position de mineures, lui seul peut compléter notre identité de sujets de plein droit ».

 

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Des proches des victimes demandent justice face au Congrès, mardi 8 mars. Crédits Photo : Justine Perez.

 

Pour demander à faire toute la lumière sur les conditions des deux meurtres en Équateur mais aussi « pour appeler à un réveil de l’opinion sur ces questions » comme nous précise Vanesa, cousine de la défunte Marina, l’association et les proches des victimes avaient organisé, le mardi 8 mars, un rassemblement sur la place du Congrès de la nation argentine. « Même si ces voix restent minoritaires, il n’est plus possible d’être témoin de ce type de réactions face à des cas d’une telle gravité », selon Vanesa. Une passante, venue soutenir le mouvement, insiste : « À quoi sert la journée de la femme sinon à se mobiliser tous et toutes ensemble ? Qu’importe que l’on nous souhaite “bonne fête de la femme” s’il n’y a pas de changement social profond face à la situation des femmes dans ce pays et dans le monde ? Non, je ne vois pas exactement ce qu’il y aurait à fêter. » En retrait, Natalia, fixe les bougies disposées en hommage aux deux victimes alors que des larmes coulent de ses yeux : « Je suis émue parce que même si je ne connais pas ces deux femmes, je m’identifie à elles, moi-même j’ai vécu une agression traumatisante il y a quelques mois. Plus encore, poursuit-elle la voix tremblante, je suis émue, parce qu’il n’y a pas grand-monde aujourd’hui : cette absence, autant que les commentaires violents qu’on a pu entendre, c’est comme si on les abandonnait tous une deuxième fois, qu’on les laissait de nouveau seules dans leur malheur ».

 

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Bougies en hommage à Marina et Maria José, deux Argentines assassinées en Équateur il y a quinze jours. Crédits Photo : Justine Perez.

 

Pourtant, le processus de conscientisation semblait amorcé lorsque, l’an dernier, des milliers de citoyens avaient rejoint le mouvement spontané « #PasUneDeMoins » (« #NiUnaMenos ») en battant le pavé des semaines durant, sur tout le territoire argentin, ainsi qu’au Chili et en Uruguay voisins, pour dénoncer les violences faites aux femmes. Et pour cause, une femme serait assassinée toutes les 30 heures en Argentine. Des chiffres alarmants et en constante augmentation ces dernières années.

Mais les représentations sociales, tout comme les avancées législatives sur ces questions, balancent toujours entre deux tendances contraires. Un nouveau cadre légal en matière de protection juridique des femmes a été instauré par l’ancienne présidente en réponse aux mobilisations massives, mais son impact est faible vu le budget minime débloqué pour sa mise en application. Enfin, dans ce pays, les interruptions illégales de grossesse font des ravages surtout parmi les femmes issues des milieux populaires. N’ayant pas les moyens de quitter le territoire pour se faire avorter ailleurs, elles meurent parce qu’opérées clandestinement dans des conditions extrêmement précaires. La légalisation des interruptions médicales de grossesse est la grande réforme à mener qui n’a pourtant jamais été entreprise en Argentine. Ni la classe politique, parce que soumise aux pressions des instances religieuses mais aussi par conservatisme, ni même la population dans sa majorité ne sont prêtes à évoquer cette mesure qui marquerait pourtant clairement l’évolution de la position de l’Argentine sur les questions du droit des femmes.

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Devant une banderole #NiUnaMenos, une femme tend côte à côte les photos de Marina et Maria José et un panneau dénonçant le meurtre de sa propre fille. Crédits Photo : Justine Perez.