International
12H18 - vendredi 26 février 2016

Après ses voyages, François Hollande développe-t-il une certaine politique française en Amérique latine ?

 

Plusieurs évènements nous permettent de le constater, la visite du chef de l’État français en Amérique latine est sans doute chargée de symbolismes.

François Hollande lors de son déplacement à Buenos Aires - Crédit photo : Justine Perez

François Hollande lors de son déplacement à Buenos Aires – Crédit photo : Justine Perez

 

Hormis un début de quinquennat ennuyé par un certain nombre de dispositions, qui nuisirent à la relation entre l’Élysée et l’Amérique latine et caribéenne, l’administration Hollande engagea un éventail de moyens, canalisés à travers sa diplomatie, pour entraîner l’association de la France au continent vers un nouveau registre. Elle œuvre aujourd’hui sur une base culturelle qui lui est depuis longtemps favorable, pour capitaliser non seulement des avantages économiques et commerciaux mais – et voici qui relève du substantiel, marquant un point d’inflexion – une alliance politique. Dans un contexte géopolitique global en plein réaménagement où, plus précisément, la constitution de nouveaux cartels économico-commerciaux, tels que le récemment souscrit Trans Pacific Partnership, risque de desservir les intérêts de l’État français, en l’occurrence, sur trois pays latino-américains et caribéens, l’Élysée accélère le pas vers la création d’un levier qui lui permettra d’ériger, et ensuite de consolider, son influence sur les plus des vingt millions de kilomètres carrés de territoire latino-américain et caribéen.

 

Prouesse titanesque, accordons-le. Or, pour y parvenir, la France s’est déjà procuré la clef de voûte. Avec sa capacité d’influence politique, aussi importante que disproportionnée, Cuba est, d’une certaine manière, le récipiendaire des revendications latino-américaines et caribéennes.

 

N’en est pas moins que des puissances extracontinentales projettent, progressivement, leur présence dans les affaires de la région, suscitant un redimensionnement de la réflexion stratégique des États-Unis sur l’hémisphère : l’arrêt en cours de leur politique de rétorsion sur le modèle socialiste cubain ainsi que, ponctuellement, l’imminente visite du président Obama dans l’île sont deux des emblèmes de ce processus. La France et les États-Unis recréent ainsi un espace de rivalités, dont le champ des implications géopolitiques devra être étudié. Notamment à un moment où, en Europe, le Brexit est encore une possibilité.

 

… Qu’attendre de sa visite au Pérou, en Argentine et en Uruguay ?

 

Sa visite au Pérou, membre du TPP depuis le 4 février dernier, servira précisément à faire un état des lieux, et envisager les éventuelles répercussions sur les accords bilatéraux en vigueur et, plus largement, sur l’accord commercial UE-Pérou, opérationnel depuis 2013. Sa visite en Argentine attirera plus sensiblement l’attention de la région. Son président récemment élu voulait faire valoir, sous l’argument de la violation du protocole d’Ushuaia I et II, la clause démocratique prévue dans ce texte, alléguant une atteinte aux garanties démocratiques au Venezuela, pour justifier son expulsion du Marché commun du sud (Mercosur). Ce qui fut perçu comme une bavure de Macri suscita un appui immédiat, direct et effectif, à Caracas. En fonction des objectifs tracés par l’Élysée, la diplomatie française sera probablement mesurée en ce processus de renforcement de la relation bilatérale, évitant les alignements avec des postures qui lèsent les souverainetés, si vivement défendues, point d’honneur dans la région. En Uruguay, la France promeut son industrie navale. Un buque polyvalent de l’armée française mouilla récemment dans un port du pays, dans le cadre du renforcement de la coopération militaire. Il est probable que, suite aux accords de coopération signés en la matière par Tabaré Vasquez à Paris, en octobre dernier, les Uruguayens soient sur le point d’acheter des équipements. Plus globalement, suite à son passage par les Antilles et certains pays du bassin caribéen, la venue du président français dans le cône sud-américain relève de sa volonté de renforcer la coopération économique bilatérale. C’est à Montevideo que l’exécutif pro tempore du Mercosur rempli actuellement ses fonctions.

 

Le Venezuela, l’Argentine, actuellement la Bolivie où le « non » à la réélection présidentielle est en train de s’imposer… Assiste-t-on à la fin de l’Amérique latine bolivarienne et plus largement, à un essoufflement de la gauche dans le continent ?

