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11H46 - mercredi 13 janvier 2016

L’Inde en Afrique, un avenir au sourire exigeant

 

 

C’est le premier rassemblement de dirigeants étrangers en Inde depuis 1983. Plus de cinquante chefs d’Etats africains se sont retrouvés le 26 octobre dernier, pour un forum Inde-Afrique qui allait durer trois jours. Une opportunité cruciale d’alliance pour ces deux géants démographiques qui représentent un tiers de l’humanité. Longtemps intimidé par l’ombre sourcilleuse d’une Chine fermement décidée à maintenir ses relations privilégiées avec le continent africain, l’essor d’un partenariat est un enjeu central pour ces deux acteurs qui ont décidé de faire de l’avenir leur meilleure carte.

 

1Les années à venir vont effectivement être décisives. En 2030, la « Chindiafrique » représentera 50% de la population mondiale, et les 2/3 des 18-25 ans. Un poids démographique considérable donc, que les dirigeants entendent bien transformer en bloc géopolitique incontournable. Passer de la simple importation de pétrole à la concrétisation des business models spécialement adaptés, transformer des échanges commerciaux en alliances diplomatiques sont les enjeux de la troisième édition du Forum Inde-Afrique depuis sa création en 2008. Avec en insolente ligne de mire l’objectif de concurrencer la Chine sur le continent africain.

Car si les échanges bilatéraux semblent aujourd’hui bien maigres face aux 222 milliards de dollars atteints par les relations sino-africaines, leur hausse reste constante et explosive. D’une hauteur de 30 milliards de dollars en 2010, ils passent à 62 milliards en 2012 pour atteindre les 90 milliards en 2015. Une croissance exponentielle qui place l’Inde comme le 4ème investisseur en Afrique.

Une collaboration d’égal à égal

« L’Afrique ne veut plus être le cheval que l’on monte et que l’on exploite sans contreparties » avait affirmé la déclaration conjointe du premier forum en 2008. L’importation des matières premières et du pétrole reste la raison majeure de la présence indienne, qui doit soutenir une croissance annuelle de près de 8% – et se trouve donc en concurrence avec la Chine, elle aussi en quête de ressources.

L’Inde demeure encore aujourd’hui dépendante énergétiquement à 85%, tant pour le gaz que pour le pétrole. Un temps originaire de l’Iran et du Golfe Persique, aujourd’hui un baril de pétrole sur cinq à destination de l’Inde provient d’Afrique. Mais ses partenaires historiques ne sont pas toujours ceux pouvant lui transmettre les matières premières dont l’Inde a besoin, ce qui la convainc de se tourner davantage vers les pays francophones et l’Afrique de l’Ouest, comme la Mauritanie ou le Sénégal. Le Nigeria est notamment devenu un de ses premiers fournisseurs de pétrole.

Ce qui distingue la présence indienne de l’afflux chinois est la nature des liens tissés avec le continent noir. Contrairement à Pékin, l’intérêt de Delhi ne réside pas seulement dans l’importation d’hydrocarbures non transformés, mais prétend inclure – sur place – les étapes de raffinage, stockage et de transport. Un intérêt qui passe donc par la construction d’infrastructures, le partage de technologies et l’octroi de crédits qui s’élevaient après le deuxième forum à 7,4 milliards de dollars, destinés explicitement aux yeux indiens au « développement des infrastructures, de l’industrie et des énergies renouvelables ». A l’issue du forum qui s’est tenu du 26 au 29 octobre, ce crédit a été augmenté à une hauteur de 10 milliards de dollars échelonnés sur cinq ans.

2Mais l’Inde est loin de s’en tenir à de l’importation énergétique, et prétend de plus en plus ouvertement concurrencer la Chine dans la télécommunication, l’application de business models spécialement adaptés aux spécificités du modèle africain, dans la pharmacie et pour des équipements tels que les pompes à eau. Le secteur de l’agriculture est également mobilisé, car l’Inde ayant bâti son développement sur le modèle agricultural, se présente comme modèle pour le continent « qui dispose de 60% des terres cultivables du monde mais ne produit que 10% des produits agricoles exploités. » Mais c’est bien l’industrie qui semble le plus croître. La société Tata Africa, en constante progression, est implantée dans 16 pays.

La clé d’un succès qui ne devrait que se confirmer dans les prochaines décennies ? Une très grande concordance entre les modèles africains et indiens, qui doivent l’un comme l’autre répondre aux 80% de leur population qui vivent avec moins de deux dollars par jour. Des méthodes de production à moindres coûts et des produits adaptés aux conditions locales du marché constituent le pari indien qui réussit. Depuis 2008, autobus, 4×4, scooters et rickshaws animent les rues africaines et développent l’investissement indien privé.

