International
12H00 - vendredi 22 janvier 2016

La réforme constitutionnelle, entorse à la démocratie ?

 

La France étant en guerre, comme l’a souligné le chef de l’État, les pouvoirs publics prennent des mesures sécuritaires affectant les libertés publiques, qu’ils souhaitent inscrire dans la Constitution. Objectifs : pérenniser l’état d’urgence ou du moins y recourir plus aisément, et étendre la déchéance de nationalité aux terroristes binationaux nés Français.

Le Conseil d'Etat - Crédit photo : ActuaLitté / Flickr CC

Le Conseil d’Etat – Crédit photo : ActuaLitté / Flickr CC

La déchéance de la nationalité, une mesure d’extrême droite ?

Le débat fait rage autour de la légitimité et de l’efficacité des mesures envisagées, et du bien-fondé de leur inscription dans la Constitution. À la gauche de la gauche, on souligne leur inspiration d’extrême droite, du moins en ce qui concerne la déchéance de la nationalité. Pourtant, les pouvoirs publics, globalement soutenus par l’opposition et l’opinion, soulignent qu’il s’agit de réponses adaptées – mais qui devrait rester exceptionnelle, nous y reviendrons – à une situation extrême. Ce n’est pas le cas du Front national. Une mesure « de guerre » prise dans un pays en paix est ou peut être considérée comme une mesure extrémiste, attentatoire aux libertés fondamentales, aux principes de la République et aux engagements internationaux de la France, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme. On peut imaginer que l’extrême droite au pouvoir nous plongerait dans une sorte d’état d’urgence permanent, sans même se donner la peine de prétexter la guerre contre le djihadisme. Tel n’est sûrement pas la volonté du pouvoir actuel ni de l’opposition républicaine.

 

Ce qui changerait :

L’article 25 du Code civil définit les causes de la déchéance :

L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4° S’il s’est livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.

 

L’article 26 du Code civil exclut de la déchéance les binationaux nés français :

La déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’intéressé et visés à l’article 25 se sont produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.
Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits.
Si les faits reprochés à l’intéressé sont visés au 1° de l’article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans.

 

La réforme constitutionnelle devrait étendre la déchéance aux binationaux nés Français, condamnés pour « terrorisme et crime contre la nation », sans que l’on sache à ce jour si elle serait prononcée lors du procès d’assises ou à l’issue de l’exécution de la peine.

 

L’amalgame entre les djihadistes d’aujourd’hui et les Juifs de Vichy

Prétendre que la déchéance de nationalité de terroristes condamnés serait comparable à celle des Juifs sous le régime de Vichy est absurde. Il s’agissait alors d’hommes, de femmes et d’enfants persécutés, raflés, assassinés et livrés aux nazis pour être exterminés parce que nés Juifs. Ils étaient les victimes. Comment les comparer aux islamistes, combattants revendiqués de Daesh qui eux terrorisent et tuent des hommes, des femmes et des enfants, et souhaitent asservir l’humanité au nom de leur vision moyenâgeuse de l’islam ? Ils sont les bourreaux, nos bourreaux.

L’inscription de ces mesures dans la constitution : le bémol ?

Les juristes semblent majoritairement estimer qu’il n’est pas indispensable d’inscrire les deux réformes envisagées dans la Constitution pour les rendre effectives et juridiquement inattaquables. Pour autant, constitutionnaliser l’état d’urgence n’impliquerait pas qu’il soit permanent. La Constitution prévoit des dispositifs bien plus radicaux, comme l’état de siège (article 36), que l’on pourrait considérer comme la version militaire de l’état d’urgence, et les pleins pouvoirs au président de la République (article 16), qui transformerait la France en dictature constitutionnelle, et donc légale. Parmi les reproches entendus figure celui des conséquences qu’aurait cette réforme si un parti extrémiste héritait du pouvoir. On ne peut écarter ce risque, tout en soulignant que les actions des régimes autoritaires n’ont jamais été entravées par des contraintes juridiques. En revanche, dès lors que les mesures envisagées peuvent faire l’économie d’une pompeuse réforme constitutionnelle, il est légitime de s’interroger sur la motivation réelle du chef de l’État, en particulier dans la perspective des élections présidentielles de 2017.

Plus que l’état d’urgence, c’est la constitutionnalisation de la déchéance de la nationalité qui suscite la polémique. Ainsi, alors qu’une simple loi permet de déchoir un binational né étranger, c’est la Constitution « en personne » qui autoriserait la déchéance d’un binational né Français. Cela créerait effectivement deux catégories de Français, une perspective pas très… constitutionnelle ! Enfin, cela pérenniserait un dispositif qui intrinsèquement devrait relever de l’exception, donnant ainsi du grain à moudre à ceux qui rappellent la parenté frontiste de la mesure.

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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