 

Citons tout d’abord un nuestro americano[1], Alvaro García Linera, vice-président de l’État plurinational de Bolivie : « Les révolutions ressemblent moins à des escalators sans fin qu’aux vagues qui déferlent sur le rivage. Elles se dressent, avancent, paraissent suspendues dans leur mouvement, puis retombent, avant de se lever à nouveau[2]. »

 

Le défi pour la gauche latino-américaine au pouvoir est de construire des États institutionnellement viables, qui ne nécessitent pas de faire constamment appel à la mobilisation du peuple et qui impulsent les changements nécessaires dans leurs structures socio-économiques, en vue de créer, voici un exemple capital, une industrie qui permette de satisfaire la demande interne, tout en réduisant leur dépendance du marché international.

 

L’objectif est que le modèle puisse se reproduire, même dans des scénarios de défaite. À propos, là où la droite accède au pouvoir en adoptant certains codes, en s’appropriant un langage et en respectant la continuité des acquis populaires, on ne peut que constater une victoire culturelle des forces progressistes, malgré leur conjoncture malheureuse. Prenons l’exemple fort représentatif des « misiones » au Venezuela, une initiative impulsée par Hugo Chávez qui permet l’accès massif du peuple à la santé, à l’éducation, à l’alimentation, au logement, etc. Récemment, les partis qui gagnèrent (regroupés en une coalition créée pour contrer le chavisme) la majorité qualifiée des deux tiers des curules, dans la dernière élection législative du pays, sont aujourd’hui contraints à préserver les acquis du peuple, conquis par la révolution.

 

L’Amérique latine et caribéenne bolivarienne est donc loin de rendre son dernier souffle. C’est même tout à fait le contraire : elle est toujours en construction. Aujourd’hui, la volonté bicentenaire d’union, ligue et confédération perpétuelle[3] devient institution grâce à la récente création de l’Unasur, de l’Alba-TCP, de la Celac… Même s’il n’est pas encore mûr, accordons-le, le processus d’intégration latino-américain et caribéen pourrait s’approprier l’expression de Galilée : E pur si muove (et pourtant elle tourne)

 

Que peut-on dire de la nouvelle donne en Argentine ?

 

Les conditions dans lesquelles se déroula la récente élection présidentielle, ainsi que le mince écart de trois points avec le deuxième arrivé, Daniel Scioli, laissent envisager que les réformes entreprises et à entreprendre par le président Mauricio Macri, notamment à l’échelle nationale, trouveront un contrepoids considérable. C’est le moment, en Argentine, de voir combien la nouvelle présidence peut faire bouger les lignes. Toutefois, ce changement idéologique à la magistrature suprême préfigure une restructuration dans la corrélation de forces de la région, qui passe par la reconfiguration du système d’alliances argentin.

 

Troisième PIB du continent derrière le Brésil et le Mexique, l’Argentine est aussi une composante majeure de l’axe d’intégration à vocation latino-américaine et caribéenne Unasur-Celac et, s’il est vrai que dans la sphère interne Macri trouve une résistance consistante à ses initiatives, sur le plan de la politique extérieure, sa marge de manœuvre est plus large. Au-delà de s’appliquer à la « dynamisation » du MERCOSUR par la libéralisation de son commerce, l’Argentine sous Macri privilégie un rapprochement vers l’Alliance du Pacifique. Un pas substantiel si l’on y regarde de plus près, qui risque de tirer le Brésil et avec lui, entraîner non seulement le Mercosur vers une confluence avec l’arc Pacifique (dans son acception plus large), mais rendre aussi possible le scénario où les Amériques se verraient davantage engagées dans un modèle compatible avec le TPP ; il s’agirait alors de la dernière mise à l’épreuve de l’Unasur et de la Celac. Ces modifications dans le rapport de forces continental passent, nous le voyons aujourd’hui, par un sévère distancement de l’axe Alba-TCP.

 

Dans ces circonstances l’importance stratégique de l’Argentine ne fait que croître pour les éconduits du partenariat Trans-Pacifique (40 % du PIB mondial). Il est possible que la France entre, par le biais d’une relation bilatérale renforcée, en manœuvres en Argentine et dans l’ensemble de la région, pour réduire le risque d’engagement dans un cartel en concurrence directe avec ses intérêts économiques et commerciaux.

 

[1] Lire José Carlos Mariátegui, « Siete Ensayos de Interpretación de la Realidad Peruana », Lima, Pérou, 1928.

[2] Lire Alvaro García Linera, « Sept leçons pour la gauche », Le Monde Diplomatique, Janvier 2016.

[3] En allusion au congrès amphictyonique de Panama qui eut lieu dans le couvent de Saint-François (aujourd’hui palais Bolívar), Ciudad de Panama, du 22 juin au 5 juillet de 1826.

 

Luis Alejandro Avila Gomez, géopolitologue, responsable du programme Amériques de l’IPSE.

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