 

L’Inde fait du tutorat

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Les étudiants africains intègrent de plus en plus des universités indiennes. Ici, l’université de Presidency à Calcutta. – Crédit : Martial Fournier

L’informatique et la médecine participent activement à l’essor des échanges bilatéraux. Déjà voulu par l’ancien président indien Abdul Khan, un réseau panafricain de services en lignes a été implanté, et de la télé-médecine au télé-enseignement, le réseau concentre 125 millions de dollars. Piloté par Telecommunications Consultants India Limited (TCIL), 40 pays bénéficient aujourd’hui de consultations médicales ou de formations, avec une liaison rendue possible par des satellites géostationnaires indiens. Des hôpitaux indiens sont désignés pour être les partenaires réguliers de ces échanges, tel l’Apollo Hospitals de Chennai (anciennement Madras) qui assure la formation médicale des assistants et infirmiers d’un grand nombre d’hôpitaux africains.

La proposition de formation ne demeure néanmoins pas cantonnée aux services à distance : 30 000 étudiants africains trouvent actuellement une place en Inde, en université ou dans les Instituts de Technologies – et 25 000 bourses sont octroyées tous les trois ans. Une présence qui dépasse de loin le nombre d’étudiants américains ou européens en Inde, et qui est bien plus forte que celle des étudiants africains en Chine. La barrière linguistique chinoise, ainsi que le coût de la vie sont probablement les raisons les plus évidentes de cet écart, mais les dirigeants indiens préfèrent souligner « la proximité culturelle » unissant les deux continents. L’Inde affirme haut et fort considérer leur relation comme « un partenariat d’égal à égal », et les investisseurs tablent sur une culture d’entreprise partagée. Un argument décisif : alors que l’approche chinoise est jugée trop invasive et que son gouvernement revendique davantage son statut de grande puissance que ses liens avec les pays émergents, l’Inde semble vouloir privilégier la simplicité des moyens, le transfert de technologies et la décentralisation des opérations.

Une posture qui marche, les flux humains augmentant tant dans le secteur du tourisme que de l’éducation et participant à l’intégration régionale. Des échanges qui restent cependant polarisés, l’Afrique du Sud recevant ainsi à elle seule 28% des importations indiennes, quand 5 pays africains concentrent les 58% des exportations indiennes vers l’Afrique. 

 

L’Inde et la Chine sont-ils de vrais concurrents ?

4Concevoir Inde et Chine comme de froids rivaux solitaires serait une erreur. Les deux puissances savent se montrer complémentaires et en user, alliant innovations économiques et low cost de masses. L’exemple le plus probant reste la révolution téléphonique en Afrique, portée par la combinaison entre l’équipement chinois Huawei et le mode de management développé par l’indien Airtel.

Alors finalement, qu’est ce qui continue de distinguer la présence indienne de celle de la Chine sur le continent noir ? Par le degré d’investissement et surtout sa dynamique, l’Inde prend le contrepied chinois et émerge. Delhi ne peut nier la faiblesse de son poids dans un continent où les échanges sino-africains ont atteints 300 milliards de dollars uniquement pour 2015. Mais elle sait aussi que moins visible, sa présence n’en n’est pas moins sur une pente ascendante quand la Chine, progressivement, se dégage de ses engagements africains. Les investissements chinois en Afrique ont chuté de 40% au premier semestre 2015, et le ralentissement de son économie provoque la suspension, voir l’annulation de nombre de contrats.

Mais surtout, alors que depuis le commencement c’est l’état chinois qui intervient pour les négociations et plaide directement la cause de la pénétration du marché africain, en Inde, ce sont les entreprises qui négocient directement avec leurs homologues. La diplomatie peut aider le business indien, quand c’est le business chinois qui est avancé pour aider la diplomatie. Une relation inverse qu’entend bien souligner l’Inde qui se targue d’une plus grande « proximité culturelle » avec l’Afrique.

 

Entre quête de ressources et offre de formations, des infrastructures africaines aux universités indiennes, l’Inde comme l’Afrique cherchent à approfondir leur relation et se tournent vers de nouvelles perspectives. La visée du forum d’octobre 2015 est précisément d’emmener plus loin ce partenariat, avec, comme ligne de mire, une alliance qui pourrait les propulser au rang de puissances globales incontournables.

 

 

 

 

 

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